Contextes de l’activité physique et sportive en France

2008


ANALYSE

1-

Jalons historiques des pratiques physiques et sportives

Les origines du « sport », en France, sont à la fois nombreuses et anciennes (instruction militaire, gymnastique scolaire, sport de l’aviron, sports athlétiques…). La question des origines est à rapprocher de celle relative aux fondements des politiques du sport en France mais elle ne saurait s’y limiter. Au tout début des années 1920, les politiques publiques sportives croisent une autre histoire : celle de la pratique associative des sports (pour l’essentiel les Athletics importés d’Outre-Manche), engagée dans les années 1880 et redynamisée avec l’entrée en vigueur de la loi sur la liberté d’association du 1er juillet 1901. On peut situer autour de 1850 le début de l’ensemble des gymnastiques (gymnastique : de salon, de maintien, corrective, orthopédique…), la gymnastique par l’Armée ou encore la gymnastique dans le système scolaire1. .
Composantes importantes de la société civile, les associations sportives vont poursuivre leur développement tant elles sont soucieuses de leur autonomie, voire même de leur indépendance. Au contact de la puissance publique, elles vont contribuer à améliorer un nouvel espace culturel et éducatif de participation sociale, d’initiative, de concertation et de contractualisation autour du sport (Callède, 2001renvoi vers).

Évolution contextuelle des pratiques sportives en France

Le contexte socio-historique de la pratique sportive en France peut se subdiviser schématiquement en deux grandes phases d’évolution :
• une phase initiale de développement des clubs civils antérieure à l’implication directe de la puissance publique dans le domaine sportif (1880-1920) ;
• une longue période de soutien – et d’accompagnement par étapes successives – de l’action sportive des clubs civils par les pouvoirs publics (à partir des années 1920) jusqu’à aujourd’hui. Les années 2000 témoignent d’une différenciation sociale des formes de l’activité sportive, avec des pratiquants de plus en plus nombreux, tandis que les aides de la puissance publique (l’État, les communes, les autres collectivités territoriales) n’ont jamais été aussi importantes.
Les dirigeants en charge du mouvement sportif pensent aujourd’hui qu’il faut « défendre l’unité du sport », depuis l’activité physique la plus modeste jusqu’au plus haut niveau de la compétition internationale… Cette unité peut en effet se concevoir autour de l’adhésion à des valeurs partagées. Cependant, la mise en avant de l’unité du sport peut, pour certains, justifier une position hégémonique du modèle de la compétition (sélection des meilleurs parmi les jeunes, performance, titres internationaux…) et masquer l’exigence légitime d’une activité physique régulière pour le plus grand nombre.

Phase de genèse

Différents modèles organisationnels d’exercice physique préexistent à l’implantation des sports athlétiques. Il s’agit, pour ne mentionner que les plus répandus, de la gymnastique, du tir, de l’escrime, de la vélocipédie, du canotage et de l’aviron. Il existe également la longue histoire de la prise en considération des exercices physiques par l’Armée (la marche, la nage, l’escrime, l’équitation, la gymnastique…) (Spivak, 1972renvoi vers). Il faut mentionner enfin l’enseignement de la gymnastique au sein de l’institution scolaire, en particulier dans les collèges et les lycées (Arnaud, 1991renvoi vers), qui va s’ouvrir progressivement aux jeux de plein air au tournant des années 1890. Dans ce contexte, plusieurs influences sont perceptibles, susceptibles de créer des tensions et des oppositions. L’Annuaire de la jeunesse2 , qui est une sorte de guide des études et de répertoire des établissements d’enseignement, s’en fait l’écho : « La question de l’éducation physique peut revêtir trois aspects principaux ; on peut la considérer au point de vue athlétique, au point de vue militaire, au point de vue hygiénique » (p. 3). Ainsi s’exprime respectivement, l’influence de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports athlétiques) dans laquelle s’implique activement Pierre de Coubertin, l’influence de l’École de Joinville et des professeurs de gymnastique formés dans la mouvance pédagogique de l’Union des sociétés de gymnastique de France et la corporation des médecins dont certains sont fermement acquis à la gymnastique suédoise.
Une dizaine d’années plus tard, l’Exposition universelle de Paris fournit l’occasion d’organiser une importante exposition de l’économie sociale (et d’accueillir les 2e Jeux Olympiques, 1900). L’économiste Charles Gide est en charge du rapport de synthèse de cette exposition qui traite de l’économie non marchande3 . Deux points méritent d’être rappelés : tout d’abord, les institutions sociales présentes rassemblent toutes les œuvres, sociétés de secours mutuel ou de prévoyance, coopératives… fondées à l’initiative du mouvement associatif, du patronat ou de la puissance publique ; l’auteur choisit, pour illustrer la vie associative, de présenter la composition détaillée de 7 500 associations sportives4 (p. 42 et 43).

Évolution de la pratique sportive : les différents modèles

La deuxième période se caractérise par quelques étapes clé qui marquent l’évolution socio-historique du contexte de la pratique sportive. Jusqu’au milieu des années 1920, le modèle organisationnel le plus répandu est celui du club sportif (qui est souvent un club omnisports). Dans la mesure du possible, ce club s’efforce de devenir propriétaire de ses propres installations (siège, terrains de sports, vestiaire avec douches et sanitaires). Il s’agit du modèle associatif patrimonial.
Les élections municipales de 1925 marquent un nouveau jalon dans l’organisation locale du sport. Diverses municipalités urbaines sont conquises par la gauche. Celle-ci a inscrit les questions de l’éducation physique et de la culture dans son programme. Dans les deux mandats municipaux qui vont suivre (jusqu’en 1929, à partir de 1929…), l’équipement communal s’enrichit : stade, gymnase, piscine, salle dite d’éducation physique et de gymnastique médicale, centres aérés. C’est le modèle municipal d’équipement communal. Le gouvernement du Front populaire permettra de généraliser ces initiatives afin de les étendre à l’ensemble du territoire (pour l’essentiel des communes urbaines). Durant ces années de l’entre-deux-guerres, les directions de quelques grandes entreprises vont inscrire l’éducation physique, les sports et le contrôle médical au programme de leurs œuvres sociales (Pinot, 1924renvoi vers). Ce modèle paternaliste s’inscrit souvent dans une gestion globale – et contrôlée – de la population des salariés de l’entreprise5 .
Durant la courte période du Front populaire (1936-1938), la prise en considération de la santé et du contrôle médical, au sein des associations sportives, résulte en grande partie de l’incitation des pouvoirs publics.
En résumant l’enchaînement des faits politiques, concernant la situation de la pratique sportive en France, à la veille de l’avènement de la Ve République (1958), l’essentiel de la pratique sportive se limite aux jeunes, principalement la jeunesse scolarisée, avec un net avantage pour les garçons par rapport aux filles. Les années 1960 vont connaître plusieurs changements :
• la modernisation du « système sportif » engagé par Maurice Herzog, alors Ministre des sports ;
• la crise du modèle associatif patrimonial ; les installations sportives ne répondent plus à la demande sociale ;
• la mise en place d’une politique municipale d’équipement sportif communal (surtout dans les villes de banlieues où l’habitat collectif est dense).
Un troisième modèle d’organisation de la pratique sportive se met en place : le modèle de coopération normalisée, qui conduit à rationaliser les efforts des partenaires en présence. L’action sportive locale se définit schématiquement par deux acteurs institutionnels mobilisant chacun des ressources propres. La municipalité fournit les équipements sportifs, avec les agents chargés de leur maintenance et les subventions aux clubs. Pour leur part, les clubs sportifs favorisent l’encadrement bénévole des sports et la transmission du modèle culturel du sport par l’apprentissage des disciplines sportives. Coexistent un modèle « communal » qui reconnaît la prépondérance des municipalités dans l’action sportive locale, et un modèle « libéral » qui privilégie son propre réseau d’influence sans s’opposer cependant au pluralisme associatif.
Jusqu’à la fin des années 1960, le contrôle médico-sportif assuré en tant que service public dans différentes antennes locales fonctionne de manière efficace. Pour sa part, Gildas Loirand interprète cette réalité comme étant caractéristique d’une conception fortement coercitive du rôle de l’État, face aux risques physiques qui accompagnent la pratique de la compétition sportive6 . L’élan va cependant tourner court. Sinon, comment comprendre la banalisation de cette obligation de surveillance médicale dans les années qui suivent, alors même que l’accent est mis sur la compétition sportive ? En effet, on sait qu’ultérieurement le contrôle médico-sportif, réduit au certificat médical annuel (sérieux, de complaisance, voire délivré de façon quasi automatique…), va perdre peu à peu son caractère d’obligation, faute de contrôle. Ceci n’est pas sans conséquence. La modernisation de l’offre d’activité physique et sportive (APS) doublée d’une meilleure inscription dans des préoccupations de santé – l’ajustement à une demande sociale croissante – aurait pu être un bon outil pédagogique et « associatif » de santé publique.
Par ailleurs, c’est essentiellement le sport de compétition qui est valorisé, autrement dit le sport d’une minorité (de jeunes) au sein d’une population qui s’adonne aux activités sportives ou qui souhaiterait accéder à des activités de détente et d’entretien physique.

Évolutions observables depuis les années 1980

Durant les années 1980, le modèle prévalent depuis une vingtaine d’années, est traversé par diverses tensions. Il connaît tout à la fois une crise d’identité (avec la montée du professionnalisme et la place grandissante des enjeux financiers par exemple), de croissance (avec l’augmentation des adeptes d’activités physiques et sportives), de légitimité idéologique également. En effet, de « nouveaux publics » apparaissent (gymnastique volontaire, activités sportives de loisir…) et demandent d’accéder aux installations sportives (vestiaires, piscine, gymnase…). Les associations souhaitent bénéficier d’une subvention annuelle honorable. La différenciation sociale des formes organisées de la pratique sportive va en s’accentuant. Les clubs professionnels ou des sections professionnelles de certains clubs omnisports s’éloignent du sport de masse, et a fortiori du sport pour tous ou des activités d’entretien physique. Par ailleurs, la massification de la pratique sportive en particulier au cours des loisirs s’accompagne d’accidents et de traumatismes qui deviennent un sujet de préoccupations pour les médecins (Koralstein, 1986renvoi vers), et engendre de nouvelles dépenses de santé publique (sécurité sociale, mutuelles et assurances). La mise en place de programmes successifs de prévention de la délinquance juvénile par le sport dans les quartiers dits « sensibles » va couvrir un autre domaine d’animation qui n’a aucun équivalent dans les décennies passées.
Les clubs sportifs d’entreprise et l’activité sociale des comités d’entreprise (ces derniers ayant été instaurés par le législateur à la Libération) composent un autre modèle organisationnel pour promouvoir les activités physiques et sportives. Leur essor contribue à la démocratisation des loisirs et à l’innovation pédagogique, voire même à la recherche7 . À partir de la fin des années 1980, ces clubs vont être affectés par les transformations de la vie économique et la baisse sensible, à l’échelle du pays, d’une implication des syndicats.
La volonté du Mouvement olympique (le Comité national olympique et sportif français, CNOSF) est d’agir sur l’ensemble de l’échelle des niveaux de pratique du sport, ainsi que l’indique sans ambiguïté son président, Nelson Paillou8 . « Quelles obligations nous dictent les communes ? Tout d’abord le sport pour tous. Je suis obligé de me battre dans le mouvement sportif pour faire comprendre aux fédérations que le sport pour tous est important. Je le distinguerai du sport de masse. Le sport de masse se pratique dans un club avec de la petite compétition de championnat. Le sport pour tous, c’est le sport de tous les âges, le sport ludique, le sport-jeu, c’est vivre son corps, c’est le sport-santé, c’est le sport-équilibre » (p. 9). Cependant, ce discours ne s’accorde pas avec ce qui est observé. D’une part, le sport de compétition reste prioritaire, d’autre part, les adeptes du « sport pour tous » n’entendent pas adhérer aux clubs sportifs.

Situation actuelle

Le contexte de la pratique sportive se compose aujourd’hui de la compétition sportive de masse organisée par les clubs, du secteur du sport de haut niveau qui relève désormais de clubs plus ou moins professionnels et l’activité physique des sportifs non affiliés à une association. À ces composantes, vient s’ajouter le sport scolaire pratiqué sur une base volontaire dans les établissements de l’enseignement secondaire (en dehors des heures obligatoires d’éducation physique et sportives).
Les récentes enquêtes statistiques montrent que plus de deux pratiquants « sportifs » sur trois ne possèdent pas d’affiliation à un groupement. Il y a autant de non pratiquants d’une activité physique qu’il existe de sportifs engagés dans la compétition. La collectivité devrait être à même de proposer aux uns comme aux autres une offre incitative et de qualité. Elle pourrait par ailleurs accompagner l’engagement des personnes dans une activité régulière d’entretien physique par des guides pédagogiques appropriés et attractifs (Labadie, 1987renvoi vers). Au niveau local, force est de constater que les mesures prises en faveur d’une activité physique et sportive pour tous sont très inégales.
À l’échelle de la commune, en dehors du sport professionnel, on peut identifier plusieurs types de « services » publics qui recoupent les modèles déjà présentés :
• un courant associatif simple : c’est le modèle le plus ancien mais il peut s’agir aussi d’un courant émergent lié à l’initiative prise par un groupe de personnes ;
• un courant associatif contractuel structuré sur la base d’une convention d’objectif liant le(s) club(s) et la municipalité ;
• un modèle municipal de service direct à la personne qui vient compléter le modèle précédent comme la mise sur pied d’une école municipale de natation, d’une école multisports encadrée par des agents municipaux…
L’offre commerciale privée (gymnases clubs, clubs de remise en forme…) constitue un autre modèle d’organisation. Des études récentes montrent comment cette offre lucrative s’adapte à l’évolution de la demande sociale : diversification des services, convivialité, proximité du lieu de travail. Elle a été également bien étudiée par Olivier Bessy qui lui a consacré une thèse de sociologie (Bessy, 1990renvoi vers).
Un nouveau modèle, que le sociologue Antoine Haumont appelle « l’individualisme sportif de masse » (Haumont, 1987renvoi vers)9 se dessine. Il pourrait être à l’origine de changements significatifs dans l’amélioration du cadre de vie. Les sportifs (individuels, familles, groupes d’amis) revendiquent dans les villes la mise en place d’un réseau cohérent de pistes cyclables, l’aménagement de parcours (pour la course à pied, le roller, la marche) dans les parcs et jardins publics, le long des rives de fleuves ou d’axes rayonnants protégés et destinés à la circulation « sportive » et permettant d’accéder aux espaces péri-urbains.
En revanche, la problématique « Activité physique, santé et prévention » est quasi inexistante dans le cadre de l’action sportive locale.
Pour compléter cette description, indiquons quelques aspects supplémentaires. Par la scolarisation obligatoire, et grâce à l’éducation physique et sportive (une discipline d’enseignement) et au sport scolaire (dans le cadre des « associations sportives » qui reposent sur l’adhésion volontaire des collégiens et lycéens), les jeunes sont aujourd’hui plus nombreux à pouvoir pratiquer des activités physiques et sportives. Dans le même temps, on constate une chute des prises de licence sportive par les adolescents des deux sexes. Peut-être conçoivent-ils autrement leur sociabilité culturelle ?
Au niveau de la population en général, de grandes différences s’observent dans les manières de concevoir les activités physiques et sportives, dans leur inscription quotidienne ou hebdomadaire et dans le cadre des loisirs. Cependant, les différents espaces-temps sociaux (le travail, la famille, les loisirs, les transports et les déplacements), et leur maîtrise, sont difficiles à caractériser et ne peuvent être réduits à quelques tendances-types. On sait néanmoins que le cadre de vie (le lieu de résidence) reste une variable « synthétique » fort pertinente liée en partie aux efforts qui ont été accomplis par les communes, les départements et les régions. Un ouvrage dirigé par Jean Viard, « La France des temps libres et des vacances » (Viard et coll., 2002renvoi vers), fournit des informations intéressantes illustrées par une cartographie abondante.
La situation locale observable en France, telle qu’on vient de l’esquisser, s’articule logiquement avec d’autres plans de référence : contrat entre l’État (le ministère10 ) et le CNOSF (et les fédérations nationales), relayé et complété avec une relation tripartite au niveau des régions (DRJS11 , CREPS12 , Conseil régional et CROS13 ) ou au niveau des départements (DDJS14 , Conseil général et CDOS15 ).

Comparaison à l’échelle internationale

Cette troisième et dernière section porte sur une approche comparative, à l’échelle internationale, des contextes de la pratique des activités physiques et sportives. Abordé sous cet angle, le contexte de la pratique sportive est le point de convergence de la participation ou de la demande des personnes, de l’implication des pouvoirs publics, de l’offre sportive telle qu’elle est proposée par des groupements associatifs, la collectivité publique, l’initiative privée marchande.

France : rappel

Considérons que la France incarne un premier cas de figure, soit un pays à État fort et centralisé. Le Mouvement sportif et olympique est chargé par l’État du développement sportif, au nom de la délégation d’une mission de service public. L’adjonction de la mission « Sport pour tous » à la mission « olympique » du Mouvement sportif tend à négliger, pour certains, les solutions possibles visant à une sensibilisation à la pratique régulière des activités physiques en vue de promouvoir la santé pour le plus grand nombre.
Dans l’ouvrage de référence élaboré sous l’égide de TAFISA (Trim & Fitness International Sport for All Association) rassemblant les investigations conduites dans 36 pays (DaCosta et Miragaya, 2002renvoi vers), la situation française est analysée par Joël Raynaud (2002renvoi vers). L’auteur indique que le ministère de la Jeunesse et des Sports a créé dès 1978 un département « Sport pour tous » reflétant en cela une aspiration perceptible dans l’évolution des comportements en faveur des activités physiques récréatives. La loi de 1984, dans son article 1er, insiste sur le principe d’une accession de tous à la culture sportive. Pour autant, il semble manquer à l’ambition ministérielle une ligne d’action ferme, originale et spécifique, inscrite dans la durée. Actuellement, la prise de conscience de l’intérêt de l’activité physique pour tous s’intensifie. Le CNOSF, les fédérations sportives et les collectivités territoriales s’impliquent dans les différents programmes « Sport pour tous », avec le soutien du Ministère. La France présente une multitude d’initiatives locales qui, par leurs objectifs et leurs impacts, relèvent d’un sport pour tous. Cependant, la prise en considération de l’activité physique comme composante essentielle de la santé reste timide.

Autres pays de l’Europe de l’Ouest

Quelques exemples pris en Europe de l’Ouest, en s’appuyant sur les contributions fournies dans un ouvrage dirigé par Klaus Heinemann (2003renvoi vers) permettent d’esquisser une typologie.
Un premier cas de figure se rapporte à des pays dans lesquels la puissance de l’État non démocratique a longtemps exercé une forte emprise – de contrôle et de limitation – sur le mouvement sportif, à l’exemple de l’Espagne ou du Portugal. Pour combler leur retard, ces pays – à commencer par les grandes villes – ont développé conjointement et dans une sorte d’effervescence collective des politiques d’équipement sportif, de soutien aux associations et de valorisation directe des programmes « Sport pour tous », tout en laissant sa chance à l’initiative marchande. C’est particulièrement visible en Espagne (Puig et coll., 2003renvoi vers).
L’Italie est un cas de figure un peu particulier puisque le Comité national olympique italien constitué au moment de la période mussolinienne, occupe une place prépondérante (en faveur du sport de compétition et du haut niveau). Pour autant, la fédéralisation du sport pour tous (avec l’Unione Italiana Sport Popolare) a su diversifier des actions programmatiques et festives, auxquelles adhèrent les nouveaux publics du sport et des activités physiques de détente (Ferrari et coll., 2003renvoi vers).
Un autre cas de figure permet de regrouper plusieurs pays de l’Europe du Nord dans lesquels la puissance publique légitime et démocratique ne s’est pas engagée dans une contractualisation exclusive avec les fédérations sportives nationales (qui auraient pu revendiquer un contrat d’exclusivité) mais avec l’ensemble du secteur associatif. Dans l’ouvrage cité, le cas du Danemark (Ibsen et Ottesen, 2003renvoi vers) illustre bien cette perspective (voir : « Universal and egalitarian welfare principles », p. 51 ; « A mixture of organisational forms », p. 53 ; « Conclusions », p. 80). Cette réalité correspond à ce qu’on appelle habituellement le « modèle scandinave » (« the Scandinavian Model »). Il rassemble le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède.
L’Allemagne d’aujourd’hui développe un modèle partiellement similaire au précédent, qui permet de regrouper les pays dans lesquels l’accès à la santé et à la culture sportive est reconnu comme le droit de tous (Engelhardt et Heinemann, 2003renvoi vers). Toutefois, en Allemagne, soulignent les auteurs, cette affirmation est particulièrement forte : « sport for all’ is not only the programmed objective of organized sport in Germany. Il is also the basic principle of (welfare) state support of sport » (p. 141). Ce sont les Länder qui sont en charge de ce développement, en apportant leur appui aux initiatives locales, surfond de crise de l’État Providence.
La situation de la Grande-Bretagne est spécifique avec un État faiblement interventionniste, au profit d’initiatives de la société civile et des acteurs du marché. En outre, la Grande-Bretagne est souvent identifiée comme « le pays sportif par excellence »… Dopson et Waddington (2003renvoi vers) proposent un cadre de référence des politiques publiques du sport conduites en Grande-Bretagne. La conception libérale en vigueur, la préférence accordée à la culture de la compétition sportive, la façon de mettre en avant la responsabilité des individus, propres à la mentalité britannique, n’empêchent pas les deux auteurs de formuler les questions suivantes : « Are such policies oriented primarily towards sporting goals, or towards goals concerned with health and welfare ? » (p. 112). Quel est le ministère compétent pour prendre en charge le « sport » ? En fonction de la définition donnée au « sport », on pourra apporter la précision indispensable. « Should it be the Ministry of Sport, Or the Department of Health, Or Education ? Or the Home Office ? » (p. 113). En Grande-Bretagne, on ne confond pas les différents modèles d’activité physique, y compris dans leurs correspondances au plan ministériel. Pour le domaine qui nous intéresse, à savoir l’activité physique ordinaire, et si l’on s’en tient à l’analyse considérée (p. 116-119), c’est le service public en charge de la santé qui fournit l’information destinée à rappeler la responsabilité de chaque personne. En matière d’activités physiques et sportives pour le plus grand nombre, une opposition semble exister entre le contexte organisationnel français et le contexte britannique.

États-Unis et Canada

L’expérience des États-Unis et celle du Canada présentent-elles des traits similaires au cas britannique ? Dans la mesure où la majorité des études sur « Activité physique et santé » proviennent de ces pays, il n’est pas inutile de fournir quelques repères sur l’Amérique du nord. Aux États-Unis et au Canada, la prise en considération du sport d’une part et des activités physiques récréatives de l’autre s’est imposée plus tôt qu’en Europe.
Pour les États-Unis (Kelly, 1989renvoi vers), l’activité sportive est un élément majeur des loisirs. Cependant, à partir des années 1960, outre les âges qui marquent le renoncement au sport (au sortir du système scolaire, ou vers quarante ans, par exemple), on a pu constater une nette diminution globale de la pratique sportive. Le modèle du sport de compétition, trop exigeant, expliquait en partie cette désaffection massive. Les agences gouvernementales ont diligenté des enquêtes nationales pour approfondir ces questions et d’autres ont été réalisées par de grands instituts de recherches au cours des années 1970 et 1980, afin de mieux cerner les nouvelles tendances. Parmi celles-ci, des activités comme la randonnée, le vélo ou des activités d’extérieur, à proximité du lieu de résidence, figurent en bonne place.
En 1943, le gouvernement canadien a édicté le premier « National Physical Fitness Act », accompagné de la création du « National Physical Fitness Council » (Horna, 1989renvoi vers). Depuis, la mobilisation et l’effort des pouvoirs publics ont connu des fluctuations, bien marquées durant les années 1960 et au début des années 1970, en retrait une dizaine d’années plus tard… Cependant, les données statistiques fournies par le gouvernement canadien au début des années 1980 montrent l’importance croissante des activités physiques. Les activités d’entretien et de dépense physique le plus souvent pratiquées par les Canadiens âgés de 10 ans et plus sont : la marche, le vélo, la natation, le « jogging » et la course à pied, suivies par le jardinage (« gardening ») et l’entretien physique chez soi (« home exercises »). À l’époque, pour la plupart des Canadiens, hommes et femmes confondus, les principaux obstacles à la pratique sont le manque de temps, l’inadéquation des installations et des espaces aménagés pour les activités physiques et sportives et le fait de n’avoir pas de collègue avec qui pratiquer ce genre d’activités.
Ajoutons que les États-Unis autant que le Canada, du fait de l’étendue de leurs territoires respectifs, montrent conjointement des situations locales qui peuvent être très contrastées. Ces différences sont liées à des facteurs historiques, au lieu de résidence (cadre urbain ou non), au développement industriel, à des particularités climatiques, au niveau des ressources financières…
Dans chacun des cas évoqués, on constate que le contexte socio-historique de la pratique des activités sportives d’un pays correspond à une réalité singulière. La façon de concevoir l’activité physique récréative est dépendante du type de relation qu’entretient la population « sportive » avec des initiatives associatives ou encore avec les mesures prises, dans ce domaine, par les pouvoirs publics.
En conclusion, quelques jalons historiques permettent de mieux comprendre l’évolution de l’organisation des activités physiques et sportives en France. Le contexte de la pratique sportive est à la fois complexe et diversifié. Cette réalité reflète la diversité des significations accordées à l’activité physique et sportive (émotion que procure la haute compétition, satisfaction personnelle à s’entretenir par l’exercice, souci de l’esthétique du corps…). Dans le système sportif, la santé pour le plus grand nombre est encore peu envisagée. Toutefois, les bulletins de liaison de groupements qui assurent la promotion de l’éducation physique et sportive (Union sportive de l’enseignement primaire, revue de l’Union nationale du sport scolaire, Gymnastique volontaire, Retraite sportive…) accordent de plus en plus d’importance aux questions de santé. Ceci contribue à faire évoluer les mentalités en faveur de l’activité physique pour la santé. Cependant, la question de l’organisation de la promotion est encore discutée. Pierre Chifflet (2005) parle à propos de l’organisation du sport en France du « mythe d’un système unifié »16 . Dans d’autres pays, il existe depuis longtemps une distinction entre le modèle sportif (la compétition, le club, la performance) et le domaine des activités physiques récréatives pour le plus grand nombre.

Bibliographie

[1] arnaud p. Le militaire, l’écolier, le gymnaste. Naissance de l’éducation physique en France (1869-1889). PUL; Lyon:1991; Retour vers
[2] bessy o. De nouveaux espaces pour le corps. Approche sociologique des salles de « mise en forme » et leur public (le marché parisien). Thèse en sciences de l’éducation, sous la direction du Pr. Joffre Dumazedier, Université Paris 5-Sorbonne. ; 1990; (3 tomes)p. Retour vers
[3] callède jp. Destins du « modèle français » du sport. Pouvoirs locaux. Les cahiers de la décentralisation. 2001; 49:72-77Retour vers
[4] dacosta l, miragaya a. Worldwide experiences and trends in Sport For All. Meyer & Meyer Sport; Oxford, UK:2002; 792pp. Retour vers
[5] dopson s, waddington i. Sport and Welfare in Britain. In : Sport and Welfare Policies. Six European Case Studies. In: heinemann k (ed), editors. Schorndorf, Hofmann (Series Club of Cologne, vol. 3); 2003; 87137Retour vers
[6] engelhardt gh, heinemann k. Sport and Welfare Policy in Germany. In : Sport and Welfare Policies. Six European Case Studies. In: heinemann k (ed), editors. Schorndorf, Hofmann (Series Club of Cologne, vol. 3); 2003; 139217Retour vers
[7] ferrari m, porro n, russo p. Sport and Welfare Policy in Italy. In : Sport and Welfare Policies. Six European Case Studies. In: heinemann k (ed), editors. Schorndorf, Hofmann (Series Club of Cologne, vol. 3); 2003; 253294Retour vers
[8] haumont a. La pratique sportive. In : Sociologie du sport. In: haumont a, levet jl, thomas r (eds), editors. PUF; Paris:1987; 63148Retour vers
[9] heinemann k. Sport and Welfare Policies. Six European Case Studies. In: heinemann k (ed), editors. Schorndorf, Hofmann (Series Club of Cologne, vol. 3); 2003; 366pp. Retour vers
[10] horna jla. Trends in sports in Canada. In : Trends in Sports. A Multinational Perspective. In: kamphorst tj, roberts k (eds), editors. Giordano Bruno Publishers; Voorthuizen: The Netherlands. 1989; 3365Retour vers
[11] ibsen b, ottesen l. Sport and Welfare Policy in Denemark: The Development of Sport between State, Market and Community. In : Sport and Welfare Policies. Six European Case Studies. In: heinemann k (ed), editors. Schorndorf, Hofmann (Series Club of Cologne, vol. 3); 2003; 3186Retour vers
[12] kelly jr. Trends in sport in the United States of America. In : Trends in Sports. A Multinational Perspective. In: kamphorst tj, roberts k (eds), editors. Giordano Bruno Publishers; Voorthuizen: The Netherlands. 1989; 6789Retour vers
[13] koralstein jp. La santé à l’épreuve du sport. PUG; Grenoble:1986; Retour vers
[14] labadie jc. Le sport en douceur. Comité Français d’Éducation pour la Santé (coll. Votre santé). Paris:1987; 79pp. Retour vers
[15] pinot r. Les œuvres sociales des industries métallurgiques. Librairie Armand Colin; Paris:1924; 271pp. Retour vers
[16] puig n, sarasa s, junyent r, oro c. Sport and the Welfare State in the Democratisation Process in Spain. In : Sport and Welfare Policies. Six European Case Studies. In: heinemann k (ed), editors. Schorndorf, Hofmann (Series Club of Cologne, vol. 3); 2003; 295349Retour vers
[17] raynaud j. France : Developing sport for all with diversity of approaches and local autonomy. In : Worldwide expériences and trends in Sport For All. In: dacosta l, miragaya a (eds), editors. Meyer & Meyer Sport; Oxford, UK:2002; 413421Retour vers
[18] spivak m. Les origines militaires de l’éducation physique en France (1774-1848). Ministère d’État chargé de la Défense nationale, Service historique. Château de Vincennes:1972; 192pp. Retour vers
[19] viard j, potier f, urbain j-d. La France des temps libres et des vacances. Éditions de l’Aube et DATAR; La Tour d’Aigues:2002; Retour vers

→ Aller vers SYNTHESE
Copyright © 2008 Inserm