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Med Sci (Paris). 33(1): 9–10.
doi: 10.1051/medsci/20173301002.

Matériaux pour la médecine de demain

Elias Fattal1*

1Institut Galien Paris-Sud, Université Paris-Sud75000Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Matériaux biocompatibles, Bioingénierie, Histoire du 20ème siècle, Histoire du 21ème siècle, Humains, Médecine, Structures d'échafaudage tissulaires, pharmacologie, usage thérapeutique, méthodes, tendances

 

Depuis l’Antiquité, l’homme a tenté de réparer le corps humain ou de remplacer un tissu lésé par un autre tissu ou un substitut tout aussi viable et fonctionnel. Les premières tentatives d’implantation de dents remontent ainsi au temps de l’Égypte ancienne et des cultures précolombiennes. Elles étaient sculptées dans l’ivoire ou dans le bois et retenues entre elles par des fils d’or. Aujourd’hui, si on se réfère à la conférence de consensus de Chester1 en 1991, les biomatériaux constituant ces implants sont définis comme « un matériau non vivant, utilisé dans un dispositif médical et conçu pour interagir avec des systèmes biologiques, qu’il participe à la constitution d’un appareillage à visée diagnostique ou à celle d’un substitut de tissu ou d’organe, ou encore à celle d’un dispositif de suppléance (ou assistance) fonctionnelle ». La première génération de biomatériaux d’origine naturelle a progressivement été remplacée par des implants fabriqués à partir de polymères synthétiques, de céramiques, de métaux et d’alliages métalliques, qui sont constitués de composés qui vont entrer en contact avec les fluides biologiques. Il faudra qu’ils remplissent leur fonction tout en étant biocompatibles, c’est-à-dire sans activer la cascade du complément ou modifier la coagulation sanguine ou encore sans induire des réactions inflammatoires délétères pour le corps humain. Il faudra veiller à ce que les matériaux ne soient pas altérés, c’est-à-dire que les produits issus de leur dégradation ou de leur vieillissement n’entraînent pas des effets indésirables pour l’organisme. C’est dans le domaine des polymères que des avancées considérables ont pu être réalisées. En effet, une meilleure caractérisation de ces polymères, une amélioration de leurs techniques de synthèse et enfin leur transformation en nanotechnologies sont tout autant d’éléments qui ont permis des avancées considérables en implantologie.

L’utilisation des biomatériaux ne s’est pas limitée aux dispositifs médicaux. Dans le domaine du médicament, la première utilisation de ces matériaux a été destinée à développer des systèmes pour la libération contrôlée de substances actives. De nombreux travaux ont eu pour but de démontrer la possibilité de contrôler dans le temps la libération des principes actifs, et ce pour des durées pouvant varier de plusieurs semaines à plusieurs années, réduisant ainsi les fréquences d’administration. C’est ainsi que, par exemple, sont nés des implants non biodégradables pour la voie sous-cutanée comme le Nexplanon®, utilisé en substitut de la contraception orale, ou encore des implants biodégradables pour la libération contrôlée de peptides comme le Décapeptyl®, utilisé dans le traitement du cancer de la prostate, ou enfin pour la voie intraoculaire, un implant à base de dexaméthasone, l’Ozurdex®. Outre le confort que procure une telle approche pour le patient, l’utilisation de systèmes à libération contrôlée permet d’administrer localement des principes actifs dans des sanctuaires de l’organisme où la répétition des administrations est complexe et/ou l’utilisation de voies d’administration plus classiques est impossible.

L’utilisation de biomatériaux a aussi permis d’envisager la conception de nano-outils, vecteurs de substances actives ou d’agent de contraste, ou de combiner les deux - l’imagerie et la thérapeutique - au sein d’un nouveau concept dénommé le théranostique [1]. La vectorisation des médicaments consiste à favoriser la distribution des principes actifs vers la cible thérapeutique (tissulaire, cellulaire ou subcellulaire) et d’en diminuer les effets secondaires ou la toxicité. Les vecteurs peuvent, notamment grâce à leurs propriétés, protéger les molécules fragiles contre la dégradation et permettre d’administrer aisément des molécules telles que les acides nucléiques et notamment les ARN interférents [2]. Ces avancées ont conduit à des progrès considérables pour le traitement des maladies inflammatoires, infectieuses ou tumorales, qui se traduisent par des médicaments au stade d’étude clinique ou déjà sur le marché. Si, dans certains cas, la vectorisation s’est avérée insuffisamment efficace pour cibler un tissu, des approches originales, consistant à combiner les stimulus physiques et les nanotechnologies pour favoriser une libération site-spécifique, sont actuellement à l’étude [3, 4].

Le produit d’ingénierie tissulaire peut se présenter sous la forme de cellules isolées. On parle alors de thérapie cellulaire. Il peut aussi être constitué de cellules combinées à un biomatériau. Ces matériaux peuvent également être nanostructurés, afin d’obtenir une surface mimant celle du tissu physiologique, ou constituer une trame bi- ou tridimensionnelle qui sera ensuite colonisée par les cellules : cellules souches ex vivo ou cellules du tissu cible in vivo. La technique consistera soit à régénérer des tissus humains fonctionnels, soit à créer un tissu ou un organe artificiel qui prend le relais d’un organe défaillant. Les procédés d’ingénierie tissulaire font appel, dans la plupart des cas, à des matériaux poreux, structure-support pour la croissance (scaffolds). La constitution de ces scaffolds est essentielle pour assurer la multiplication et la différenciation des cellules [5]. Le scaffold pourra aussi contenir des vecteurs d’expression de gènes ou des facteurs de croissance cellulaire ou encore d’autres molécules susceptibles de guider les cellules et d’induire leur différenciation. Enfin, si les procédés d’obtention d’implants ou de scaffolds ont significativement évolué, impliquant des procédés tels que l’electrospinning 2 ou l’extrusion, cette révolution est loin d’être achevée car des techniques nouvelles comme l’impression en trois dimensions (3D) devraient permettre de concevoir des nouveaux objets plus personnalisés pour le patient.

Cette vision succincte de la valorisation de nouveaux matériaux pour la médecine du futur démontre les avancées considérables qui ont été réalisées au cours des dernières décennies. Ce numéro de médecine/sciences dévolu aux biomatériaux et à leur utilisation présente et à venir dévoile certains aspects de cette (r)évolution. Au travers d’exemples, il montre l’étendue des applications développées par les équipes françaises dans des domaines aussi différents que l’imagerie médicale, les implants et systèmes de délivrance ou l’ingénierie tissulaire. Il reste encore de nombreuses possibilités pour la découverte de nouveaux matériaux encore mieux tolérés et qui soient plus « intelligents ».

Liens d’intérêt

L’auteur déclare participer à des interventions ponctuelles pour l’entreprise Pierre Fabre Pharmaceutique.

 
Footnotes
1 Conférence organisée par la Société Européenne pour les Biomatériaux, faisant suite à une première conférence de 1986, ayant permis d’arriver à un consensus sur la définition et les attributs des biomatériaux et de la biocompatibilité.
2 Procédé de production de fibres, à partir de polymères en solution ou sous forme fondue, utilisant un champ électrique.
References
1.
Diou O, Tsapis N, Fattal E. Targeted nanotheranostics for personalized cancer therapy . Expert Opin Drug Deliv. 2012; ; 9 : :1475.–1487.
2.
Fattal E, Barratt G. Nanotechnologies and controlled release systems for the delivery of antisense oligonucleotides and small interfering RNA . Br J Pharmacol. 2009; ; 157 : :179.–194.
3.
Boissenot T, Bordat A, Fattal E, et al. Ultrasound-triggered drug delivery for cancer treatment using drug delivery systems: from theoretical considerations to practical applications . J Control Release. 2016; ; 241 : :144.–163.
4.
Mura S, Nicolas J, Couvreur P. Stimuli-responsive nanocarriers for drug delivery . Nat Mater. 2013; ; 12 : :991.–1003.
5.
Carletti E, Motta A, Migliaresi C. Scaffolds for tissue engineering and 3D cell culture . Methods Mol Biol. 2011; ; 695 : :17.–39.