Contextes de l’activité physique et sportive en France

2008


ANALYSE

2-

Fondements des politiquesdu sport

Fournir des éléments de réponse à la question des fondements des politiques du sport en France n’est pas un exercice facile. Il convient tout d’abord de rappeler que la constitution initiale du domaine des activités sportives est antérieure à la structuration proprement dite des politiques publiques du sport. Les fondements de ces politiques sont donc à rechercher plutôt du point de vue des objectifs, et des valeurs correspondantes, que se fixe la puissance publique, en référence avec ce domaine de pratiques. Ensuite, la création et l’individualisation d’un ministère des sports, au sein du gouvernement, sont des éléments d’appréciation utiles pour examiner, au fil des décennies, l’adéquation entre les objectifs visés et les moyens mobilisés dans le cadre des politiques du sport (Callède, 2000 et 2002renvoi versrenvoi vers).

Éléments de méthodologie

Examinons, dans une première section, quelques éléments de méthodologie indispensables pour dégager les fondements des politiques publiques du sport propres à la France.

Démarches d’analyse

Les fondements des politiques du sport doivent être envisagés en référence à la sphère des valeurs de société – propres à la République Française – et aux conditions requises pour leur réalisation : en toute généralité, universalisme et accomplissement de la personne plutôt que particularisme et assignation statutaire (qui sont le propre des sociétés traditionnelles), par exemple. Pour autant, en fonction des inégalités diverses observables au sein d’une population, des valeurs spécifiques visant à respecter une particularité ou une singularité viennent compléter la table générale des valeurs afin de préserver les principes d’égalité, de justice et de solidarité. L’enseignement public, par exemple, ne saurait limiter sa mission d’éducation aux seuls très bons élèves et il doit inventer des modèles pédagogiques adaptés au plus grand nombre, sans exclure les moins doués. Il doit être ouvert à tous et à toutes. Pour autant, cet enseignement public doit pouvoir offrir des conditions d’éducation exceptionnelles (comme les Grandes Écoles) pour ceux et celles qui possèdent des aptitudes hors du commun.
Selon le point de vue adopté au titre des politiques, à propos du domaine sportif, ou selon la période historique considérée, on constate des imbrications variables entre valeurs générales du sport et valeurs spécifiques, des emboîtements plus ou moins efficaces de tel ou tel sous-système au sein d’un système général de valeurs. Habituellement, sous cet angle de vue, particularisme est synonyme d’excellence... Ainsi l’exceptionnalité du sportif ou de la sportive de haut niveau, la valorisation de la performance sportive sont-elles de l’ordre de la singularité ? La problématique de l’accès du plus grand nombre à la culture sportive met plutôt l’accent sur le registre généreux de l’universalisme. Cependant, elle pose rarement la question de la non pratique et de l’inactivité physique qui relèvent d’un particularisme « en creux ». Or, cette prise de conscience est le préalable indispensable pour concevoir une action d’envergure destinée à réduire les inégalités sociales et devant profiter d’abord, sans doute, à ceux qui sont les plus exposés à la dégradation de leur propre « santé ».
Les politiques du sport en France reposent, par principe, sur un système général de valeurs qui permet l’accessibilité du plus grand nombre aux activités physiques et sportives. Ce système doit être en mesure d’intégrer deux cas singuliers. Il convient de reconnaître la spécificité de la valeur d’excellence qu’incarnent les meilleurs (qui représenteront la France dans les compétitions internationales). Il convient également de reconnaître les déficits (et les préjudices de santé) pouvant affecter ceux et celles qui n’accèdent pas à la culture physique et sportive. En d’autres termes, l’intérêt général, tel qu’il est défini par la puissance publique combine l’ouverture sociale la plus large et des points de focalisation qui contribuent à la cohérence d’ensemble.
L’autre démarche revient à privilégier le processus de structuration et de restructuration organisationnelle qui caractérise l’histoire des politiques publiques du sport. En d’autres termes, pour la politique sportive, dans un pays à État fort comme la France, la puissance publique définit ce que doit être l’intérêt général. Cette identification se traduit matériellement par la construction d’installations sportives, par la formation d’agents d’encadrement des pratiques, par l’affectation de moyens financiers. Dans ce cas, c’est la pratique des activités physiques et sportives du plus grand nombre qui constitue logiquement l’objectif à atteindre. Toutefois, la puissance publique est à même d’identifier conjointement des cas d’exception, en fonction de critères spécifiques. Ces critères contribuent à définir une forme d’excellence (le champion, l’artiste...) qui marque le rayonnement symbolique du pays. Des institutions spécialisées peuvent les accueillir, dotées d’agents spécialisés (entraîneur, médecin…) et subventionnées pour répondre à cette mission.
Par ailleurs, l’organisation des politiques du sport intègre des cas singuliers marqués d’un déficit reconnu (non pratique sportive des jeunes dans les « quartiers sensibles », quasi-exclusion des individus porteurs d’un handicap, d’une déficience ou d’une incomplétude...), auxquels la puissance publique entend apporter des moyens de résolution ou des solutions, avec un accompagnement humain adéquat (éducateurs « socio-sportifs ») dans le cadre d’un programme sport et réinsertion sociale des jeunes, du sport adapté.
Ces fondements des politiques du sport en France possèdent ainsi un double ancrage : un ancrage par les valeurs (conception universaliste doublée de la prise en considération des particularités) et un ancrage de type organisationnel (administratif, matériel et humain). Ils sont pour partie un héritage du passé (des fondements socio-historiques), et pour une large part des principes d’action affirmés dans le cadre de l’action publique développée par l’État et les collectivités territoriales (la commune, le département, la région).
En toute logique, on considérera que les politiques du sport en France lient de façon indissociable les deux plans : les valeurs affichées se traduisent par l’organisation concrète du sport et, en retour, la politique organisationnelle du sport est inspirée par les valeurs qui privilégient l’épanouissement de la personne.

Naissance d’un ministère des Sports

Le point qui vient d’être exposé ne saurait occulter le fait que les efforts déployés au titre des politiques du sport peuvent varier d’intensité en fonction des époques ou des conjonctures. Ajoutons que la désignation précise de ce qu’on appelle communément le « ministère des Sports », son rang au sein du gouvernement, la mention précise de ses domaines de compétence et, le cas échéant, son rattachement ministériel de tutelle sont autant de précieux indices d’information pour comprendre pourquoi les questions de santé occupent tantôt un rang important, tantôt un rang moins évident.
Historiquement, l’effort du ministère des Sports porte essentiellement sur les publics réels, déclarés ou dits « captifs » : jeunes scolarisés, jeunes appelés sous les drapeaux, licenciés dans les clubs... Pour les jeunes filles, l’application des directives va se faire en fonction de la présence de ces dernières dans les institutions concernées (à commencer par le système scolaire primaire). Il faut attendre la seconde moitié des années 1930 pour noter un équilibre de traitement entre l’éducation physique et sportive (EPS) des garçons et celle des filles. À ce moment-là, la valorisation du plein air et de la pleine nature facilite la promotion d’une conception de l’exercice physique affranchi de la culture sportive centrée sur la compétition. L’ère des loisirs, qui s’ouvre à partir des années 1960, va se concrétiser par l’essor des pratiques hors cadre organisationnel et par l’affirmation progressive d’une activité physique et sportive du « deuxième âge » (les personnes déjà trop âgées pour la compétition en club, par exemple), voire du « troisième âge » (les retraités qui subviennent à leurs besoins).
Compte tenu de l’intitulé général de l’expertise « Activité physique et santé », qui émane du ministère des Sports en exercice, il n’est pas inutile de se livrer à un rapide rappel historique relatif au ministère des Sports. Qu’en est-il de la problématique « activité physique et santé » au cours des décennies ? Quelles en sont les valeurs de référence ? Tout en abordant cet aspect d’un point de vue historique, nous mentionnerons quelques références bibliographiques qui représentent la traduction des préoccupations ministérielles du moment. Il ne s’agit pas d’une bibliographie scientifique mais pour l’essentiel d’un inventaire documentaire relatif à l’histoire de l’action du ministère et de sa traduction administrative.
La période examinée correspond à la succession des « ministères des sports » et de leurs attributions respectives, qu’a connu la France, de la fin de la Grande Guerre à nos jours. Il faudrait procéder à un travail analogue au niveau des ministères contigus ou de tutelle (la Santé publique, l’Éducation nationale, le Travail et l’Emploi, la Population, en particulier) ou encore, sur une période plus récente, au niveau des programmes interministériels dans lesquels le ministère des Sports est partie prenante (aux limites de l’action sociale et de la prévention). L’exercice permettrait de vérifier si certains aspects relatifs à la problématique « Activité physique et santé » n’ont pas été envisagés, voire pris en charge de façon plus pertinente ailleurs que dans le cadre institutionnel des sports.

Historique des politiques sportives

Analysons comment les politiques sportives qui se sont succédées en France depuis le début du XXe siècle ont intégré la composante « activité physique et santé ».

Préoccupations hygiénistes des précurseurs

Abordons la question proposée à partir de la fin de la Première Guerre mondiale. Dans un ouvrage particulièrement intéressant publié en 1919, Édouard Herriot consacre un long chapitre aux questions de démographie, d’hygiène et de santé publique (chap. IVrenvoi vers). L’auteur envisage en particulier « le problème de l’éducation physique » (p. 180-195). Il s’interroge : « Peut-être arriverons-nous ainsi peu à peu à la constitution d’un grand service central, – Ministère ou non – de l’éducation physique ». Herriot rappelle à ce propos la création, le 20 juin 1918, du Comité national d’éducation physique et sportive et d’hygiène sociale, placé sous la présidence du député Henry Paté (p. 193).
Au lendemain de l’Armistice de novembre 1918, l’idée est relancée. « La guerre, moissonneuse farouche, a affaibli la race jusque dans ses plus intimes profondeurs (...). La France réclame la création de piscines, de terrains de jeux, de stades dans toutes les communes, la transformation de tous nos établissements scolaires en foyers de propagande d’hygiène et de diffusion de la joie saine des exercices physiques », déclare solennellement Henry Paté, en sa qualité de président du Comité national de l’éducation physique et sportive et d’hygiène sociale, dans un article en forme d’éditorial intitulé :« Pour un ministère de la Santé Publique » (Paté, 1919renvoi vers). À cette condition, on peut penser que la problématique « Activité physique et santé » est susceptible de connaître un traitement adéquat.
Cependant, en ces années d’immédiat après guerre, il faut tenir compte des tensions qui sont la traduction directe de luttes d’influence entre le ministère de la Guerre (qui est en charge de l’École de Joinville), tout un ensemble de médecins qui œuvrent dans l’esprit d’un grand ministère de la Santé publique et de l’Hygiène sociale, et un corps enseignant – d’ailleurs plutôt réservé quant à l’évolution sociale du sport (mercantilisme, chauvinisme, violence) – en poste dans les établissements scolaires primaires ou secondaires qui relèvent du ministère de l’Instruction publique. Le corps médical élargit ses compétences dans le domaine de la rééducation physique et des gymnastiques qualifiées de « corrective », de « respiratoire », de « gymnastique orthopédique ». Les besoins en ce domaine paraissent importants et les améliorations ne se font que progressivement. « Les enfants, et surtout les enfants des villes, respirent mal et se tiennent mal », souligne le docteur Louis Lamy au début des années 19301 .
Mis en chantier dès 1919, le Projet de règlement général d’Éducation physique (Direction de l’infanterie), approuvé par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, se compose de plusieurs parties, auxquelles vient s’ajouter un volume d’Annexe intitulé « Instruction sur le rôle des médecins dans l’éducation et la rééducation physiques » (1921). Dans le premier chapitre, rédigé en forme d’aperçu historique (p. 9-12), est souligné le rôle décisif de plusieurs médecins « qui, dans leurs ouvrages, ont fait la part de l’éducation physique ». L’énumération des personnalités témoigne d’un souci consensuel, par delà les appartenances et implications institutionnelles. Quelques années plus tard, le Règlement proprement dit qui en résulte est présenté de façon similaire.
Cette méthode française d’éducation physique va faire l’objet d’une réédition actualisée, à partir de 1925, à l’initiative du ministère de la Guerre, sous le titre « Règlement général d’Éducation physique », livré en trois tomes auxquels s’ajoutent trois volumes d’annexes. Le premier fascicule d’annexes est consacré au rôle du médecin. L’exemplaire consulté porte sur sa couverture la mention du Sous-secrétariat d’État de l’éducation physique (1921renvoi vers). L’ensemble du Règlement sera publié à nouveau en 1931. Les cadres qui appartiennent à l’École de Joinville et ceux qui y interviennent ont apporté une contribution majeure à la mise au point du « Règlement ». Depuis l’Armistice de la Grande Guerre, l’École a accueilli non seulement des militaires en formation mais également des instituteurs, à l’occasion de stages, voire des moniteurs de sports. Pourtant, vers la fin des années 1920, si le prestige de « Joinville » est intact, le paysage de la formation change, principalement avec l’ouverture, à partir de 1927, des Instituts régionaux d’éducation physique (IREP) rattachés aux Facultés de médecine (Bordeaux, Paris, Lille, Lyon, Nancy…).
La mention variable du ministère de tutelle, sur la couverture des divers tirages du « Règlement », reflète les tensions et les enjeux qui traversent le domaine de l’éducation physique et des sports. Selon Gilbert Andrieu, l’Annexe n°1, qui porte la marque du docteur Boigey, médecin major à l’École de Joinville, « représente un petit manuel à l’usage des médecins comme les autres parties du « Règlement Général » sont à l’usage des éducateurs » (Andrieu, 1990renvoi vers, p. 47).
Que constate-t-on au niveau communal ? L’année 1925 marque une étape décisive dans la structuration des premières politiques sportives municipales, en particulier dans les nouvelles municipalités qui se veulent progressistes. Les salles (ou gymnases) destinées à l’éducation physique, à la rééducation physique font partie du programme d’équipement communal. Les enjeux locaux ne sont pas exactement la transposition des enjeux nationaux. D’une façon générale, la valorisation de la culture sportive éclipse les velléités patriotiques d’une éducation physique utilitariste et « militaire ». Un fait bien noté et étudié dans les monographies que plusieurs historiens ou sociologues du sport ont consacrées aux politiques sportives municipales2 .

Politiques d’éducation physique et sportive

Au tout début des années 1930, se pose clairement la question de la création d’un ministère des Sports de plein exercice. La presse s’en fait l’écho (Bardel,1931renvoi vers). Le Sous-secrétariat d’État de l’éducation physique, que dirige Émile Morinaud, a permis le regroupement et la fusion des services militaires et civils, lesquels étaient partagés jusque-là entre le ministère de la Guerre et le ministère de l’Instruction publique. Après avoir présenté et commenté les missions du Sous-secrétariat d’État, l’auteur de l’article conclut : « Les hommes d’État qui ont en charge de veiller sur l’avenir du pays, sur l’avenir physique de notre jeunesse, ont le devoir impérieux de nous créer le plus rapidement possible un Ministère des Sports ». Hélas, les quelques années qui suivent vont être plus chaotiques.
Durant la brève période du gouvernement de Front populaire (1936-1938), l’éducation physique et sportive de la jeunesse est largement valorisée. Dans le premier gouvernement de Front populaire, le sous-secrétariat d’État à l’organisation des Loisirs et Sports, confié à Léo Lagrange, est rattaché au ministère de la Santé Publique dirigé par Henri Sellier, tandis que le docteur Pierre Desarnaulds se voit confier la charge de sous-secrétaire d’État de l’Éducation physique, rattaché au ministère de l’Éducation nationale avec à sa tête Jean Zay.
Léo Lagrange insiste sur l’accès de tous les jeunes à l’éducation sportive, dont le Brevet sportif populaire doit être un indicateur pertinent. « Son but, en donnant aux Français et aux Françaises le souci de leur santé et de leur développement physique, est de leur faire subir des épreuves dont les conditions sont suffisantes pour témoigner d’un bon état physique ». À cette époque, se met en place une articulation efficace entre la politique conduite par l’État et celle qui est développée au niveau local, dans les villes en particulier. Mentionnons, à titre d’illustration, la plaquette éditée par la ville de Montluçon sur l’organisation de l’Éducation Physique et des sports à l’échelle de la commune (Dormoy, 1938renvoi vers). « La Municipalité de Montluçon, poursuivant ses réalisations pour la protection de l’Enfance et de la Jeunesse, a décidé la création d’un Institut municipal d’éducation physique et des sports », indique Marx Dormoy (p. 3). Il s’agit d’associer les efforts de tous ceux « qui savent ce qu’on peut attendre des exercices du corps rationnellement pratiqués » (p. 5). « L’Éducation physique ne peut produire son plein effet que si, dans son application, une collaboration étroite existe entre le corps médical, l’administration académique et le personnel enseignant. » (ibid.). Faute de quoi, les uns et les autres, « travaillant isolément sans échanger des idées » « ne sauraient arriver à une solution exacte et suffisamment générale » (ibid.). Le rôle du médecin en éducation physique est détaillé (pages 8 et 9), suivi d’une description du schéma d’organisation des services (p. 9 et 10).
L’État français de Vichy constitue une interruption dans le développement de la République. Il n’est pas aisé de faire la part entre la fonction de contrôle social ou de coercition exercée par l’administration sur la population (la jeunesse, le monde sportif...) et la volonté de modernisation et d’innovation sociale dans le domaine qui nous intéresse. Indiquons simplement deux jalons intéressants. En 1943, la radiodiffusion nationale et le commissariat général à l’Éducation générale et aux sports publient une brochure avec planches explicatives sur le quart d’heure d’éducation physique à la radio (Radiodiffusion nationale, 1943renvoi vers). Cette « leçon quotidienne d’éducation physique à la radio » s’adresse « à cet ensemble considérable de personnes que leurs obligations, des raisons de tous ordres, d’âge, de santé ou de goût personnel empêchent d’assurer à leur corps un entraînement rationnel et régulier » (Introduction, p. 3). La seconde référence est de circonstance. Il s’agit d’une étude du Dr Philippe Encausse qui restitue le contexte de la période considérée : Éducation physique et sous-alimentation, publiée au mois de juin 1944 (Encausse, 1944renvoi vers). L’auteur, qui livre des travaux de qualité depuis 1936, a réalisé des enquêtes dont certaines synthèses paraissent dans les revues du commissariat aux Sports de Vichy.
À la Libération, après les élections du 2 juin 1946, Andrée Viénot prend la direction du Sous-secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports. L’Encyclopédie générale des Sports publiée à ce moment-là détaille l’organisation du ministère (Georges, 1946renvoi vers). On retrouve l’esprit du Front populaire. Le docteur Philippe Encausse est chef de Bureau en charge du contrôle médical dont l’action se décline en différentes missions3 . Il s’agit également de ne pas redoubler des préjudices de santé causés à la jeunesse par les quatre années de privations de l’Occupation. Une pratique mal comprise de l’Éducation physique ou des sports peut être source de désagrément pour l’intéressé(e). Dès 1946, le Dr Encausse fait paraître une Notice administrative et technique sur le contrôle médical sportif (Encausse, 1946renvoi vers) et, l’année suivante, il publie des Directives de gymnastique corrective à l’usage des adolescents déficients. La mise en place d’un Comité national du plein air (pour la promotion des activités de pleine nature) et le développement des institutions de plein air (colonies de vacances, camps de vacances, colonies sanitaires, écoles de plein air, préventoriums...) contribuent à populariser les activités physiques. Les Mouvements de jeunesse et d’éducation populaire bénéficient de cette réorganisation.
Au niveau ministériel, outre un rattachement fréquent au ministère de l’Éducation nationale, l’Éducation physique et les Sports vont connaître un « statut » variable : par exemple, ce domaine, qui dispose d’un directeur général, est absorbé par le ministère de la Jeunesse, des Arts et des Lettres (à la fin de l’année 1947) ; autre cas de figure, le domaine est inclus dans un secrétariat d’État à l’Enseignement Technique, à la Jeunesse et aux Sports (en 1950renvoi vers). Heureusement, certains fonctionnaires de l’administration centrale parviennent à maintenir la continuité de l’action publique.

Prémices d’une politique Sport et Santé

En 1952, le Dr Encausse publie l’ouvrage « Sport et santé » (1952renvoi vers), qui constitue un bilan important pour notre problématique. C’est le premier ouvrage du genre publié par un haut fonctionnaire du ministère. Son auteur occupe toujours les fonctions de chef des services médicaux de la Direction générale de la jeunesse et des sports qui est placée à l’époque au sein du ministère de l’Éducation nationale. Dans son avant-propos, le Directeur général de la jeunesse et des sports, souligne la nécessité de mettre en place « une surveillance médicale sérieuse » pour les jeunes. L’auteur précise : « Dans ce but, la Direction générale de la jeunesse et des sports s’est attachée, entre autres missions, à la réorganisation du contrôle médical des activités physiques et sportives extrascolaires, en liaison avec le ministère de la Santé publique et de la Population, les fédérations et associations sportives, les dirigeants, éducateurs et médecins sportifs enfin, aux efforts desquels je tiens à rendre ici un public hommage » (p. 7).
En 1954, le Bureau médical du « Ministère » publie un nouveau tirage d’une brochure consacrée à la « Rééducation physique. Notice d’orientation de l’enseignement » (Direction générale de la Jeunesse et des Sports et coll., 1954renvoi vers). Le document mentionne une dizaine de brochures publiées par les services médicaux de la Direction générale de la jeunesse et des sports depuis 19464 .
En 1962, le Dr Encausse publie une nouvelle édition actualisée de son ouvrage « Sport et santé » (Encausse, 1962renvoi vers). Inspecteur général, il est toujours à la tête des services médicaux du ministère des Sports qui a pris l’appellation de Haut commissariat à la jeunesse et aux sports dirigé par Maurice Herzog. Ce sont les premières années de la Ve République.
Incontestablement, le Dr Encausse a été tout à la fois un scientifique et un responsable éclairé en charge du Bureau médical du ministère. Son livre « Sport et santé » envisage essentiellement deux aspects : l’influence des activités physiques et sportives sur l’organisme ; l’organisation administrative, technique et pratique du contrôle médical des activités physiques et sportives. Ses préoccupations concernent l’accompagnement de la population « sportive » de l’époque, ce qui constitue autant une délimitation qu’une limitation, sans doute, mais le premier aspect traité insiste sur les méfaits de l’absence d’exercice physique. Le recensement des thèses de médecine et la mention des travaux de recherche récompensés par un prix, qui figurent dans l’ouvrage, confirment l’existence d’une sorte de point aveugle quant à la prise en considération significative de la problématique « Activité physique et santé ». Ajoutons cependant, qu’au titre de l’éducation populaire et du plein air, les colonies de vacances, les camps de vacances contribuent à la valorisation de l’exercice physique.
Grâce à une action ministérielle décisive, qui s’explique pour partie dans l’œuvre de redressement national et de modernisation des politiques publiques sectorielles (1946-1962/63), la problématique « Éducation physique, sport et santé de la jeunesse » connaît une sorte d’apogée. Localement, les centres médico-sportifs connaissent une activité et une fréquentation soutenues. C’est l’urgence et des priorités précises qui avaient guidé l’action tout au long de la IVe République et jusqu’au tournant des années 1960. Il s’agissait d’abord de relancer la machine économique, la production, de restaurer et d’optimiser les réseaux de communication et de transports, de résoudre la pénurie de logements sociaux… Par la suite, au nom de la généralisation du loisir et du sport, l’opinion générale – quant à l’avènement d’une « civilisation des loisirs » – se nourrit de l’impression selon laquelle le seuil de la stricte nécessité sociale est désormais franchi et dépassé. Jusqu’au début des années 1980, l’optimisme sportif est de mise. Cependant, cette « nécessité » sociale va se rappeler à la société et à la population française une vingtaine d’années plus tard.

Vers un « sport pour tous »

La « sportisation » de la culture physique et de l’exercice va aller crescendo tout au long des années 1960 et durant la décennie suivante. Le sport de compétition possède une légitimité idéologique qui occulte quelque peu les autres façons de prendre de l’exercice. À l’époque, les fédérations affinitaires et multisports, leurs responsables de clubs, les associations de jeunesse et d’éducation populaire vont laisser le champ libre au modèle sportif défendu par les fédérations unisports. Telle est du moins notre hypothèse. La contre illustration positive est sans doute à chercher du côté de l’action que développent certains comités d’entreprises au nom d’un sport pour tous les salariés et les membres de leur famille (gymnastique volontaire, gymnastique de pause, activités physiques diverses, compétition sportive de masse, accompagnées d’un contrôle médical, colonies de vacances...).
En mettant en évidence le poids des inégalités sociales et socioéconomiques, les données statistiques nationales montrent la part d’illusion qui accompagne l’affirmation progressive d’une image de la « civilisation du loisir ». On constate cependant une augmentation du nombre de pratiquants sportifs : 4,9 % de sportifs licenciés en 1949, 6,7 % en 1961, 11 % en 1973... On peut aussi « retourner » cette série statistique en soulignant que la problématique « Activité physique et santé », qui concerne le reste de la population, et en priorité certaines classes d’âge, reste mal connue et qu’elle peut être considérée comme une préoccupation négligée par les politiques publiques. L’attention accordée aux activités physiques et sportives est inégalement partagée.
Outre les sportifs « déclarés » (licenciés en clubs), il existe des « sportifs » (qui s’auto-déclarent comme tels) qui ne possèdent aucune affiliation organisationnelle. Il existe également des « non sportifs » qui, pour la majorité d’entre eux, ne s’adonnent à aucune activité physique. Cette disparité renvoie à une question sociale d’actualité. En 1968, la Fédération française des offices municipaux des sports choisit d’aborder le thème du « sport pour tous » à l’occasion de son congrès annuel.
En 1974, Claude Piard fait paraître un livre qui envisage une réorientation possible du développement des sports en France (Piard, 1974renvoi vers). Le livre constate le faible taux de participation sportive enregistré par diverses enquêtes ou sondages. Pour les jeunes comme pour les adultes, les loisirs ne se réduisent pas à l’activité sportive (et a fortiori à la pratique sportive compétitive structurée dans les clubs). L’auteur insiste sur la nécessité de mettre en place une nouvelle politique sportive à partir d’un programme « Sport pour tous ». Il rappelle qu’en Europe occidentale, le Conseil de l’Europe a impulsé depuis le début des années 1970 une réflexion et incité à l’établissement d’un premier état des lieux sur la question dans cinq pays (voir : « La campagne sport pour tous », p. 75 et suivantes). Cependant, la prise en charge par le Comité national olympique et sportif français d’un programme sport pour tous, dès 1973, avec la nomination d’un chargé de mission au sein de cette structure, n’est pas nécessairement à moyen terme la meilleure des solutions... Il est envisagé d’organiser une Journée nationale « sport pour tous ». En soulignant que les activités physiques à la portée de tous ne sauraient être « le monopole d’une fédération ou d’une association », l’auteur ne perçoit pas le risque d’inertie organisationnelle du Comité national olympique et sportif français, dont les priorités d’action sont ailleurs, et le désintérêt de ceux et celles qui ne sont pas impliqués dans le sport fédéral. Rappelons que c’est un peu plus tard, en 1978, que le ministère de la Jeunesse et des Sports envisage vraiment la question du « sport pour tous ».
En revanche, Claude Piard est plus convaincant quand il expose ensuite deux conceptions d’un sport pour tous développées respectivement par la Fédération française d’entraînement pour le monde moderne (FFEPM) et par la Fédération française d’éducation physique et de gymnastique volontaire (FFEPGV) (p. 79-85). On a la possibilité d’apprécier la fidélisation de ces publics au sein des deux structures associatives. L’une et l’autre développent une action des plus crédibles au regard de ce que doivent être les critères de réussite d’un sport pour tous. L’enjeu est d’atteindre des publics potentiels, c’est-à-dire à la fois des pratiquants « qui n’ont plus leur place dans les sections sportives des clubs » (selon la formule en usage) et des nouveaux adeptes de l’exercice physique. Par ailleurs, une sociabilité tend à se structurer autour de différentes activités : gymnastique volontaire, randonnée pédestre, cyclotourisme... Le milieu des années 1970 est marqué par un jalon important : la loi « relative au développement de l’éducation physique et du sport » du 29 octobre 1975, dite « loi Mazeaud ». Cette loi est destinée principalement à accompagner, d’un point de vue organisationnel, les transformations de l’activité sportive en France. Elle souligne que « l’entreprise apparaît devoir être une des structures privilégiées pour le développement du sport pour tous » (titre II). En revanche, la loi est relativement discrète sur la place que doivent tenir les activités physiques de chacun et l’entretien de la santé.
Certes, l’action du ministère va s’élargir à quelques préconisations, à quelques incitations de caractère ludique destinées à sensibiliser ponctuellement de nouveaux pratiquants. Les « Journées nationales » animées conjointement par les services du ministère, les clubs et les localités (par exemple l’opération « Parcours du cœur ») ne semblent pas avoir un impact significatif sur les comportements, dans la durée. À la charnière des années 1970 et 1980, la France n’est-elle pas en train d’accumuler du retard par rapport à certains des pays voisins ? C’est évident. D’ailleurs l’examen comparatif des actions conduites en faveur du « sport pour tous », chez tel ou tel de nos proches voisins, et les bilans établis, viennent conforter cette idée (Dacosta et Miragaya, 2002renvoi vers).

Diversification des activités physiques

L’évolution du sport, au tout début des années 1980, aboutira logiquement nous semble-t-il, à la « Loi Avice » du 16 juillet 1984, relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Des changements culturels positifs se superposent à une crise de l’État Providence et à des signes tangibles de récession économique. Les activités physiques et sportives progressent, les vacances sportives également bien que des inégalités sociales persistent ou se redéploient, en partie liées à la complexité croissante des flux migratoires. Les départs anticipés à la retraite ne sont qu’un élément parmi d’autres de traitement du chômage et ils contribuent conjointement à l’invention accélérée du « troisième âge ». L’occupation du temps libre par cette classe d’âge (faussement homogène) s’oriente pour partie vers les activités d’entretien physique. L’action des grands comités d’entreprise est alors à son zénith. Elle contribue à la démocratisation des activités physiques et sportives et à celle des séjours de vacances. Sur la nouvelle station balnéaire de Bombannes (littoral girondin), réaménagée entre 1979 et 1982 et bénéficiant du soutien du Conseil général, par exemple, on envisage d’implanter une antenne médicale de l’Université de Bordeaux 2 pour accompagner les groupes de résidents (séjours de vacances, stages de formation continue, stages de préparation à la retraite...) dans leurs activités de (re)mise en condition physique... Pareille action se situe bien dans l’esprit du nouveau ministère du Temps libre, avec à sa tête André Henry, dans lequel Edwige Avice est en charge de la Jeunesse et des Sports avant de se voir confier, en mars 1983, la direction d’un ministère regroupant désormais l’ensemble des trois domaines.
Dans les années qui suivent, les difficultés économiques et la montée du chômage vont contrarier cet élan novateur. L’optimisme ambiant décroît. Certains comités d’entreprise sont affectés par les restructurations économiques. Une priorité est accordée aux activités sportives des jeunes dans les quartiers dits « sensibles » (programmes interministériels Vacances et Loisirs pour Tous, Loisirs Quotidiens des Jeunes).
Par la suite, plusieurs ministres vont se succéder au gré des remaniements ministériels, du changement de majorité et des périodes de cohabitation. L’appellation du « ministère » varie. Il peut être un ministère de plein exercice, un secrétariat d’État, avec à sa tête une personnalité ayant un statut de délégué auprès du Premier ministre, dans certains cas de figure.

Impact de la décentralisation

La décentralisation, qui devient effective avec les lois de 1982 et de 1983, se traduit par une redistribution des rôles entre l’État, les départements et les régions. Ici ou là, certains départements avaient conduit auparavant des actions en faveur du sport et elles contribuent déjà à la mise en œuvre locale des programmes de développement de la pratique sportive des jeunes. Pour les régions, il s’agit d’une compétence nouvelle. En outre, il ne faut pas oublier le rôle déterminant des communes (Collomb, 1988renvoi vers; Bayeux, 1996renvoi vers).
Les collectivités territoriales (département, région) ont plein pouvoir pour conduire des politiques sportives locales, tandis que le ministère se doit de les aider à assumer leurs nouvelles responsabilités. En 1996, Roger Bambucknote que, dans ce cadre de l’action publique, « le rôle de l’État s’est profondément transformé : de tuteur, il est devenu partenaire » (Secrétariat d’État chargé de la jeunesse et des sports). Les politiques sportives territoriales (les départements, les régions) développent des orientations nouvelles qui concilient aménagement des territoires, développement durable et mise en valeur touristique des espaces de pleine nature et des pratiques sportives. Prennent-elles en considération la question de la santé des populations ? Il est possible de recenser quelques initiatives isolées, comme les opérations (colloques, journées de formation, actions sur le terrain) organisées par l’Office départemental des sports de l’Hérault. De même, le rôle des centres médico-sportifs redevient d’actualité avant d’être considéré comme peu viable (Allemandou, 1995renvoi vers). Ces centres implantés à l’échelle de la commune ne sont-ils pas les victimes toutes désignées du libéralisme qui caractérise la médecine qui s’exerce en cabinet privé ? Les services déconcentrés du ministère (DDJS, DRJS5 ) et les instances locales du Mouvement sportif (CDOS, CROS6 sont-ils, dans ce contexte, des forces de proposition et d’accompagnement des actions ? La décentralisation, l’inter-communalité d’aujourd’hui peuvent-elles ouvrir des opportunités intéressantes ? Diverses initiatives relatives au thème qui nous intéresse mériteraient d’être répertoriées, permettant d’évaluer la mobilisation correspondante et son efficacité7 . Dans l’immédiat, notons cependant qu’il n’est pas possible de dégager les traits caractéristiques d’une action significative, en faveur de la santé par les activités physiques et sportives, qui puisse être mise à l’actif de la décentralisation. Dans ce secteur d’intervention, l’impact de la décentralisation supposera une articulation avec des intentions ministérielles clairement affichées.

Vers la promotion du sport pour la santé ?

Les initiatives ministérielles se multiplient, en faveur d’une activité physique et sportive pour le plus grand nombre, mais la problématique de la santé n’occupe pas une place centrale au sein de l’action du ministère. Ou plus exactement, les objectifs de cohésion sociale et de solidarité l’emportent sur l’explicitation du thème de la santé. L’examen attentif de la série des rapports d’activité du ministère, dont le principe remonte à l’année 1994 (relatant l’action de l’année précédente), est particulièrement éclairant.
La première mention détaillée de la santé se trouve dans le Rapport annuel publié par le ministère en septembre 1996, qui correspond aux activités relatives à l’année 1995. On y apprend que la « Mission de médecine du sport et de la lutte antidopage » « s’est engagée en 1995 dans une démarche visant à favoriser la pratique sportive dans un but de santé » (Ministère de la Jeunesse et des Sports, 1996renvoi vers). Dans les années qui suivent, la lutte antidopage mobilise l’essentiel des énergies.
Rappelons, à ce propos, quelques aspects historiques. Dans le domaine du dopage, « l’âge de déraison » commence aux alentours de 1960 et se poursuit jusqu’au milieu des années 1990 (Laure, 2000renvoi vers). La France promulgue une loi antidopage dès le 1er juin 1965 (Loi n° 65-412 tendant à la répression de l’usage des stimulants à l’occasion des compétitions sportives). Peu avant, alors que des personnalités du mouvement sportif (national et international) préparent des mesures à prendre contre le « doping », le Conseil de l’Europe a lancé un appel solennel, au cours de l’année 1963renvoi vers, contre ce type d’usage, notamment dans le souci de préserver la santé des jeunes sportifs (Laure, 2000renvoi vers). Par cette loi de 1965, on peut considérer qu’en France, la puissance publique s’est emparée très tôt de la question, grâce au Ministre Maurice Herzog, au nom de la préservation de la santé des sportifs mais également de la défense de l’éthique et du principe d’égalité des compétiteurs dans le sport. Par la suite, la « Loi Mazeaud » (loi n° 75-988, du 29 octobre 1975), la « loi Bambuck » (loi n° 89-432 du 28 juin 1989)… marquent d’autres jalons importants d’affirmation de cette volonté exemplaire qui ne s’est jamais démentie depuis.
Prenons ensuite le rapport d’activité ministériel pour l’année 2000 (Ministère de la Jeunesse et des Sports, 2000renvoi vers). Ce volume grand format de 95 pages détaille l’action du ministère et il inaugure pour l’occasion une nouvelle présentation destinée à une assez large diffusion. La problématique activité physique et santé est évoquée dans un unique paragraphe intitulé : « Les actions sport santé » (p. 57). Il s’agit des actions conduites en collaboration avec le Comité français d’éducation pour la santé (voir la brochure Sport, Ados et dos) et de la manifestation nationale des Parcours du Cœur, en liaison avec la Fédération française de cardiologie (2 095 Parcours du cœur ont été organisés en 1998, presque tous avec l’aide des services déconcentrés de l’État ; les DRJS et DDJS). Toujours au titre de la santé, il faut mentionner également la rubrique : « Protéger la santé des sportifs » qui correspond à l’axe historique fort, structuré autour du contrôle médical du sportif licencié. Le rapport détaille les « moyens humains et financiers pour renforcer la surveillance médicale des sportifs » qui sont engagés dans le haut niveau. Il présente le dispositif territorial en vue du « développement des actions de prévention » ainsi que « l’organisation de la lutte contre le dopage ». À l’évidence, la problématique santé impulsée par le ministère concerne surtout les licenciés sportifs. Toutefois, le titre III (Valoriser la dimension sociale du sport, p. 16 et 17) insiste sur l’accès à la pratique sportive pour le plus grand nombre (jeunes défavorisés, personnes handicapées, soutien aux activités physiques et sportives en entreprise, insertion par le sport). Pour autant, dans ce cas, la référence à la santé ne saurait être qu’implicite.
Une orientation ministérielle qui prévaut depuis quelques années, c’est bien la dimension sociale et solidaire des activités physiques et sportives, comme on vient de le noter, avec une insistance conjointe sur la valorisation du bénévolat, la dynamique familiale, la découverte de la nature, les méfaits des conduites à risque (incluant une mise en garde contre les dangers du tabac, de l’alcool, des drogues).
Par ailleurs, en se plaçant du point de vue de la société, c’est-à-dire au niveau des représentations sociales et des mentalités, on constate que la logique du plaisir et de la liberté l’emporte sur celle qui mettra l’accent sur la discipline de vie et des obligations assumées de façon responsable ; cette dernière favorisant ce qu’il convient d’appeler une bonne santé. Or, cette orientation sociale n’est pas facile à retraduire dans les termes d’une sensibilisation aux questions de santé publique – par l’activité physique – qui reposerait en outre sur une action pédagogique adéquate.
Toutefois, c’est cet engagement dans le domaine de la santé que l’on peut reconnaître dans l’affichage récent de certaines actions du ministère. Le rapport d’activité 2003 du ministère des Sports insiste sur deux volets. Il s’agit d’abord de « promouvoir les activités physiques et sportives en tant que facteur positif de santé tout en maîtrisant les risques sanitaires liés à ces pratiques » (dès le plus jeune âge, en ciblant les populations sédentaires ou peu actives, en émettant des recommandations pratiques, en incitant les fédérations sportives et les collectivités territoriales « à promouvoir le sport pour tous par la promotion de pratiques familiales et par l’amélioration de l’accessibilité des installations sportives »). Il s’agit d’engager un programme national et pluriannuel « Bien vieillir » (2003-2005), présidé par le professeur Saillant. Le rapport se fait également l’écho du programme « Bougezvous la vie », la déclinaison française du programme européen HEPA (Health Enhancing Physical Activity) (voir p. 36).
Le rapport d’activité 2004 (Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, 2004renvoi vers) détaille deux orientations du ministère. D’une part, le document fait état de « la promotion de la santé par le sport » (p. 37), qui reprend la problématique du programme engagé l’année précédente. Le CREPS d’Houlgate est désormais investi du statut de site pilote national pour les actions « sport-santé ». D’autre part, le rapport détaille « la prévention des conduites à risque » (p. 52) à destination des jeunes, relayé par les DRJS et DDJS en partenariat avec le secteur associatif.
En outre, certaines actions conduites dans une dynamique interministérielle comportent souvent une incidence positive, en termes de santé publique (Ministère des Sports, 2003renvoi vers).
On constate ainsi une tendance impulsée par le ministère à la mobilisation générale autour des questions de « santé », en liaison avec l’activité physique et sportive. Aujourd’hui, la demande d’expertise adressée à l’Inserm par le ministère peut être interprétée comme l’ébauche d’un signe fort visant à dégager une perspective pour une action d’ensemble. Au-delà d’un état des lieux, il s’agira de fournir un diagnostic afin de proposer des préconisations réalistes.
En conclusion, il est possible de dégager les fondements des politiques sportives conduites en France. Cependant, ces fondements paraissent réactualisés au fil des décennies, en fonction de l’importance accordée au sport de compétition, au rayonnement de la France et au prestige que favorise la réussite sportive au plan international, du soutien à l’éducation physique et sportive ou aux activités physiques et sportives du plus grand nombre, du rôle dévolu au sport (décliné selon une diversité d’expressions) en tant qu’outil pédagogique d’éducation de la jeunesse et d’intégration sociale. On conçoit que ces objectifs dépendent à la fois de facteurs extérieurs (pour triompher dans les compétitions internationales) et de facteurs internes comme la structure socio-démographique de la population sportive du moment ou encore les désajustements entre une demande sociale d’activité physique et l’offre apportée par la collectivité. Rappelons que le ministère de l’Éducation nationale (compétitions internationales scolaires ou universitaires, démocratisation de la culture sportive, enseignement de l’EPS et animations des associations sportives d’établissement) opère de façon analogue. Dans les établissements scolaires, on constate un effort récent portant sur la diététique, l’éducation aux bonnes habitudes alimentaires (avec la consommation de légumes, de fruits tout en réduisant celle des sucreries, des boissons sucrées…). En revanche, l’articulation entre l’EPS et l’entretien de la santé mériterait d’être mieux utilisée.
La France est incontestablement un pays qui possède des politiques sectorielles structurées et dynamiques. La problématique de la santé par l’exercice physique relève principalement du ministère des Sports. Il paraît indispensable que ce dernier ne se tourne pas invariablement vers le mouvement sportif institutionnel très engagé dans la promotion du modèle compétitif du sport. Des solutions nouvelles doivent être expérimentées et généralisées. L’interministérialité est susceptible d’ouvrir des perspectives porteuses de changement. De même, la décentralisation, à l’échelle des territoires de proximité, peut contribuer à relayer de telles initiatives. Les actions conduites par les associations pour la valorisation de la pratique régulière d’une activité physique pour l’entretien de la santé peuvent être efficacement soutenues par les collectivités territoriales.
En outre, à l’échelle des décennies, il faut comprendre la désignation précise du ministère des Sports comme le reflet de préoccupations qui correspondent pour partie aux missions et orientations programmatiques du moment. Quelles sont les conjonctures pendant lesquelles la question de la santé occupe une place prépondérante ? Dans des périodes de « reconstruction nationale » (1919 et les années suivantes, 1944 et les années suivantes), la santé publique est à l’ordre du jour. Dans des années de croissance économique et d’euphorie sportive (années 1960 et 1970, voire début des années 1980), elle tend à s’estomper. À l’aube du XXIe siècle, le thème de la santé ressurgit en France, tout comme il a ressurgi ailleurs, souvent mis en avant comme une urgence par les pouvoirs publics, dans des nations confrontées aux maux des « pays riches » (sédentarité, déclin de l’activité physique à l’âge adulte, mauvaises habitudes alimentaires, vieillissement, maladies connexes et diverses…).
Dans une période complexe, à l’exemple de la situation actuelle (diversification des profils socio-démographiques de la population française, différenciation des niveaux de vie, nouvelles pauvretés, sédentarité accrue, pollutions urbaines...), du fait aussi de la complexité du domaine de l’activité physique et sportive – et des confusions de sens qui l’accompagnent – la problématique « Activité physique et santé », aux différents âges de la vie, et pour les représentants des deux sexes, doit être (re)mise à l’ordre du jour, avec un affichage ministériel fort.
Dans ce cas, faut-il considérer la place du sport, au sein du nouveau ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports (dans le gouvernement constitué à l’issue du second tour des élections présidentielles de mai 2007), comme la préfiguration d’un tel affichage fort ? Ce n’est pas impossible.

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