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Med Sci (Paris). 33(4): 386–388.
doi: 10.1051/medsci/20173304006.

microARN et inactivation de la fonction gonadotrope hypophysaire

Jérôme Lannes,1 David L’Hôte,1 Ambra Fernandez-Vega,1 Ghislaine Garrel,1 Jean-Noël Laverrière,1 Joëlle Cohen-Tannoudji,1 and Bruno Quérat1*

1Sorbonne Paris Cité, Université Paris-Diderot, CNRS, Inserm, Biologie fonctionnelle et adaptative UMR 8251, Physiologie de l’axe gonadotrope, U1133, 5, rue Thomas Mann, 75205Paris Cedex, France
Corresponding author.
 

La neuro-hormone hypothalamique gonadotropin-releasing hormone (GnRH) joue un rôle crucial dans la fonction de reproduction en stimulant la synthèse et la sécrétion des gonadotropines luteinizing hormone (LH) et follicle-stimulating hormone (FSH) par l’hypophyse. À leur tour, LH et FSH régulent l’activité des gonades en stimulant la gamétogenèse et la sécrétion d’hormones stéroïdes sexuelles [1]. Cependant, une stimulation prolongée par la GnRH conduit à la désensibilisation des cellules gonadotropes hypophysaires et à l’arrêt de la production des gonadotropines [2]. Ce phénomène est bien connu des cliniciens qui cherchent à réduire, de façon réversible, la production des stéroïdes sexuels dans certaines pathologies comme les cancers dépendants de ces stéroïdes ou le syndrome des ovaires polykystiques1 [3]. Les mécanismes responsables de cette désensibilisation sont encore mal compris. Dans l’étude que nous rapportons ici [4], nous avons cherché le rôle que pourraient jouer les micro-ARN (miARN) dans ces mécanismes. Les miRNA régulent en effet le fonctionnement de nombreux gènes en induisant la dégradation ou la séquestration de leurs ARN messagers dans les complexes RISC (RNA-induced silencing complex). Leur dérégulation est à l’origine de très nombreuses pathologies [57] ().

(→) Voir la Nouvelle de J. Cavaillé, m/s n° 4, avril 2004, page 399, et la Synthèse de S. Baulande et al., m/s n° 3, mars 2014, page 289

Dans une première étude [8], nous avions montré que le miARN-132 (miR-132) était fortement induit dans les cellules gonadotropes en réponse à la GnRH et que son augmentation était indispensable à l’induction de la production de FSH par la GnRH. À l’inverse, le miR-125b est, lui, fortement inhibé en réponse à la GnRH [9].

miR-125b bloque la production des gonadotropines induites par la GnRH

Nous montrons dans cette étude que la surexpression de miR-125b empêche l’activation de la production des gonadotropines par la GnRH, aussi bien dans des cultures primaires de cellules hypophysaires de rat que dans la lignée murine de cellules pituitaires gonadotrope LβT2 [4]. À l’inverse, l’inhibition de miR-125b entraîne une augmentation de la production des gonadotropines, montrant que le taux de ce miARN présent à l’équilibre (dans la cellule non stimulée) est suffisant pour inhiber la production de ces hormones dans la cellule gonadotrope. Le miR-125b bloque l’une des deux principales voies de signalisation par lesquelles la GnRH stimule la production des gonadotropines [10], celle résultant du couplage du récepteur de la GnRH à la protéine Gαq/112. La surexpression de miR-125b conduit en effet à la séquestration des transcrits de plusieurs effecteurs de cette voie de signalisation dans les complexes RISC (mesuré par PCR [polymerase chain reaction] quantitative après immunoprécipitation des complexes) et à leur dégradation (évaluée par mesure de la quantité cellulaire de ces transcrits). Le taux d’expression protéique de ces effecteurs, déterminé par western blot, est également diminué de façon significative. À l’inverse, l’inhibition de miR-125b entraîne une augmentation de l’expression de ces protéines. Sachant que de nombreux autres récepteurs sont couplés à Gαq/11, miR-125b pourrait donc participer à la régulation de la signalisation que ces récepteurs induisent dans de nombreux autres types cellulaires.

Il est intéressant de noter que le miR-125b n’affecte pas, en revanche, la signalisation de la GnRH s’exerçant via le couplage à la protéine Gαs3.

miR-125b et miR-132 sont liés par une boucle de régulation

Alors que la quantité à l’équilibre de miR-125b est suffisante pour bloquer la signalisation induite par la voie Gαq/11 ( Figure 1 , voie 1), la stimulation de la voie Gαs par la GnRH est maintenue et permet l’activation de la protéine kinase A (PKA ; Figure 1 , voie 2). Parmi les cibles de la PKA, nous avons identifié une ARN-méthyltransférase, NSun2 (NOP2/Sun family member 2) dont la phosphorylation par la PKA active le transfert d’un groupement méthyle sur miR-125b (Me-miR-125b) ( Figure 1 , voie 3). Cette méthylation entraîne la diminution de la quantité de miR-125b dans la cellule et sa sortie des complexes RISC, ce qui permet la levée de la répression de la voie Gαq/11. Les effecteurs de la signalisation Gαq/11 peuvent alors agir au niveau transcriptionnel pour stimuler la production des gonadotropines. De façon remarquable, ces effecteurs sont également responsables de l’augmentation de miR-132 qui diminue la production de NSun2 ( Figure 1 , voie 4) en favorisant la séquestration de son transcrit dans le complexe RISC, et de la sous-unité catalytique de la protéine phosphatase PP1α, Ppp1Ca, qui déphosphoryle NSun2, substrat de la PKA ( Figure 1 , voie 5). Ces deux effets lèvent ainsi l’action inhibitrice de Nsun2 sur miR-125b, permettant l’augmentation de son taux dans la cellule. Cette augmentation de miR-125b, qui favorise le blocage de la voie Gαq/11, est à l’origine de la diminution de la quantité de miR-132. L’ensemble de ces résultats révèle ainsi l’existence d’une boucle de régulation établie entre miR-125b et miR-132 qui tend à les maintenir à leur niveau d’équilibre.

La stimulation prolongée par la GnRH active la boucle de régulation qui provoque l’arrêt de son action

Une analyse cinétique de l’ensemble de ces processus nous a permis de décrypter le mécanisme de désensibilisation de la cellule gonadotrope en réponse à une stimulation prolongée par la GnRH (Figure 2). Lors de la phase d’induction par la GnRH (4 à 6 h de traitement), l’activation de la voie Gαs inactive miR-125b, dont le taux atteint son niveau minimal dès 1 h et reste bas jusqu’à 6 h (Figure 2A). Cette diminution rapide de miR-125b lève l’inhibition qu’il exerce sur la voie Gαq/11 et, en conséquence, permet l’induction des gènes des gonadotropines Lhb (luteinizing hormone beta subunit) (Figure 2F) et Fshb (follicle stimulating hormone beta subunit) (Figure 2G). Cela se traduit également par une augmentation des quantités de miR-132 (Figure 2B) et de la sous-unité catalytique Ppp1Ca (Figure 2E) qui, à leur tour, sont à l’origine de la diminution (Figure 2C) et de l’inactivation (Figure 2D) de NSun2 par déphosphorylation, après 4 à 6 h de traitement, et le retour de miR-125b à son état d’équilibre (entre 8 et 24 h). Ce mécanisme réprime à nouveau la voie Gαq/11 et, en conséquence, la production des gonadotropines. Le niveau d’expression de Fshb reste fort tant que le niveau de miR-132 est élevé, comme cela avait été montré dans nos travaux précédents [8]. L’augmentation de l’expression de Lhb est plus temporaire. Les gonadotropines LH et FSH retrouvent leur niveau minimal après 24 h de stimulation, un temps compatible avec ce qui est observé in vivo lors de traitements prolongés par la GnRH chez le rat [11].

Notre étude montre ainsi pour la première fois le rôle crucial joué par une boucle de régulation entre deux miARN4. Cette boucle miR-125b/miR-132 est directement impliquée dans le mécanisme de la désensibilisation de la réponse à la GnRH. Le fait que les acteurs de cette boucle de régulation (miR-125b et miR-132, PKA, Nsun2 et PP1α) soient retrouvés dans de très nombreux types cellulaires laisse penser qu’elle pourrait jouer un rôle plus ubiquitaire.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Trouble hormonal touchant jusqu’à 10 % des femmes dans lequel une production anormale d’androgènes perturbe la production d’ovules et provoque l’apparition de kystes ovariens.
2 Sous-unité d’une protéine G activant la phospholipase C.
3 Sous-unité d’une protéine G activant la voie dépendante de l’AMPc (adénosine monophosphate cyclique), ou voie de l’adénylate cyclase, impliquée dans la communication cellulaire.
4 Les détails de cette étude sont disponibles dans l’article original [4].
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