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Med Sci (Paris). 33(6–7): 570–573.
doi: 10.1051/medsci/20173306004.

Un nouveau modèle murin immunocompétent pour l’étude de l’infection par le virus de l’hépatite D

Dulce Alfaiate1* and David Durantel2,3

1Département de pathologie et immunologie, université de Genève, 1211Genève, Suisse
2Centre de recherche en cancérologie de Lyon, UMR Inserm U1052, CNRS UMR-5286, 69424Lyon Cedex 03, France
3Université Claude-Bernard Lyon 1, Lyon, France
Corresponding author.
Hépatite D, le virus et la maladie

L’organisation génétique du virus de l’hépatite D (VHD) est la plus simple de celles des virus infectant l’homme. Il s’agit d’un virus doublement défectif, qui utilise les ARN polymérases dépendantes de l’ADN de la cellule hôte pour la réplication de son ARN, et les protéines d’enveloppe de son virus auxiliaire, le virus de l’hépatite B (VHB), pour sa propagation intra- et inter-individus. Son ARN, circulaire et simple brin, contient un seul cadre ouvert de lecture qui code l’antigène delta (HDAg). Cette protéine, qui ne possède pas d’activité enzymatique, existe sous deux isoformes : petite ou S-HDAg – nécessaire à la réplication du génome – et grande ou L-HDAg – impliquée dans l’empaquetage de la ribonucléoprotéine virale dans les virions [1].

Parmi les 240 millions de porteurs chroniques du virus de l’hépatite B au niveau mondial, on estime que 15 à 20 millions sont également infectés par le virus de l’hépatite D. Cette double infection, appelée hépatite D ou delta, est considérée comme la forme la plus agressive d’hépatite virale chronique, avec une progression plus rapide vers la fibrose et la cirrhose, et un risque augmenté de carcinome hépatocellulaire (CHC), en comparaison avec une mono-infection chronique par le VHB [1]. Malgré cette évolution agressive de la maladie et sa pertinence clinique, nos connaissances des mécanismes moléculaires et immunologiques de la pathogenèse induite par la co-infection chronique restent limitées. Ceci s’explique en grande partie par l’absence de modèles expérimentaux d’infection, notamment chez de petits animaux. En effet, le VHB ainsi que le VHD ont un tropisme limité aux hépatocytes humains et donc une sélectivité d’hôte importante.

Modèles expérimentaux pour l’étude de l’infection par le VHD

Si l’homme est le seul hôte connu de l’infection naturelle par le VHB et le VHD, d’autres espèces peuvent cependant être infectées expérimentalement (Tableau I), notamment le chimpanzé et le toupaye de Belanger (Tupaia belangeri), un petit mammifère d’Asie ressemblant à un écureuil. Le VHD peut aussi infecter la marmotte américaine, en présence du virus de l’hépatite de la marmotte (WHV pour woodchuck hepatitis virus) comme virus auxiliaire. Les souris et les rats ne sont pas naturellement susceptibles à l’infection par le VHB ou le VHD. Cette limitation a été partiellement contournée par des techniques d’injection hydrodynamique1, de vecteurs plasmidiques ou AAV2 (vecteurs adéno-associés) contenant le génome du VHD. Cette approche a permis une réplication virale intrahépatique mesurable en l’absence du VHB, mais transitoire et sans propagation possible. Une virémie VHD a pu être établie en utilisant cette technique chez des souris transgéniques pour le VHB [2], mais toujours sans possibilité de propagation du VHD étant donnée l’absence du récepteur d’entrée humain (hNTCP, human sodium taurocholate cotransporting polypeptide ; voir ci-après) sur les hépatocytes murins [3]. Plus récemment, des modèles de souris ayant un foie « humanisé » ont été développés [4] (). Ces souris chimériques sont immunodéprimées pour permettre une repopulation du foie par des hépatocytes humains après induction de la dégradation des hépatocytes murins. Parmi les différents modèles actuellement disponibles, des infections chroniques concomittantes par le VHB et le VHD, avec une propagation efficace, ont pu être établies dans le modèle murin SCID/uPA (severe combined immunodeficiency / urokinase plasminogen activator) ou FRG (triple mutant Fah [fumarylacetoacetate hydrolase] / Rag2 [recombination activating 2] / Il2rg [interleukin 2 receptor subunit gamma]). Ces modèles, très prometteurs pour l’étude des mécanismes d’infection par le VHD et pour l’évaluation préclinique d’antiviraux, présentent néanmoins des limitations. D’une part, ils restent complexes et peu accessibles à la majorité des laboratoires. D’autre part, étant donné que ces souris ne présentent pas de système immunitaire fonctionnel, elles ne permettent pas, pour le moment, l’étude de la pathogenèse induite par le VHD, ni l’évaluation de stratégies immuno-thérapeutiques [5].

(→) Voir la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 6–7, juin-juillet 2011, page 587

Découverte du mécanisme d’entrée du virus et développement de nouveaux modèles

Le tropisme commun du VHB et du VHD repose sur l’utilisation, par les deux virus, des protéines d’enveloppe du VHB pour assurer leur entrée dans les cellules. Cette enveloppe est composée de trois formes de l’antigène de surface du VHB (HBsAg) – petite, moyenne et grande (S-, M- et L-HBsAg) – qui partagent leur extrémité C-terminale. M- et L-HBsAg présentent, en plus, un domaine N-terminal hydrophile, appelé préS2. L-HBsAg est constituée en plus d’un domaine supplémentaire, préS1. Son extrémité N-terminale, modifiée par myristoylation3, est le déterminant majeur de l’infectiosité des particules virales car elle inclut la région d’interaction avec le récepteur cellulaire [6]. Ce récepteur, hNTCP, a été identifié il y a cinq ans par le groupe de Wenhui Li, en Chine, comme étant le récepteur d’entrée chez l’homme. Cette protéine est exprimée exclusivement à la membrane basolatérale des hépatocytes différenciés et joue un rôle dans le transport des acides biliaires [7]. Alors que différents facteurs de restriction seraient impliqués dans le tropisme cellulaire du VHB, l’expression du récepteur hNTCP serait le seul facteur limitant pour le VHD. Dans les études initiales, seuls les récepteurs NTCP humain, du chimpanzé et du toupaye de Belanger, semblaient permettre l’infection par les virus VHB/VHD, alors que le NTCP murin (mNTCP) était capable d’interagir avec l’HBsAg, mais sans conduire à son internalisation, expliquant ainsi l’absence d’infection préalablement décrite dans les cellules murines.

Il a très rapidement été montré que l’expression du récepteur hNTCP dans des cellules de souris était suffisante pour les rendre susceptibles à l’infection par le VHD (mais pas par le VHB). Plusieurs lignées cellulaires d’origine murine ont alors été établies. Plus récemment, le premier modèle de souris immunocompétentes, susceptibles à l’infection par le VHD, a été développé grâce à l’obtention de souris transgéniques exprimant le récepteur humain hNTCP. Dans ce modèle, l’inoculation du virus à la naissance donne lieu à une infection aiguë associée à une forte induction de la réponse interféron. Seuls les nouveau-nés sont susceptibles à l’infection, ce qui est probablement dû à une compétition avec le récepteur murin mNTCP chez l’adulte. Malheureusement, dans ce modèle, seul 1 % des hépatocytes a été infecté. L’inoculation de cette souris transgénique avec le VHB n’a conduit ni à des niveaux réplicatifs détectables, ni à l’expression des protéines virales [8].

L’analyse approfondie de la comparaison des séquences des récepteurs NTCP dans différentes espèces a conduit à l’identification des régions du récepteur humain hNTCP indispensables à l’infection par le VHB et le VHD. En effet, la séquence d’acides aminés en position 157-165 de hNTCP est impliquée dans la fixation de la partie préS1 de la particule virale ; ses variations chez le macaque ou le porc semblent expliquer l’absence d’infection chez ces animaux [7]. Il faut souligner que, chez la souris, qui possède une séquence identique à l’homme, une fixation de préS1 au récepteur existe, mais sans qu’il y ait internalisation de la particule virale. Cela suggère l’implication d’une séquence additionnelle du récepteur humain hNTCP dans le processus d’entrée. Les groupes de Stephan Urban et Wenhui Li ont indépendamment démontré que trois résidus (en positions 84, 86 et 87 du récepteur hNTCP), différents chez la souris, étaient responsables de l’absence d’infection chez ces animaux. En effet, le remplacement de ces trois acides aminés dans la séquence du récepteur murin par ceux de la séquence humaine correspondante permet l’établissement d’une infection in vitro par le VHD [9, 10].

À la suite de ces études, le groupe de Li a très récemment décrit un nouveau modèle murin d’infection par le virus de l’hépatite D [11]. En utilisant une technologie d’édition 4 du génome de type TALEN (transcription activator-like effector nuclease), les auteurs ont créé des lignées de souris chez lesquelles les trois acides aminés précédemment décrits ont été remplacés par ceux présents chez l’homme aux mêmes positions (H84R, T86K et S87N). L’efficacité de cette modification a été validée ; cette souris peut être infectée par le VHD. La réplication du virus, particulièrement forte dans le foie des souris homozygotes pour le récepteur hNTCP, a été démontrée par la présence des formes génomiques et anti-génomiques de l’ARN viral. Contrairement à la souris transgénique exprimant le récepteur hNTCP, il a été possible de produire des infections chroniques même chez les animaux adultes, probablement en raison de la présence unique du récepteur NTCP muté, sans interférence avec le récepteur endogène. L’administration d’un anticorps neutralisant le virus préalablement à l’injection de ce dernier a empêché l’infection, validant l’utilité de ce modèle pour l’étude de stratégies d’inhibition.

Ce modèle permet, pour la première fois, l’établissement d’une infection chronique dans un contexte immunocompétent chez des animaux adultes. Son étude permettra sans doute une meilleure connaissance de la réponse immunitaire à l’infection et, à terme, de l’impact de l’infection par le virus de l’hépatite D dans la pathogenèse de la maladie hépatique, notamment dans la progression vers la cirrhose et/ou le carcinome hépatocellulaire.

Limites du nouveau modèle

Malgré ce progrès incontestable, certaines limitations existent encore. Premièrement, en raison de l’absence de propagation, la proportion d’hépatocytes infectés reste faible. En effet, alors qu’il est possible d’établir une infection avec le VHD en l’absence du VHB, la présence de ce dernier est indispensable pour la production de virions VHD et donc pour sa propagation à des cellules initialement non infectées. Ce problème ne sera pas résolu tant qu’une infection par le virus de l’hépatite B ne sera pas possible dans les hépatocytes murins. Dans les cellules murines, un facteur nécessaire à la constitution de la forme permanente d’ADN du VHB (ou ADNccc, pour ADN circulaire clos de façon covalente) à partir duquel la transcription a lieu, serait en effet absent [12]. D’après des études antérieures, une réplication du VHB à partir d’un transgène ou de l’injection hydrodynamique du génome viral, sans que de l’ADN circulaire (ADNccc) soit formé, est toutefois possible. Le croisement de la lignée de souris établie par le groupe de Li, avec des souris transgéniques pour le VHB, ou une approche de co-traduction avec des AAV-HBV, devrait permettre la propagation du virus de l’hépatite D à tout le foie.

Ce modèle aura une grande importance pour l’étude de la pathogenèse de l’hépatite delta in vivo et dans un contexte d’immunocompétence, tout en étant plus accessible que les modèles animaux à foie « humanisé ».

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Injection rapide d’un grand volume dans la veine caudale de l’animal.
2 Les AAV dérivent du parvovirus humain et sont des outils extrêmement efficaces pour le transfert de gènes in vivo.
3 Modification protéique co- ou post-translationnelle consistant en l’ajout d’un groupe lipidique dérivé de l’acide myristique sur une glycine en position N-terminale.
4 Modification, en français.
References
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