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Med Sci (Paris). 33(1): 87–89.
doi: 10.1051/medsci/20173301015.

Contrôle de l’anxiété par les récepteurs de la sérotonine 5-HT2c de la strie terminale
Une explication des effets anxiogènes des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ?

Joël Bockaert1* and Carine Bécamel1

1Institut de génomique fonctionnelle, CNRS-UMR5203, Inserm U1191, université de Montpellier, F-34094Montpellier Cedex 5, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Anxiolytiques, Anxiété, Réaction cataleptique, Récepteur de la sérotonine de type 5-HT2C, Noyaux du septum, Inhibiteurs de la capture de la sérotonine, pharmacologie, métabolisme, prévention et contrôle, physiologie, effets des médicaments et substances chimiques

Sérotonine, anxiété et inhibiteurs sélectifs de la recapture de sérotonine

La 5-HT (5-hydroxytryptamine ou sérotonine) est impliquée, chez les vertébrés et l’homme, dans un nombre important de fonctions physiologiques et en particulier le contrôle des émotions telles que l’anxiété et les états de l’humeur. Beaucoup de thérapies proposées pour traiter les troubles anxieux - comme les attaques de panique, l’anxiété post-traumatique, les phobies sociales et les troubles obsessionnels compulsifs - ont pour cible la transmission sérotoninergique [1]. Parmi les médicaments les plus prescrits pour traiter ces pathologies se trouvent les fameux inhibiteurs sélectifs de la recapture de sérotonine (ISRS). Le plus connu est la fluoxétine, vendue sous le nom commercial de Prozac® [2] ().

(→) Voir la Nouvelle de Q. Rainer et al., m/s n° 10, octobre 2009, page 795

Les ISRS, en inhibant la recapture de la 5-HT dans la synapse, augmentent sa concentration et donc son efficacité sur les récepteurs sérotoninergiques synaptiques.

Bien qu’efficaces, les traitements par les ISRS posent deux problèmes majeurs. Le premier est que pour obtenir une amélioration des symptômes anxieux, plusieurs semaines de traitements sont nécessaires. Il a cependant été démontré que, dès la prise de ISRS, la concentration synaptique de 5-HT augmente de façon significative. Pourquoi faut-il attendre plusieurs semaines pour obtenir un effet thérapeutique ? Plusieurs hypothèses ont été émises mais aucune ne semble entièrement satisfaisante. Le deuxième problème est que, pendant les premières semaines de traitements, les ISRS ont souvent un effet inverse de celui recherché, c’est-à-dire un effet anxiogène [3, 4]. Il est donc important de comprendre les mécanismes moléculaires et cellulaires impliqués dans cet effet précoce non désiré des ISRS.

Récepteurs impliqués dans les effets anxiogènes paradoxaux des ISRS

Un des tests les plus utilisés pour étudier la peur est le fear conditioning, qui peut être traduit par « conditionnement de peur ». Un stimulus neutre (comme un son ou une lumière), appelé stimulus conditionnel (SC), est associé une ou plusieurs fois à un stimulus inconditionnel (IS) douloureux (comme un choc électrique) administré quelques secondes après. Cette étape correspond à la phase de conditionnement. La présentation du SC quelques heures ou jours après cette phase va déclencher un réflexe de peur : le freezing ou immobilité de l’animal. Placer le rat ou la souris dans la cage où il a reçu le choc électrique (stimulus contextuel) induit également le freezing. C’est une « mémoire de peur ».

Un traitement aigu avec de la fluoxétine augmente l’expression de peur chez les animaux et donc la durée de freezing, ce qui pourrait expliquer les effets anxiogènes des ISRS [4]. Les récepteurs de la sérotonine impliqués dans ce mécanisme sont les récepteurs 5-HT2C 1, [4, 5] dont on sait, par ailleurs, qu’un polymorphisme au niveau de leur promoteur est responsable d’une prédisposition au suicide [6]. Ce sont des récepteurs couplés aux protéines G (RCPG) qui stimulent la voie de la phospholipase C et la libération de Ca2+ intracellulaire, produisant une dépolarisation cellulaire [7]. Il a également été montré que les souris dont le gène codant pour les récepteurs 5-HT2C a été invalidé (souris KO, knock-out) sont moins anxieuses [8].

L’amygdale et son extension, la strie terminale, sont impliquées dans l’anxiété

L’amygdale est une des structures cérébrales impliquées dans notre capacité à ressentir et à percevoir certaines émotions dont la peur. Elle reçoit des afférences2, de nombreuses régions du système limbique3, (hippocampe, septum, hypothalamus, cortex frontal et sensoriel, thalamus sensoriel). L’amygdale, activée par ces afférences, va projeter principalement (a) vers le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus, ce qui conduira à la libération d’hormone corticotrope4, (ACTH) et donc de cortisol et d’adrénaline par les surrénales, mais aussi (b) vers le locus cœruleus5, (activation noradrénergique) et le système sympathique6. La plupart des projections provenant de l’amygdale se font via un relai, qui est une extension de l’amygdale appelée la strie terminale [9]. La strie terminale projette aussi vers une autre région importante pour les états de l’humeur, le plaisir, la récompense et la prise de décision : l’aire tegmentale ventrale (VTA). Des expériences utilisant l’optogénétique ont montré que l’activation de neurones GABAergiques7, localisés dans la strie terminale et projetant dans la VTA, induit un effet anxiolytique [10] (Figure 1).

Les effets anxiogènes de la sérotonine et des ISRS sont sous contrôle des récepteurs 5-HT2C localisés sur des interneurones CRF-GABA de la strie terminale

Un article récent a étudié les réseaux neuronaux impliqués dans les effets anxiogènes de la 5-HT et des ISRS [11]. Tout un ensemble de techniques modernes a été utilisé pour analyser ces circuits neuronaux : des techniques de traçage des voies nerveuses, de l’optogénétique, l’utilisation de souris génétiquement modifiées (souris knock-out [KO], KO conditionnels, knock-in [KI], manipulations spécifiques de certaines cellules), de l’électrophysiologie, etc. Les auteurs montrent l’existence d’une innervation directe de la strie terminale par les neurones sérotoninergiques du raphé dorsal8, (Figure 1). La stimulation par optogénétique des fibres 5-HT au niveau de la strie terminale induit la libération de 5-HT, un effet augmenté par les ISRS. Cette stimulation ne modifie pas l’acquisition du « conditionnement de peur ». En revanche, elle augmente la réponse de peur (freezing) au stimulus conditionnel (SC) et au stimulus contextuel, ainsi que l’anxiété. Ces effets de la 5-HT libérée dans la strie terminale, ou des ISRS, sont bloqués par un antagoniste des récepteurs 5-TH2C, en accord avec la littérature [4]. On peut conclure, à ce stade, que l’activation des récepteurs 5-HT2C de la strie terminale induit un effet anxiogène.

Il avait précédemment été montré (a) que les souris invalidées (KO) pour le récepteur 5-HT2C sont moins anxieuses, et (b) que les neurones à corticolibérine9, (CRF) de la strie terminale ont une activation réduite après un test de conditionnement de peur [8]. Les auteurs ont donc recherché si les récepteurs 5-HT2C de la strie terminale étaient localisés sur des neurones CRF [11]. Ils ont ainsi montré qu’il existe deux types de neurones CRF dans la strie terminale : ceux qui projettent directement vers la VTA et l’hypothalamus et ceux qui sont intrinsèques à la structure (les interneurones) [11]. Tous ces neurones sont également GABAergiques (Figure 1). Les récepteurs 5-HT2C sont spécifiquement exprimés par les interneurones CRF/GABA de la strie terminale [11] (Figure 1) et favorisent leur activation. Cette activation des interneurones CRF/GABA, suite à celle des récepteurs 5-HT2C par un agoniste (mCPP, méta-chlorophénylpipérazine) ou par la libération locale de 5-HT (par optogénétique), conduit à l’inhibition des neurones de la strie terminale vers lesquels ils projettent (Figure 1). Il est ainsi possible d’enregistrer des potentiels inhibiteurs (IPSP) dans ces neurones GABAergiques projetant vers la VTA [11]. Or, comme nous l’avons déjà vu, l’activation de ces neurones est anxiolytique [10]. Leur inhibition par les neurones CRF/GABA activés par les récepteurs 5-HT2c est donc logiquement anxiogène [11] (Figure 1).

Les auteurs ont alors testé si les inhibiteurs des récepteurs CRF1 bloquaient les effets anxiogènes des ISRS. L’expérience fut positive [11]. La localisation des récepteurs CRF1 impliqués dans cet effet n’est pas encore certaine. Mais ces récepteurs pourraient être exprimés par les neurones GABA projetant vers la VTA car l’augmentation des IPSP, enregistrée dans ces neurones suite à la stimulation par la 5-HT, est bloquée par les antagonistes des récepteurs CRF1 [11].

Les antagonistes des récepteurs CRF1 pourraient-ils être associés aux ISRS dans les premières semaines d’un traitement contre les anxiétés généralisées et les attaques de panique ? Une piste à suivre.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Les récepteurs de la sérotonine sont codés par 18 gènes, dont 13 codent pour des récepteurs couplés aux protéines G (RCPG), regroupés en 6 familles (récepteurs 5HT1, 2, 4, 5, 6 et 7) [5] en fonction de leur homologie de séquence et leur couplage à la protéine G.
2 Une afférence est une connexion neuronale provenant d’une structure cérébrale, dont les axones arrivent et font synapse dans la région considérée. Une efférence, au contraire, correspond à une connexion de la région cérébrale considérée vers une autre structure.
3 Ensemble de structures cérébrales impliquées notamment dans le traitement des émotions.
4 Hormone stimulant les glandes surrénales.
5 Noyau sous-cortical, impliqué notamment dans la production du neurotransmetteur noradrénaline, et jouant un rôle dans les émotions et le sommeil.
6 Le système sympathique fait partie du système nerveux autonome et contrôle de nombreuses fonctions inconscientes de l’organisme comme la régulation du rythme cardiaque.
7 Neurones libérant du GABA (acide γ-aminobutyrique) ayant un effet inhibiteur sur leurs neurones cibles.
8 Noyau sous-cortical, impliqué notamment dans la production de sérotonine, et jouant un rôle dans l’humeur, la douleur et le sommeil.
9 Neurohormone et neurotransmetteur impliqués par exemple dans la réponse au stress.
References
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Rainer Q, Gardier AM, Hen R, David DJ. Mécanismes des effets comportementaux de type anxiolytique/antidépresseur de la fluoxétine (Prozac®): implication de la neurogenèse hippocampique . Med Sci (Paris). 2009; ; 25 : :795.–798.
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