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Med Sci (Paris). 33(11): 936–939.
doi: 10.1051/medsci/20173311007.

Nectine-4
Un biomarqueur pronostique et une cible thérapeutique potentielle dans le cancer du sein triple-négatif

Manel M-Rabet,1 François Bertucci,2,3 Daniel Birnbaum,2 and Marc Lopez2*

1Inserm, U1068, CRCM (Centre de recherche en cancérologie de Marseille), Équipe immunité et cancer, Université d’Aix-Marseille, UM 105, Institut Paoli-Calmettes, CNRS, UMR7258, Marseille, France
2Inserm, U1068, CRCM, Équipe oncologie moléculaire, Université d’Aix-Marseille, UM 105, Institut Paoli-Calmettes, CNRS, UMR7258, 27, boulevard Lei Roure, 13009Marseille, France
3Département d’oncologie médicale, Université d’Aix-Marseille, UM 105, Institut Paoli-Calmettes, Marseille, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Molécules d'adhérence cellulaire, Femelle, France, Humains, Pronostic, Tumeurs du sein triple-négatives, analyse, effets des médicaments et substances chimiques, génétique, composition chimique, thérapie

 

Avec 49 000 nouveaux cas et 12 000 décès par an1,, le cancer du sein est un problème de santé publique en France. L’hétérogénéité clinique qui le caractérise est associée également à une hétérogénéité moléculaire, que révèlent les technologies dites omiques 2 [1] ().

(→) Voir la Nouvelle de F. Bertucci et D. Birnbaum, m/s n° 3, mars 2012, page 14

Ces méthodes ont permis, en effet, d’améliorer notre compréhension de la maladie et de définir des sous-types moléculaires associés au pronostic. Elles ont également vocation à orienter la décision thérapeutique. Pourtant, celle-ci est encore principalement conditionnée par l’étude, en immunohistochimie, du niveau d’expression des récepteurs hormonaux des œstrogènes (RE) et de la progestérone (RP), et de la protéine oncogénique HER2/ERBB2 (human epidermal receptor growth factor 2). Sur cette base, trois sous-types principaux sont décrits en clinique : Le luminal (environ 45 % des cas ; de phénotype [RE+/RP+/HER2-]) sensible à l’hormonothérapie anti-œstrogène ; le sous-type HER2 (environ 25 % des cas ; de phénotype [RE-/RP-/HER2+]) sensible aux thérapies ciblant l’oncogène HER2, dont l’anticorps herceptin/trastuzumab ; et le sous-type triple négatif ou TN (environ 20 % des cas ; de phénotype [RE-/RP-/HER2-]) pour lequel il n’existe pas de thérapie ciblée, et dont le seul traitement systémique repose sur la chimiothérapie à base d’anthracycline et de taxane.

C’est dans ce contexte que nous avons récemment décrit un nouveau biomarqueur pronostique du sous-type TN (RE-/RP-/HER2-), appelé nectine-4, et montré son potentiel comme cible thérapeutique.

Cancer du sein TN

Le sous-type TN (RE-/RP-/HER2-) est un cancer du sein agressif, d’évolution rapide, avec moins de 70 % de survie à 5 ans [2]. Les études fondées sur des approches de type omique ont permis de progresser dans la classification de ce cancer, son pronostic et surtout dans l’identification de cibles « actionnables »3. Au début des années 2000, des études ont en effet permis de montrer, sur la base de l’expression génique des cellules tumorales, que le sous-type TN présentait un phénotype assez proche de celui de l’épithélium basal/myoépithélial mammaire (appelé basal-like ou BL) [3]. Plus récemment, plusieurs classifications moléculaires du sous-type TN ont été proposées [4, 5]. Le sous-type TN a alors été subdivisé en six entités moléculaires [5] : deux sous-groupes BL(basal-like)1 et 2, deux sous-groupes mésenchymateux, M (mesenchymal-like) et MSL (mesenchymal stem-like), un sous-groupe immunodulateur (I), et un sous-groupe LAR (luminal androgen receptor). Ces sous-groupes TN peuvent être éligibles à des thérapies ciblées, comme l’hormonothérapie anti-androgène pour le sous-groupe LAR, ou l’immunothérapie.

D’autres anomalies génomiques « actionnables » du sous-type TN offrent de nouvelles options thérapeutiques. Ces anomalies contribuent à la dérégulation de voies métaboliques clés impliquées dans la réparation de l’ADN, la prolifération et le cycle cellulaire. Parmi les plus fréquentes, on notera les mutations du gène TP53 retrouvées dans 60 à 80 % des cas [6]. Viennent ensuite les gènes de la voie PI3K/AKT/mTOR (phosphatidylinositol-3-kinase/protein kinase B/mammalian target of rapamycin) et le régulateur négatif PTEN (phosphatase and TENsin homolog) (dans environ 10 % des cas) impliqués indirectement dans le contrôle du cycle cellulaire [6]. Les gènes BRCA (breast cancer)1 et 2 qui contribuent au contrôle de la stabilité et de l’intégrité du génome sont plus rarement mutés [7]. Des thérapies ciblées contre les protéines codées par ces gènes sont actuellement testées en recherche clinique dans le sous-type TN avancé.

Le sous-type TN se singularise aussi des autres sous-types par un taux d’infiltration lymphocytaire tumorale plus important [8]. L’activité cytotoxique de ces lymphocytes infiltrant la tumeur est inhibée par la liaison de molécules-ligands, exprimées à la surface des cellules tumorales (comme PD-L1 [programmed death-ligand 1], B7-1/B7-2 [CD80/CD86]), à leurs récepteurs inhibiteurs de l’activation des lymphocytes T impliqués dans la tolérance du soi (récepteurs de point de contrôle immunitaire : PD-1 [programmed cell death-1], CTLA-4 [cytotoxic T-lymphocyte-associated protein 4 ou CD152] respectivement). Des biothérapies utilisant des anticorps humanisés sont développées en clinique pour bloquer ces interactions et rétablir l’activité cytotoxique des lymphocytes T [9].

Plusieurs médicaments sont donc en développement pour le sous-type TN. Cependant, le traitement systémique actuel ne repose que sur la chimiothérapie cytotoxique classique. Nous avons identifié la nectine-4 comme un biomarqueur de surface du sous-type TN, éligible au traitement par immuno-conjugué et des développements cliniques sont en cours [10].

La nectine-4

La nectine-4 est une molécule d’adhérence de la famille des nectines qui est constituée de quatre membres. Les protéines nectine appartiennent à la superfamille des immunoglobulines : elles présentent trois domaines structuraux extracellulaires apparentés à ceux des immunoglobulines. Leur région cytoplasmique est impliquée dans des fonctions de signalisation et permet également leur ancrage au cytosquelette d’actine, au niveau des jonctions adhérentes épithéliales via une protéine échafaudage appelée afadine [11]. Les molécules de nectine forment des cis-dimères à la surface d’une cellule via leur domaine extracellulaire. Ces cis-dimères forment des trans-interactions homophiliques (entre deux molécules identiques) et hétérophiliques (entre deux molécules différentes : nectine et autres molécules apparentées) entre les cellules adjacentes [12] ().

(→) Voir la Synthèse de G. Fournier et al., m/s n° 3, mars 2010, page 273

Les protéines nectine initient les premiers contacts entre cellules adjacentes et contribuent au recrutement de cadhérines, puis à la formation et à la stabilisation des jonctions adhérentes (JA). Des mutations de la nectine-4, ou de son contre-récepteur, la nectine-1, ont été décrites. Elles ont été impliquées dans des syndromes de dysplasie ectodermique chez l’homme [13]. Une altération structurale de l’organisation des JA épithéliales caractérise ces syndromes.

L’expression de la nectine-4 est retrouvée au niveau de l’ectoderme embryonnaire chez l’homme. À la différence des autres membres de cette famille, son expression est rare dans les tissus adultes. La nectine-4 a été récemment identifiée comme le récepteur épithélial du virus de la rougeole [14]. Exprimée à la surface basolatérale des cellules épithéliales de la trachée, elle supporte l’émergence du virus dans les voies respiratoires, au cours des étapes tardives de l’infection, contribuant, lors d’expectorations, à la contagiosité élevée du virus. La nectine-4 est le premier récepteur identifié comme récepteur du virus pour sa sortie de l’hôte [15] ().

(→) Voir la Nouvelle de M. Mateo et M. Lopez, m/s n° 4, avril 2012, page 363

Un nouveau biomarqueur et une cible thérapeutique du cancer du sein TN

Certains membres de la famille des nectines constituent une nouvelle classe d’antigènes tumoraux potentiellement éligibles comme biomarqueurs et cibles thérapeutiques [12]. La nectine-4 a été décrite comme un antigène tumoral, dans différents carcinomes, comme les carcinomes du sein, de l’ovaire et du poumon. Nous avons analysé l’expression transcriptionnelle du gène PVRL4 qui code la nectine-4, dans une série regroupant 5 673 cancers du sein invasifs au diagnostic. Une association entre l’expression de PVRL4 et celle du groupe de gènes caractérisant le sous-type basal-like a été retrouvée. Elle est corrélée à un pronostic péjoratif au sein du sous-type TN, et ce de manière indépendante des facteurs pronostiques classiques [10]. L’analyse par immunohistochimie confirme la forte expression de nectine-4 dans deux-tiers des cancers du sein TN. Dans des modèles in vitro et in vivo, son expression ectopique dans les cellules tumorales mammaires augmente leurs capacités migratoires, invasives et tumorigènes, en accord avec l’impact pronostique défavorable en clinique. L’ensemble de ces propriétés nous a permis de proposer que la nectine-4 pourrait être une cible thérapeutique dans le sous-type TN. Son expression rare dans les tissus sains adultes, sa présence à la surface des cellules tumorales, ses propriétés pro-oncogéniques associées à un mauvais pronostic, et le fait qu’elle soit internalisée au cours de l’infection virale, nous ont orientés vers le développement d’un outil thérapeutique de type immuno-conjugué.

Un immuno-conjugué, en anglais antibody-drug conjugate (ADC), est constitué d’un anticorps couplé à une drogue, via un agent de liaison chimique ( Figure 1A ). Un ADC correspond donc à une chimiothérapie ciblée (via un antigène spécifique) par opposition à la chimiothérapie classique qui touche toutes les cellules, cancéreuses et normales, le but étant de réduire la toxicité de la chimiothérapie tout en augmentant son efficacité. Cette dernière est conditionnée en partie par les niveaux d’expression de la cible et, également, par la possibilité pour la molécule d’être internalisée par endocytose puis dégradée au niveau lysosomal, ce qui aboutit à la libération de la drogue dans la cellule. Des stratégies analogues fonctionnent. Ainsi, le Kadcyla/trastuzumab-DM1, également un ADC, a reçu une autorisation de mise sur le marché dans le traitement du cancer du sein HER2+ réfractaire au trastuzumab.

Nous avons produit un ADC anti-nectine-4 et démontré que l’on pouvait réduire, voire même faire disparaître, après un seul traitement, les tumeurs TN isolées de patientes, greffées chez des souris, au niveau de la glande mammaire [10] ( Figure 1B ), et cela de façon rapide et durable. Ce type de réponse a été également observé sur des rechutes locales, ainsi que sur des lésions métastatiques. Dans tous les cas, le niveau de la réponse tumorale dépend de la dose injectée, mais également du niveau d’expression de la nectine-4 dans la tumeur greffée.

Ces résultats sur des modèles précliniques proches de la physiopathologie sont très prometteurs. Ils ont incité le laboratoire à développer un nouveau médicament actuellement en phase de développement préclinique chez l’animal. Il pourrait représenter une nouvelle arme dans l’arsenal thérapeutique du cancer du sein TN. Son utilisation pourrait s’étendre au-delà du cancer du sein TN, puisque la nectine-4 est exprimée à la surface de cellules pathologiques d’autres cancers de mauvais pronostic, comme les carcinomes de l’ovaire et du poumon.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Données de l’Institut National du Cancer.
2 Technologie omique : analyse à haut débit permettant une mesure globale des processus moléculaires impliqués dans le développement des cancers, dans le but d’améliorer la prise en charge de la maladie (classification, pronostic et traitement).
3 Cible actionnable : cible moléculaire impliquée dans le développement de la tumeur pour laquelle il existe un médicament spécifique capable de bloquer son activité.
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