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| Med Sci (Paris). 33(1): 81–84. doi: 10.1051/medsci/20173301013.Un implant bioactif pour prévenir la maladie d’Alzheimer Aurélien Lathuilière1* and Bernard L. Schneider2** 1Service de neurologie, Hôpitaux Universitaires de Genève, rue Gabrielle-Perret-Gentil 4, CH-1211Genève, Suisse 2Brain and Mind Institute, École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), CH-1015Lausanne, Suisse MeSH keywords: Transfert adoptif, Sujet âgé, Sujet âgé de 80 ans ou plus, Maladie d'Alzheimer, Anticorps, Matériaux biocompatibles, Préparation de médicament, Humains, Immunisation, Prothèses et implants, instrumentation, méthodes, prévention et contrôle, administration et posologie, composition chimique, usage thérapeutique |
Les maladies neurodégénératives représentent un défi de santé majeur pour les sociétés dont l’espérance de vie a augmenté durant les dernières décennies. L’une d’entre elles, la maladie d’Alzheimer, est la cause la plus fréquente de démence. Elle provoque des troubles cognitifs dont l’évolution mène à une perte d’autonomie progressive et à une altération dramatique de la qualité de vie des patients et de leurs aidants. Les traitements actuellement disponibles permettent de traiter partiellement ces symptômes, sans pouvoir modifier la progression de la maladie. Les connaissances des mécanismes physiopathologiques menant à la dégénérescence des neurones ont remarquablement progressé. Le dépôt de formes agrégées du peptide amyloïde bêta (Aβ) est l’une des manifestations de la maladie d’Alzheimer, survenant à un stade très précoce dans le processus pathogénique. Ces dépôts apparaissent sous la forme de plaques extracellulaires visibles dans certaines régions du tissu cérébral. La pathologie amyloïde est suivie d’autres événements pathologiques, tels que la formation de dégénérescences neurofibrillaires à l’intérieur des neurones. Il s’agit d’enchevêtrements de fibrilles composées principalement de la protéine tau (tubule-associated unit) hyper-phosphorylée. Ce n’est que récemment que l’identification de biomarqueurs par imagerie moléculaire1, ou morphologique2, ou par analyses biochimiques dans le liquide céphalo-rachidien, a permis de suivre ces signes de la maladie au cours du temps. Ces processus pathologiques sont très progressifs, et la formation de plaques amyloïdes débute des années, voire des décennies, avant que les premiers symptômes de la maladie ne se manifestent. Par conséquent, des stratégies thérapeutiques ciblées visant à interférer avec l’accumulation d’Aβ ou de la protéine tau ont été proposées, dans l’espoir de freiner l’évolution de la maladie [1, 2] (→).
(→) Voir les Nouvelles de G. Dorothée et P. Aucouturier, m/s n° 11, novembre 2011, page 938, et de L. Ozmen et L. Collin, m/s n° 2, février 2015, page 132
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Stratégie thérapeutique par immunisation L’approche thérapeutique actuellement la plus avancée est basée sur l’immunisation contre Aβ, soit par vaccination, soit par administration directe d’anticorps monoclonaux dirigés contre des formes pathologiques de ce peptide [3]. De nombreuses études réalisées dans des modèles de souris transgéniques de la maladie d’Alzheimer ont démontré que la vaccination ou l’administration d’anticorps dirigés contre le peptide Aβ peuvent empêcher la formation de dépôts amyloïdes, avec des effets protecteurs sur les mécanismes moléculaires qui découlent de cette pathologie et qui mènent ultimement à la neurodégénérescence (voir l’étude princeps [4]). Ces résultats ont motivé le lancement de plusieurs essais cliniques avec des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, allant jusqu’en phase III. Les résultats de ces études ont pour la plupart été décevants. Néanmoins, les essais cliniques les plus récents, utilisant des anticorps dirigés contre certaines formes d’Aβ plus spécifiquement associées à la pathologie (par exemple l’Aducanumab, le Gantenerumab, le Crenezumab ou le Solanezumab), ont montré des effets prometteurs. La sélection de patients à des stades précoces de la maladie, sur la base de biomarqueurs, et l’administration d’anticorps à fortes doses (> 5 mg/kg), semblent être des éléments importants permettant de potentialiser les effets du traitement. Certains de ces anticorps non seulement diminuent le nombre de plaques amyloïdes, mais semblent également ralentir le déclin des facultés cognitives, un résultat qui reste néanmoins à confirmer par des essais de phase III [5, 6]. Toutefois, ces traitements ne sont pas dénués d’effets secondaires. En effet, chez certains sujets traités, des anomalies nommées ARIA (amyloid related imaging abnormalities) sont décrites, détectables en imagerie par résonance magnétique de suivi, soit sous forme de microsaignements, soit sous forme d’œdèmes vasogéniques3 [7]. Ces anomalies apparaissent plus fréquemment chez les patients recevant les doses les plus élevées d’anticorps. Elles sont parfois associées à une aggravation des symptômes neurologiques, ce qui peut entraîner l’interruption du traitement. Bien qu’encourageantes, les données acquises lors de ces essais cliniques mettent en exergue certaines limitations du traitement, qu’il conviendra d’appréhender pour tirer un bénéfice maximal de cette stratégie thérapeutique. Pour obtenir un effet sur le fonctionnement cognitif des patients, il apparaît nécessaire d’intervenir très tôt dans le cours de la maladie, de préférence à un stade de trouble cognitif léger, voire même pré-symptomatique, afin de pouvoir prévenir les dommages généralement irréversibles du tissu cérébral. Dans ce but, les patients devraient se soumettre à intervalle régulier à des administrations d’anticorps (typiquement chaque mois), et ce pendant plusieurs années. L’ajustement du dosage représente cependant un défi, les doses faibles n’ayant pas montré d’effet alors que les doses élevées induisent fréquemment des effets secondaires. Il existe donc une nécessité de développer de nouveaux modes d’administration d’anticorps monoclonaux, mieux adaptés au traitement de processus pathologiques intracérébraux chroniques. |
Immunisation utilisant la technologie d’encapsulation cellulaire Une option thérapeutique consiste à développer des méthodes biotechnologiques pour administrer de manière continue les anticorps, afin d’éviter les pics de dose pouvant entraîner des effets secondaires. Une stratégie proposée est fondée sur la technologie d’encapsulation cellulaire. Cette technique utilise un dispositif implantable, composé d’une membrane de polymères semi-perméable, contenant des cellules issues d’une lignée génétiquement modifiée dans le but de produire une protéine thérapeutique (méthodologie décrite dans [8]). La fonction de la membrane est de protéger les cellules implantées contre l’immunité cellulaire de l’hôte, ce qui permet d’utiliser pour tous les receveurs une lignée cellulaire unique, renouvelable et bien caractérisée, sans qu’aucun traitement immunosuppresseur ne soit nécessaire. Cette membrane est suffisamment perméable pour que les échanges d’oxygène et de nutriments garantissent la survie des cellules greffées tout en laissant diffuser passivement la protéine recombinante qu’elles produisent, par exemple un anticorps à usage thérapeutique. En outre, le volume du dispositif définit sa contenance en cellules, ce qui permet d’évaluer la dose d’anticorps produite de manière chronique. Dans le cas où le traitement devrait être interrompu, le dispositif peut être explanté par une intervention chirurgicale bénigne. Cette technologie est illustrée dans la Figure 1.
 | Figure 1.
Vue schématique de l’administration sous-cutanée d’anticorps par la technique d’encapsulation cellulaire. 1. Une lignée cellulaire plateforme est modifiée génétiquement pour la sécrétion de l’anticorps d’intérêt. 2. Ces cellules modifiées sont introduites à l’intérieur d’un dispositif d’encapsulation composé d’une membrane semi-perméable. Ce dispositif est implanté dans le tissu sous-cutané. 3. La membrane semi-perméable isole les cellules génétiquement modifiées des cellules du système immunitaire de l’hôte. La membrane permet la diffusion passive d’oxygène et de nutriments vers l’intérieur du dispositif, alors que les anticorps recombinants produits par les cellules sont continuellement sécrétés par la capsule. |
Nous avons conçu un dispositif d’encapsulation cellulaire pour l’implantation de plusieurs millions de cellules dans le tissu sous-cutané. Les caractéristiques intrinsèques innovantes de cet implant, associées à l’utilisation d’une matrice extracellulaire artificielle biodégradable, ont permis la survie de cellules allogéniques transplantées durant plus d’une année dans un modèle animal [9]. Avec l’optimisation des méthodes de modification génétique, il est possible de générer des lignées de myoblastes C2C124 capables de survivre dans notre dispositif, tout en produisant des anticorps recombinants à un taux élevé, atteignant 100 µg par jour pour une capsule adaptée à la souris [10]. L’objectif suivant a été de démontrer l’efficacité thérapeutique de cette approche pour l’administration continue d’anticorps dirigés contre le peptide Aβ dans un modèle animal de la maladie d’Alzheimer. Nous avons généré une lignée de myoblastes murins C2C12 génétiquement modifiés pour la production d’un anticorps de type immunoglobuline G (IgG) dirigé spécifiquement contre une forme agrégée du peptide Aβ [9]. L’anticorps produit possède des caractéristiques très proches du Gantenerumab, un anticorps actuellement testé en essai clinique. Ces cellules ont été intégrées au dispositif d’encapsulation décrit ci-dessus, puis implantées dans le tissu sous-cutané de deux types de souris transgéniques. Les souris 5XFAD5 développent des dépôts de plaques amyloïdes dès l’âge de 2 mois, tandis que les souris TauPS2APP présentent une déposition d’Aβ plus progressive, mais associée à une pathologie de type neurofibrillaire caractérisée par une hyper-phosphorylation de la protéine tau. Dans les deux modèles, l’implantation sous-cutanée de cellules encapsulées a pu être utilisée avec succès pour l’administration continue d’anticorps, détectés dans le plasma à des taux stables excédant 50 µg/ml pendant près de 10 mois. Ces anticorps circulants sont capables d’atteindre le cerveau des souris traitées et de se lier aux plaques amyloïdes. La présence de dépôts amyloïdes dans le cortex a été quantifiée par immunohistochimie et biochimie, ainsi que par imagerie tomographique aux rayons X avec contraste de phase. Ces analyses ont montré que le traitement est capable de diminuer drastiquement la formation de plaques amyloïdes, en particulier lorsque la capsule produisant les anticorps anti-Aβ est implantée avant la formation des premiers dépôts. De plus, dans les souris TauPS2APP, cette réduction de la pathologie amyloïde s’accompagne d’une diminution significative de la présence pathologique de formes hyper-phosphorylées de la protéine tau dans l’hippocampe. Concernant l’origine de ces effets, nous avons noté chez les souris traitées une augmentation du nombre de cellules microgliales autour des plaques amyloïdes. Cette observation laisse penser que l’anticorps lié aux plaques pourrait faciliter la phagocytose et la dégradation des dépôts amyloïdes par la microglie, ce que confirment des expériences conduites in vitro [11, 12]. |
Ces résultats confirment l’efficacité de l’immunisation passive par anticorps monoclonaux dirigés contre l’Aβ pour la prévention de la maladie d’Alzheimer. De plus, ils valident l’utilisation de la technologie d’encapsulation cellulaire comme moyen d’administration continu d’anticorps thérapeutiques par voie sous-cutanée. Les anticorps produits en périphérie peuvent atteindre le tissu cérébral en dépit de la présence de la barrière hémato-encéphalique qui constitue un obstacle à la diffusion. Dans le cas de pathologies pour lesquelles le seuil thérapeutique serait plus élevé et de plus grandes quantités d’anticorps devraient atteindre le tissu cérébral, il serait possible d’utiliser un dispositif similaire permettant d’implanter des cellules productrices d’anticorps directement dans le système nerveux central. Grâce à la très haute spécificité des anticorps monoclonaux, il est aujourd’hui possible d’interférer avec des processus pathogéniques complexes. Cette technologie, associée à la grande adaptabilité de l’encapsulation cellulaire pour l’administration de protéines recombinantes, permet d’envisager de nouvelles options thérapeutiques qu’il convient d’investiguer non seulement en neurologie, mais aussi dans d’autres domaines de la médecine. Notre travail actuel vise donc à transférer cette technologie vers une application clinique. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
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Footnotes |
1.
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