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Med Sci (Paris). 33(8-9): 691–694.
doi: 10.1051/medsci/20173308002.

La chimiokine CXCL12 et son récepteur CXCR4 dans le contrôle des infections par les papillomavirus humains
Nouveaux facteurs de susceptibilité à la pathogénie virale

Floriane Meuris,1 Agnieszka Jaracz-Ros,1 Françoise Gaudin,1,2 Géraldine Schlecht-Louf,1 Claire Deback,1 and Françoise Bachelerie1*

1Inflammation, chimiokines et immunopathologie, Inserm UMR 996, Fac. de médecine-Univ Paris-Sud, Université Paris-Saclay, Clamart, France
2US31-UMS3679, Plateforme PHIC, Institut Paris-Saclay d’Innovation Thérapeutique (IPSIT), Inserm, CNRS, Univ Paris-Sud, Université Paris-Saclay, Clamart, France
Corresponding author.
 

Les papillomavirus constituent une large famille de petits virus à ADN ayant co-évolué avec leurs hôtes (i.e. mammifères, oiseaux, reptiles et marsupiaux) dont ils infectent sélectivement les épithéliums malpighiens (comme la peau et les muqueuses), le plus souvent de manière asymptomatique [1]. De nombreux papillomavirus humains (HPV), près de 200 génotypes rapportés à ce jour, ont été isolés d’individus sains et identifiés comme des commensaux1 appartenant au microbiome viral [2]. L’existence de cet écosystème viral, révélé sur plusieurs sites anatomiques (comme la peau et les muqueuses oropharyngées et anogénitales) par des approches de séquençage métagénomique, est cohérent avec les caractéristiques du cycle biologique des papillomavirus. Leur réplication est en effet non-lytique et faiblement immunogène, une conséquence de leur dépendance aux processus de prolifération, de différenciation et de renouvellement des kératinocytes. Se pose la question de la physiopathologie de cet écosystème, de sa persistance et de son évolution en relation avec le statut immunologique de l’hôte.

Pathogénie des papillomavirus humains

La diversité de la communauté des papillomavirus humains et la coexistence de plusieurs génotypes au sein de lésions suggèrent l’existence de facteurs viraux et cellulaires pouvant influencer la persistance virale (comme l’interférence virale ou l’immunité croisée) [3] et, notamment, celle des génotypes considérés à haut risque (hr) oncogène. Les infections par HPV sont en effet étudiées pour leur rôle bien établi dans le développement de la majorité des cancers du col de l’utérus, de la plupart des autres cancers ano-génitaux et d’une partie des cancers oropharyngés. Les génotypes en cause dans les infections cutanées se manifestent sous la forme de lésions le plus souvent bénignes (comme les verrues). D’autres génotypes sont associés à des carcinomes cutanés de type non-mélanome à la faveur d’immunodépressions et sont considérés comme des facteurs de risque au développement de ces tumeurs dans la population générale. Responsables de près d’un demi-million de morts dans le monde chaque année, les cancers liés aux papillomavirus demeurent un enjeu de santé publique. Les programmes actuels de prévention des cancers fondés sur la vaccination sont un succès, mais ils ne sont accessibles qu’à certaines populations et leur fenêtre de protection est restreinte à certains génotypes HPV.

Physiopathologie des papillomavirus humains : des indices apportés par les immunodéficiences

Le devenir d’une infection virale est déterminé par les interactions qui s’établissent entre les protéines virales et celles de l’hôte. Ces interactions sont influencées à la fois par des facteurs intrinsèques (tels que la cellule cible et sa réponse à l’infection) et extrinsèques (comme le statut immunologique de l’hôte). Pour certains génotypes muqueux, plus particulièrement étudiés en raison de leur association avec les cancers cervicaux (comme les papillomavirus à haut risque de type 16 et 18, hrHPV16 et 18), l’expression dérégulée et persistante des oncogènes viraux et l’inefficacité de la réponse immunitaire sont des facteurs de risque pour la progression maligne. L’infection, à l’origine productive et asymptomatique, se transforme séquentiellement en une lésion bénigne, puis précancéreuse (dysplasie) ou cancéreuse (néoplasie) (Figure 1). Les génotypes HPV infectant l’épithélium cervical ne développeraient leur potentiel oncogène que dans certaines populations cellulaires de la jonction située entre l’exocol2 et l’endocol [4], suggérant l’importance de la nature de la cellule infectée et, plus généralement, la contribution de facteurs de susceptibilité à la pathogenèse virale. Comment ces mécanismes peuvent-ils être extrapolés à d’autres génotypes, et notamment à ceux responsables des infections cutanées, reste cependant une question ouverte compte tenu de la complexité d’étude de la biologie des papillomavirus [1]. À cet égard, la susceptibilité sélective à la pathogénie HPV qui caractérise certains syndromes d’immunodéficiences primaires (comme les lésions cutanées ou ano-génitales persistantes et le plus souvent cancéreuses) [5], peut apporter des éléments de compréhension. C’est le cas de l’épidermodysplasie verruciforme, qui se manifeste par l’apparition de nombreuses verrues pouvant dégénérer en des cancers de la peau dans les zones plus particulièrement exposées au soleil. L’association étiologique de ce syndrome avec des mutations des gènes codant les protéines EVER (epidermodysplasia verruciformis) 1 et 2 a démontré les rôles de celles-ci à la fois dans les réponses cellulaires (comme l’homéostasie du zinc) et systémiques de l’hôte (en particulier immunitaires) contre certains génotypes viraux. C’est également le cas moins étudié du WHIM3, un syndrome d’immunodéficience très rare, dont un des signes cardinaux est une susceptibilité sélective aux infections par les HPV, se révélant dans plus de 70 % des cas par le développement de verrues cutanées étendues et de papillomes ano-génitaux qui évoluent en cancers [6].

Dérégulation de la chimiokine CXCL12 et de ses récepteurs comme facteur de susceptibilité à la pathogénie virale

Le syndrome WHIM (SW) est causé par des mutations du récepteur CXCR4 (C-X-C chemokine receptor type 4) de la chimiokine CXCL12 (C-X-C motif chemokine 12), un récepteur couplé aux protéines G4. Ces mutations entraînent un gain de fonction du récepteur et une altération du processus de désensibilisation (c’est-à-dire l’inactivation des protéines G et l’internalisation du récepteur). L’axe de signalisation CXCL12/CXCR4 est modulé par CXCR7 (ou ACKR3, atypical chemokine receptor 3), le second récepteur atypique de CXCL12, très conservé chez les vertébrés. Cet axe a été caractérisé dans des modèles murins comme étant essentiel au développement embryonnaire et impliqué dans des processus homéostatiques mais aussi inflammatoires, infectieux et cancéreux à l’âge adulte. L’expression de CXCL12 et de ses deux récepteurs n’est en effet pas restreinte aux cellules hématopoïétiques. Au-delà de ses fonctions princeps dans le trafic des leucocytes entre le sang périphérique et les tissus lymphoïdes, ce trio participe à la régulation de l’adhérence, la chimiotaxie, la survie et la prolifération de nombreux types cellulaires [7]. Un modèle murin original du SW a apporté la démonstration du rôle étiologique des dysfonctions de CXCR4 dans la pan-leucopénie caractéristique du syndrome. Ces dysfonctions font suite à des anomalies de développement, de localisation et de migration des cellules lymphoïdes et myéloïdes. La contribution de ces anomalies à la pathogénie virale s’exerce au niveau extrinsèque, traduisant un rôle de ces cellules dans la réponse immune, comme le suggère la rémission d’un patient SW suite à un accident génétique rare (une chromothripsis5) qui a eu pour bénéfice une reconstitution de la lignée myéloïde [8]. Elle s’exerce aussi localement, en entretenant une inflammation chronique des épithéliums infectés, favorisant ainsi la néoplasie induite par les virus à haut risque oncogène hrHPV [9].

De façon plus inattendue, nous avons mis en évidence un rôle de CXCL12 et de ses récepteurs dans la pathogénie d’HPV au niveau intrinsèque, c’est à dire à l’échelle du kératinocyte infecté (Figure 1). En effet, la présence anormale de CXCL12 dans les lésions HPV cutanées et muqueuses provenant de patients atteints du SW mais aussi d’individus issus de la population générale, nous a permis de formuler l’hypothèse selon laquelle l’axe CXCL12/CXCR4-ACKR3 pouvait participer à la pathogénie virale. L’activation autocrine de cet axe de signalisation, qui s’instaure dans des kératinocytes primaires immortalisés par hrHPV18 ou 16 comme conséquence de l’expression des oncogènes viraux, s’avère être essentielle à la prolifération, la survie et la migration de ces cellules. Quand ce processus prend place dans le contexte de l’expression du mutant gain de fonction de CXCR4 associé au SW (c’est-à-dire CXCR4WHIM), il confère à ces kératinocytes immortalisés des propriétés transformantes in vivo qu’ils n’ont pas lorsqu’ils expriment le récepteur CXCR4 sauvage [10, 11] ().

(→) Voir la Nouvelle de E. Brotin et al., m/s n° 4, avril 2011, page 341

Ces résultats identifient donc les dysfonctions de CXCR4 comme des cofacteurs de la carcinogénèse associée aux papillomavirus. Ils font écho aux dérégulations d’expression et de fonction de CXCL12 et de ses récepteurs, rapportées dans différents types de tumeurs, et qui participent au développement et à la dissémination de celles-ci [7].

Rôle de l’axe CXCL12/CXCR4 dans le contrôle de la réplication virale

Afin de déterminer le rôle de l’axe CXCL12/CXCR4 dans le contrôle du cycle réplicatif des papillomavirus, nous avons développé des cultures organotypiques tridimensionnelles (3D) de kératinocytes. Ces cultures ont constitué un jalon important de l’étude de la biologie de ces virus dont la réplication est étroitement liée à la dynamique de prolifération/différenciation des kératinocytes [12]. Les cultures 3D de kératinocytes exprimant le récepteur CXCR4 sauvage permettent le cycle réplicatif complet d’hrHPV18, associé à un profil d’expression finement régulé des protéines virales jusqu’à la production de virions infectieux. En revanche, bien que l’expression du mutant CXCR4WHIM ne modifie pas la topologie subcellulaire des cultures 3D, elle dérégule l’expression des oncogènes viraux, favorisant leur stabilisation aux dépens de la réplication virale. Ces dérégulations sont associées à des changements cellulaires comme l’altération de la prolifération et de la mort cellulaire indicatifs d’un processus de carcinogenèse en cours. Bloquer le gain de fonction du récepteur mutant, notamment en utilisant un antagoniste sélectif de CXCR4 (comme l’AMD3100) lors de la stratification des cultures 3D, inverse ce processus, normalisant la prolifération cellulaire et le patron d’expression des protéines virales associées au cycle réplicatif d’HPV [12].

Conclusions

L’ensemble de ces données révèle que CXCL12 et ses récepteurs participent au contrôle exercé par l’hôte sur le cycle biologique des papillomavirus comme conséquence de leurs fonctions dans l’homéostasie épithéliale (telles la prolifération et la survie des kératinocytes) et immunologiques (comme la migration et la localisation des leucocytes) et apparaissent ainsi comme de nouveaux facteurs de susceptibilité à la pathogénie virale.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Un organisme commensal est un organisme qui vit aux dépens d’un autre, mais qui ne lui cause pas de dommage.
2 Le col de l’utérus ou cervix est constitué de l’exocol, partie externe du col visible à l’examen, et l’endocol, partie interne du col de l’utérus permettant de faire communiquer l’exocol et l’endomètre (couche de cellules recouvrant l’intérieur de l’utérus).
3 Le syndrome WHIM (Warts - hypogammaglobulinemia - infections - myelokathexis) est un déficit immunitaire autosomique dominant congénital principalement caractérisé par une lymphopénie, une neutropénie et une myélokathexie (présence anormalement élevée de neutrophiles matures dans la moelle osseuse) associées à une susceptibilité aux infections par les papillomavirus humains.
4 CXCL12 est une chimiokine de type CXC (C-X-C motif) qui se lie aux récepteurs CXCR4 et CXCR7, également nommé ACKR3.
5 chromothripsis : remaniement chromosomique massif.
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