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Med Sci (Paris). 33: 49–54.
doi: 10.1051/medsci/201733s110.

Maladie de Charcot-Marie-Tooth
Éléments de rééducation fonctionnelle, kinésithérapie, ergothérapie

Patrick Sautreuil,1* Delphine Delorme,1 Anne Baron,2 Michèle Mane,1 Besma Missaoui,1 and Philippe Thoumie1

1Service de Rééducation Neuro-orthopédique, Hôpital Rothschild, Paris, France
2Samsah APF, Montpellier, France
Corresponding author.
 

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Bilans analytiques et fonctionnels, équilibre et marche, préhension et autonomie fonctionnelle

Toute prise en charge commence par des bilans articulaires (orteils, pieds et chevilles, mais aussi genoux, hanches et rachis, mains et membres supérieurs), musculaires, sensitifs (superficiel et surtout profond) et fonctionnels : qualité et quantité de marche, test sur 3 mètres (Time up and Go test) ou marche pendant 6 minutes (TM6), test d’équilibre monopodal, Functional Reach Test, marche « funambule », périmètre fonctionnel de marche (utilisation d’aides techniques, canne simple, canne anglaise, déambulateur, rollator), accès aux terrains irréguliers, montée et descente des escaliers (en enchaînant, marche par marche, avec ou sans aide des rampes). L’échelle d’évaluation de l’équilibre de Berg – 14 items côtés de 0 à 4 (Norme 56) – donne une valeur globale. Les pieds sont évalués au niveau podologique et de leur chaussage [3]. Les mains et la préhension sont évaluées en ergothérapie.

Bilans instrumentaux

Les bilans sont également instrumentaux : bilan de l’équilibre sur plate-forme de stabilométrie (yeux ouverts puis fermés, sur sol dur, sur mousse) ; bilan de la marche avec un Locomètre (rythme, amplitude du pas, symétrie, Figure 1 ) ; isocinétisme (évaluation du couple fléchisseurs/extenseurs des genoux et du rachis).

Proprioception

L’atteinte sensitive profonde affecte l’équilibre et la marche. Elle est évaluée cliniquement à l’aide d’un diapason et de la perception du mouvement des articulations.

L’équilibre s’évalue avec une plateforme de stabilométrie (Satel®, Figure 2A ) : sur sol dur puis sur mousse yeux ouverts et fermés (51,2 secondes), sur sol dur yeux ouverts, penché en avant puis en arrière (12 secondes). La plateforme enregistre la projection du centre des pressions. Le programme calcule le quotient de Romberg (surface du déplacement du centre de pression yeux fermés/yeux ouverts) et le quotient plantaire (surface sur mousse/sol dur). La plateforme différencie les appuis sur les pieds droit et gauche et permet de mettre en évidence des asymétries d’appui et d’équilibre.

Le même outil est utilisé pour la rééducation proprioceptive et de l’équilibre (Figure 2B). La répétition des enregistrements permet d’évaluer et de documenter l’évolution.

Isocinétisme

La rééducation sur machine isocinétique concerne les genoux (muscles ischio-jambiers et quadriceps) et les extenseurs/fléchisseurs du rachis (Figures 3 et 4). Le travail musculaire se fait en travail concentrique (rapprochement des extrémités musculaires, équivalent pour les quadriceps, à monter des escaliers) ou en excentrique (éloignement des extrémités du muscle, freination, comme dans la descente des escaliers).

Marche sur tapis roulant

La déambulation sur tapis roulant permet de faire varier et d’évaluer vitesse, pente et durée. On peut ainsi estimer le périmètre de marche, étalonner la fatigabilité et travailler l’endurance.

Travail sur cyclo ergomètre

Autre composante de la rééducation (dont certains patients s’équipent à domicile), le travail sur cyclo ergomètre est destiné aux membres inférieurs et/ou aux membres supérieurs (Figure 4).

Parmi les autres composantes de la rééducation, signalons la stimulation sensitive de la peau plantaire avec le Vibralgic® [4] (Figure 5).

Rééducation proprioceptive et parcours de marche

La rééducation proprioceptive consiste à faire marcher les patients sur des matériaux de textures et de densités différentes, sur des surfaces instables (trampolines), les yeux ouverts ou fermés ou bien encore avec des lunettes qui occultent une partie du champ visuel (inférieur ++). Cela permet de ré-enrichir des informations proprioceptives insuffisantes (versant sensitif de la maladie) jusqu’alors compensées par la vue. Même si, parallèlement au vieillissement, la qualité de la vue diminue, elle reste dans l’équilibre et la marche prédominante surtout en cas de déficit sensitif profond. La qualité et la complexité des parcours sont fonction de l’imagination du kinésithérapeute (Figure 6).

Relaxation

Le travail musculaire provoque des courbatures qui sont atténuées ou prévenues par l’utilisation d’un appareil qui réalise des vibrations à effet massant, le Fleximatic®.

Auto-entretien de la marche

Le patient a l’obligation de poursuivre dans sa vie quotidienne les exercices appris en rééducation (postures, étirements) et d’entretenir son périmètre de marche.

Parmi les auto-exercices conseillés, un accessoire fait de boules à picots réalise une stimulation sensitive superficielle de la plante des pieds (Figure 7).

Ergothérapie : bilan de la préhension

L’ergothérapie a pour rôle de préciser, par des bilans spécifiques, l’atteinte fonctionnelle des membres supérieurs comme par exemple les capacités gestuelles et les préhensions. Il est notamment important de pouvoir évaluer le degré d’atteinte de la musculature intrinsèque des mains (en souplesse, force et endurance) dont le retentissement fonctionnel impacte considérablement les prises fines, en particulier du côté dominant (écriture). L’apparition d’une griffe medio-ulnaire est une des caractéristiques fréquente de l’atteinte des mains dans la CMT.

Les mains et la préhension sont évaluées en ergothérapie : bilan fonctionnel de Kapandji (dont petite et grande courses des pouces), bilan générique du 400 points dont évaluation de la force de préhension (Figure 8A) ; test de dextérité du Purdue Pegboard ou du Nine Hole Pegboard (Figure 8B), bilan gestuel des membres supérieurs. Les différentes sensibilités analytique et fonctionnelle des mains sont également évaluées : sensibilité thermoalgique, sensibilité discriminative (ex : Two Point discrimination test et hand WeinsteinTM monofilaments), sensibilité proprioceptive statique et kinesthésique.

L’entretien de la qualité de la préhension est un enjeu pour l’autonomie dans la vie quotidienne. L’entraînement sensitivo-moteur consiste en un reconditionnement de la musculature intrinsèque et des préhensions fines. Au préalable, il est intéressant de faire un travail de détente musculaire de l’ensemble du membre supérieur (dont mobilité et stabilité de la scapula) et d’harmoniser les musculatures intrinsèques/extrinsèques des mains. La fabrication d’orthèses spécifiques et individualisées adaptées à chaque patient peut aider à cette prise de conscience (Figure 9).

Auto-entretien

L’auto-entretien, réalisé quotidiennement selon un programme appris au cours de l’hospitalisation de jour, est un facteur déterminant dans la préservation des capacités de préhension. Il commence par des étirements qui cherchent à éviter en priorité les rétractions des articulations du pouce et des doigts ainsi que du poignet (lutte contre la griffe des doigts et du pouce). En fonction de la force résiduelle des pouces et des mains, des pâtes de dureté différentes sont utilisées pour des prises globales ou orientées : extension des doigts, flexion des intrinsèques, flexion-extension et abduction-opposition du pouce (Figure 10). Le patient doit respecter les programmes déterminés lors du bilan ergothérapique et ne pas dépasser un niveau raisonnable de fatigue.

Le domicile

L’adaptation du domicile en fonction des capacités fonctionnelles des patients entre également dans les compétences des ergothérapeutes qui étudieront les différentes stratégies permettant de réduire les limitations d’activité : stratégies de compensation gestuelle, apport d’aides techniques ou d’aides humaines ou conseils de réagencement architectural.

Il en est de même pour une éventuelle adaptation des activités de loisirs (Figure 11), du poste de conduite automobile voire du poste de travail. La réussite de ces projets personnalisés et pluridisicplinaires repose sur la qualité d’échange en réseau (équipes spécialisées, MDPH…).

Conclusion

La prise en charge en médecine physique et de réadaptation des patients atteints de la maladie de Charcot-Marie-Tooth doit être précoce afin d’établir, après un bilan clinique des déficits articulaires, musculaires et sensitifs, grâce à des appareils dédiés, un programme spécifique pour chaque patient. Réalisée par des médecins de Médecine Physique, des kinésithérapeutes et des ergothérapeutes, elle garantit la préservation de la qualité de l’équilibre et de la marche, du périmètre de mobilité et des préhensions. Il prévient les chutes aux conséquences souvent catastrophiques. Il maintient une efficacité manuelle qui garantit l’indépendance dans la vie de tous les jours. Prolongée par l’auto-entretien quotidien, la prise en charge en hôpital de jour, renouvelée régulièrement, est le garant du maintien de la qualité de vie.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Dimitrova EN, Božinovikj I, Ristovska S, et al. The role of rehabilitation in the management of patients with Charcot-Marie-Tooth disease: report of two cases . Open Access Maced J Med Sci. 2016; ; 4 : :443.–448.
2.
Corrado B, Ciardi G, Bargigli C. Rehabilitation management of the Charcot-Marie-Tooth syndrome: a systematic review of the literature . Medicine (Baltimore). 2016; ; 95 : :e3278..
3.
Sautreuil P, Mane M, Missaoui B, et al. Premiers chaussages orthétiques dans la maladie de Charcot-Marie-Tooth . Med Sci (Paris). 2016; ; 32 ((hs2)) : :17.–21.
4.
Pazzaglia C, Camerota F, Germanotta M, et al. Efficacy of focal mechanic vibration treatment on balance in Charcot-Marie-Tooth 1A disease: a pilot study . J Neurol. 2016; ; 263 : :1434.–1441.