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Med Sci (Paris). 34(6-7): 509–511.
doi: 10.1051/medsci/20183406005.

Interactions avec le système ubiquitine : un prérequis de l’adaptation des virus influenza à l’homme ?

Élise Biquand1 and Caroline Demeret1*

1Unité de génétique moléculaire des virus à ARN, UMR 3569 CNRS, université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, Institut Pasteur, 28, rue du Docteur Roux, 75015Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adaptation physiologique, Interactions hôte-pathogène, Humains, Virus de la grippe A, Grippe humaine, Ubiquitine, physiologie, pathogénicité, métabolisme

 

Les virus influenza de types A, B, et C sont les agents étiologiques de la grippe. Parmi les virus de type A, les virus de sous-types H1N1pdm09 1 et H3N2 sont responsables d’épidémies de grippe saisonnières. Ils sont la cause de 260 000 à 650 000 décès par an dans le monde (source de l’Organisation mondiale de la santé, janvier 2018). D’autres virus influenza A peuvent représenter un risque d’émergence virale zoonotique, comme l’a démontrée la pandémie de 2009 provoquée par un virus H1N1 d’origine porcine [1] ().

(→) Voir la Synthèse de B. Lina, m/s n° 10, octobre 2014, page 851

Un nombre croissant d’infections humaines par des virus aviaires, très pathogènes pour l’homme, comme les virus de sous-type H7N9 et H5N1 est également observé, particulièrement en Chine et en Asie du Sud-Est. Ces virus ne sont pas transmissibles d’homme à homme, mais laissent craindre l’émergence d’une épidémie. Les virus influenza A représentent donc, sous différents aspects, un problème de santé publique à l’échelle mondiale.

Les virus influenza sont des virus enveloppés à ARN négatif comportant huit segments, codant au moins douze protéines virales, dont trois composent la polymérase : PA, PB1 et PB2. Chaque segment d’ARN est encapsidé sur toute sa longueur par des oligomères de la nucléoprotéine NP, et ses extrémités sont associées à un complexe polymérase, formant une ribonucléoparticule virale (RNPv). La polymérase virale est une ARN polymérase dépendante de l’ARN, qui assure la transcription et la réplication des segments d’ARN viraux (ARNv) dans le noyau des cellules infectées et est, à ce titre, un élément essentiel du cycle viral. Elle ne possède pas d’activité de « relecture », ce qui conduit à un fort taux de mutations lors de la synthèse des ARN viraux. Ainsi, la population de virus produits par une cellule infectée correspond à un ensemble de virus mutants (ou une population de variants viraux).

Plusieurs étapes jalonnent l’adaptation d’un virus influenza à l’homme. Un virus est, en effet, dit adapté à une espèce s’il peut l’infecter, s’y répliquer et se transmettre à d’autres individus de l’espèce. Lors de son introduction dans un nouvel hôte, il est confronté à des barrières d’espèce, en raison des différences entre les protéines cellulaires de l’hôte initial et celles du nouvel hôte. Dans une population de variants viraux, certains peuvent avoir acquis des propriétés leur permettant une exploitation optimisée des ressources de la cellule infectée, rendant ainsi possible la mise en place du cycle viral dans un nouvel hôte et/ou l’échappement à la réponse immunitaire.

Le système ubiquitine protéasome (SUP) a un rôle majeur dans l’homéostasie cellulaire. L’ubiquitination des protéines correspond à l’une des principales modifications post-traductionnelles et est un processus finement contrôlé. L’ubiquitination d’une protéine peut induire sa dégradation par le protéasome, modifier sa localisation subcellulaire ou son activité. Le SUP est ainsi impliqué dans un grand nombre de processus cellulaires. De nombreux virus interagissent avec des facteurs du SUP, optimisant ainsi leur cycle réplicatif ou échappant à la réponse antivirale cellulaire, en exploitant les processus d’ubiquitination [2].

Des études ont montré l’importance du SUP dans l’infection par les virus influenza A. Ce système a notamment été impliqué dans les étapes précoces du cycle viral, l’entrée des virions et la libération des RNPv dans le cytoplasme, ainsi que dans l’échappement à la réponse antivirale [3]. Des interactions fonctionnelles existent entre les protéines de réplication et les facteurs du SUP [4,7], l’ubiquitination des protéines PB1, PB2, PA et NP pouvant favoriser la réplication des ARNv [8]. Cependant, aucune étude, jusqu’à présent, ne s’était focalisée spécifiquement sur les interactions entre SUP et polymérase virale.

Nous avons étudié les interactions entre le SUP et la polymérase virale au travers de la protéine PB2, sur laquelle repose la principale interface d’interaction entre le trimère constitutif de la polymérase virale et les protéines de la cellule hôte [9]. Nous avons dressé les cartes des interactions entre le SUP et cinq protéines PB2 provenant de souches de virus influenza A de virulences différentes chez l’homme : deux souches saisonnières circulant actuellement dans la population humaine (H1N1pdm09 et H3N2), deux souches hautement pathogènes chez l’homme (H7N9 et H1N11918) et une souche de laboratoire (H1N1WSN). Le criblage haut-débit d’interactions protéine-protéine avec les facteurs du SUP humain a été réalisé en utilisant la HT-PCA (high-throughput protein complementation assay). Cette méthode est fondée sur la complémentation de fragments de l’enzyme Gaussia luciférase (GLuc), permettant de reconstituer une activité enzymatique par interaction des protéines auxquelles ils sont fusionnés [10]. Elle permet de détecter de manière systématique des interactions directes entre couples de protéines co-exprimées dans les cellules humaines.

Sur les 700 facteurs du SUP testés, 80 ont été identifiés comme interacteurs potentiels d’une ou de plusieurs des protéines PB2 étudiées [11]. Ces facteurs SUP ont été testés à nouveau en HT-GPCA afin d’évaluer leur niveau d’interaction avec les 5 protéines PB2, et d’obtenir des profils d’interaction PB2/SUP strictement comparatifs. Le profil d’interactions de ces 80 facteurs du SUP humain a également été établi avec la protéine PB2 d’un virus influenza A purement aviaire, incapable d’infecter l’homme (H1N1MZ) et donc utilisé comme le référentiel d’un virus non adapté à l’homme. Nous avons ensuite comparé les profils d’interaction PB2/SUP des souches étudiées par un regroupement hiérarchique réitératif2, (hierarchical clustering), ce qui nous a permis de générer un dendrogramme3, d’interaction. Ce dernier reflète les ressemblances entre les protéines PB2 à travers les interactions qu’elles établissent avec le SUP humain [11].

Les profils PB2/SUP se séparent en deux branches (Figure 1). D’un côté les souches dont le segment PB2 est d’origine aviaire : la souche purement aviaire H1N1MZ incapable d’infecter l’homme, et deux souches récemment introduites chez l’homme H7N9 et H1N1pdm09. Les similarités d’interactions PB2/SUP sont plus importantes entre les virus H1N1pdm09 et H7N9 qui ont acquis la capacité d’infecter l’homme, comme le montre leur plus grande proximité au sein de cette branche du dendrogramme d’interaction. Les protéines PB2 des virus adaptés à l’homme H1N11918, H1N1WSN et H3N2 ségrègent dans le second groupe. Le segment PB2 de ces souches dérive séquentiellement du virus H1N11918 dont l’origine du segment PB2 n’est pas clairement établie. Les similarités des profils d’interaction PB2/SUP corrèlent avec le temps de circulation du segment PB2 dans la population humaine (à savoir du plus court au plus long : H1N11918 < H1N1WSN < H3N2).

Il apparaît donc que les profils d’interactions PB2/SUP ségrègent selon le lignage d’origine du segment PB2, et selon sa durée de circulation dans la population humaine. Ces résultats suggèrent l’implication des interactions du virus avec le SUP (virus-SUP) dans les étapes d’adaptation des virus influenza A à l’homme. Ces étapes sont : l’acquisition de la capacité d’infecter l’homme (H7N9 versus H1N1MZ), l’acquisition de la capacité de transmission d’homme à homme (H1N1pdm09 versus H7N9), et le temps de circulation dans la population humaine (H1N11918 versus H1N1WSN versus H3N2). Il apparaît ainsi que les interactions virus-SUP pourraient constituer des éléments de l’adaptation à l’hôte, un facteur crucial dans l’émergence d’une épidémie. Les profils d’interactions PB2-SUP pourraient également permettre de prédire de manière précoce le potentiel d’une souche aviaire de virus influenza A à traverser la barrière d’espèce pour infecter l’homme, puis sa capacité de se transmettre d’homme à homme.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 On définit les sous-types des virus A selon les variantes de deux protéines de surface, l’hémagglutinine (HA) et la neuraminidase (NA). Un virus A(H1N1) est donc un virus de type A avec une HA de type 1 et une NA de type 1. Le virus H1N1pdm09 est le virus responsable de la pandémie de 2009.
2 Il s’agit d’une méthode d’analyse statistique des données qui crée des sous-ensembles partageant des caractéristiques communes. L’étape suivante consiste en la fusion de ces sous-ensembles sur la base de similarités et ce, de façon itérative.
3 Un dendrogramme est un diagramme utilisé pour illustrer des regroupements hiérarchisés.
References
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