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Med Sci (Paris). 33(5): 463–465.
doi: 10.1051/medsci/20173305002.

Thérapie génique dans la drépanocytose

Jean-Antoine Ribeil,1,2 Stéphane Blanche,3 and Marina Cavazzana1,2,4,5*

1Département de biothérapie, hôpital Necker-Enfants Malades, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France
2Centre d’investigation clinique de biothérapie, Groupe hospitalier universitaire Ouest, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Inserm, Paris, France
3Département d’imunologie pédiatrique-hématologie, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France
4Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, Institut Imagine, Paris, France
5Inserm UMR 1163, Laboratoire de lymphohématopoïèse humaine, Paris, France
Corresponding author.
 

La drépanocytose est une des maladies monogéniques les plus répandues dans le monde [1]. Chaque année, près de 300 000 enfants en sont atteints. Une mutation ponctuelle homogygote dans le codon 6 du gène de la b-globine entraîne la synthèse d’une protéine déficiente (βs) qui se polymérise à l’état désoxygéné et transforme les érythrocytes qui prennent une forme rigide de faucille. Outre l’hémolyse, l’essentiel de la pathologie est lié à une interaction complexe entre érythrocytes (et autres cellules hématopoïétiques), cellules endothéliales et facteurs plasmatiques qui aboutit à une vasculopathie s’exprimant à la fois sur le mode aigu vaso-occlusif, mais également chronique, altérant la fonction de différents organes. De considérables progrès thérapeutiques ont été réalisés ces 20-30 dernières années : qualité du support transfusionnel, chélation martiale1, sur-expression de l’hémoglobine fœtale par l’hydroxycarbamide (atténuant le phénomène de polymérisation de l’hémoglobine S), prévention anti-infectieuse [2]. La prise en charge précoce grâce au dépistage néonatal, l’établissement de circuits de soins, la formation des équipes médicales et l’éducation thérapeutique des patients ont également un rôle majeur dans l’amélioration globale de la santé des enfants et jeunes adultes atteints. Malgré ces progrès, une importante morbidité et mortalité persistent, et le devenir à l’âge adulte demeure incertain y compris dans le cadre d’un accès à des soins optimaux qui n’ont pas fait disparaître le besoin d’un traitement curateur [3].

à ce jour, seule l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques est capable de guérir la maladie après un conditionnement myélo-ablatif et immunosuppresseur [4]. Les résultats sont globalement remarquables au regard de l’évolution de la maladie, mais la procédure, conditionnée par la disponibilité d’un donneur HLA (human leucocyte antigen) géno-identique (greffe syngénique), reste grevée par le risque de morbidité propre à la greffe, parfois sévère. Des progrès substantiels sont apparus avec la possibilité de donneurs alternatifs (cellules de sang de cordon, donneur HLA phéno-identique, fichiers de donneurs intra-familiaux HLA haplo-identiques), mais le niveau de morbidité et de mortalité résiduelles de ce type de greffe apparaît encore trop élevé en comparaison du traitement conventionnel. Elles ne sont envisagées que dans des situations individuelles très spécifiques [5].

L’approche de thérapie génique développée par plusieurs équipes - d’abord chez l’animal puis récemment chez l’homme - apparaît donc aujourd’hui comme une alternative sérieuse pour les patients ne bénéficiant pas de donneur HLA géno-identique [6, 7] ().

(→) Voir l’Éditorial de M. Cavazzana-Calvo et al., m/s n° 2, février 2010, page 115

Les résultats à moyen terme du premier patient traité viennent d’être publiés [8]. La stratégie retenue est celle d’un transfert de gène ex vivo dans les cellules souches hématopoïétiques. Le gène introduit est un variant du gène de l’hémoglobine A, modifié pour prévenir sa polymérisation (βA 87 Thr : Gln [βA-T87Q]) [9] (). Cette modification empêche les contacts latéraux nécessaires à la polymérisation de l’hémoglobine S résiduelle [10].

(→) Voir la Brève de L. Coulombel, m/s n° 2, février 2002, page 156

Par opposition aux vecteurs β rétroviraux utilisés dans les premiers essais de thérapie génique ayant conduit à une mutagénèse d’insertion, le vecteur est, dans le cas présent, dérivé d’un lentivirus qui a la capacité de s’insérer au hasard dans les régions de transcription active plutôt qu’à proximité des promoteurs avec un biais en faveur des gènes « dangereux ». De plus, cette deuxième génération de vecteur est caractérisée par l’inactivation de la région amplificatrice du LTR (long terminal repeat) viral et est, par conséquent, inactive par elle-même, d’où son nom « self-inactive » [9, 11] (). La collecte de cellules souches hématopoïétiques pour le transfert ex vivo est réalisée conventionnellement sous anesthésie générale et ponctions médullaires multiples au niveau des crêtes iliaques. La réinjection des cellules autologues modifiées est précédée d’une chimiothérapie myélo-ablative par busulfan qui induit une phase d’aplasie d’environ un mois. Contrairement à une allogreffe, le conditionnement est dépourvu, en pré et post-greffe, de tout immunosuppresseur puisqu’il n’y a, en situation autologue, ni risque de rejet, ni risque de réaction du greffon contre l’hôte (GvHD). Le transgène est détecté dès la sortie d’aplasie et reste stable dans la totalité des neutrophiles, avec un recul de 18 mois. La production de l’hémoglobine thérapeutique (identifiable par sa mutation anti-polymérisation) est détectée parallèlement (Figure 1) pour se stabiliser à environ 50 %, c’est à dire à égalité avec la production résiduelle d’hémoglobine S. Cliniquement, ce mélange d’hémoglobines (équivalent à celui d’une personne hétérozygote) permet la disparition de tous les symptômes cliniques et biologiques de la maladie : indépendance transfusionnelle, absence de symptôme de vasculopathie. Une série de marqueurs fonctionnels érythrocytaires confirme l’efficacité de l’hémoglobine thérapeutique : déformabilité, densité, profil des courbes de désoxygénation (Figure 2).

(→) Voir la Synthèse de A. Rossi et A. Salvetti, m/s n° 2 février 2016, page 167

Cette première observation apporte « la preuve de concept » que le transfert ex vivo du gène de l’hémoglobine A dans les cellules souches hématopoïétiques permet de corriger toutes les complications liées à la polymérisation de l’hémoglobine S et ses conséquences vasculaires. L’évaluation doit être poursuivie sur un plus grand nombre de patients et étudiée sur le long terme pour s’assurer de la stabilité de la production des cellules modifiées et, bien sûr, de l’absence d’effets adverses. Cette avancée thérapeutique ouvre ainsi des perspectives pour les patients ne bénéficiant pas d’un donneur HLA identique et, à terme, pour ceux résidant dans un pays dans lequel la réalisation d’une allogreffe de moelle osseuse n’est pas possible, ce processus étant éminemment plus complexe que celui d’une autogreffe. Des progrès substantiels sont attendus en ce qui concerne les modalités du conditionnement et du recueil de cellules souches, et sur l’automatisation du procédé afin de rendre plus aisée sa diffusion à tous les pays confrontés à cette maladie dévastatrice.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Chélation martiale ou complexation du fer
References
1.
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2.
Ware RE, de Montalembert M, Tshilolo L, Abboud MR. Sickle cell disease . Lancet. 2017. Jan 31. pii: S0140–6736(17)30193–9.. doi: 10.1016/S0140-6736(17)30193-9.
3.
Ngo S, Bartolucci P, Lobo D, et al. Causes of death in sickle cell disease adult patients: old and new trends. ASH 56th annual meeting . Blood. 2014; ; 124 : :2715..
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Gluckman E, Cappelli B, Bernaudin F, et al. Sickle cell disease: an international survey of results of HLA-identical sibling hematopoietic stem cell transplantation . Blood. 2017; ; 129 : :1548.–1556.
5.
Angelucci E, Matthes-Martin S, Baronciani D, et al. Hematopoietic stem cell transplantation in thalassemia major and sickle cell disease: indications and management recommendations from an international expert panel . Haematologica. 2014; ; 99 : :811.–820.
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Cavazzana-Calvo M, Payen E, Negre O, et al. Transfusion independence and HMGA2 activation after gene therapy of human β-thalassaemia . Nature. 2010; ; 467 : :318.–322.
7.
Cavazzana-Calvo M, Hacein-Bey-Abina S, Fischer A. Dix ans de thérapie génique : réflexions . Med Sci (Paris). 2010; ; 26 : :115.–118.
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9.
Coulombel L. Le transgène anti-falciformation . Med Sci (Paris). 2002; ; 18 : :155.–165.
10.
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11.
Rossi A, Salvetti A. Intégration des vecteurs AAV et mutagenèse insertionnelle . Med Sci (Paris). 2016; ; 32 : :167.–174.