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Med Sci (Paris). 34(8-9): 709–716.
doi: 10.1051/medsci/20183408018.

Le virus Usutu : la menace fantôme

Marion Clé,1 Sara Salinas,1 Sylvie Lecollinet,2 Cécile Beck,2 Serafin Gutierrez,3 Thierry Baldet,4 Philippe Vande Perre,1,5 Vincent Foulongne,5** and Yannick Simonin1*

1Pathogenesis and control of chronic infections, Université de Montpellier, Inserm, EFS, 60, rue de Navacelle, 34000Montpellier, France
2Université Paris Est Créteil Val de Marne (UPEC), Anses animal health laboratory, UMR1161 virologie, INRA, Anses, École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA), Maisons-Alfort, France
3Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), UMR Animal, Santé, Territoire, Risques, Écosystèmes (ASTRE), F-34398Montpellier, France
4ASTRE, CIRAD, INRA, Univ Montpellier, Montpellier, France
5Pathogenesis and control of chronic infections, Université de Montpellier, Inserm, EFS, CHU Montpellier, Montpellier, France
Corresponding author.
 

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Vignette (insects of Wisconsin, photo © Pete DeVries).

Le virus Usutu

Parmi les virus émergents, le virus Usutu (USUV) attire depuis peu l’attention de la communauté scientifique en raison de sa propagation en Europe. USUV est un arbovirus2 de la famille des Flaviviridae et du genre flavivirus, composé de plus de 70 membres. Parmi ces virus, on retrouve quelques-uns des arbovirus les plus pathogènes pour l’homme, comme le virus de la dengue (DENV), le virus de la fièvre jaune (yellow fever virus ou YFV), le virus de la fièvre du Nil occidental (West Nile virus ou WNV), le virus ZIKA, ou encore le virus de l’encéphalite japonaise (japanese encephalitis virus ou JEV) [13] ()

(→) Voir : la Nouvelle de M. Flamand et P. Desprès, m/s n° 8-9 août-septembre 2002, page 816 ; la Synthèse de M.C. Lanteri et al., m/s n° 4, avril 2011, page 375 ; la Synthèse de S. Salinas et al., m/s n° 4, avril 2016, page 378

USUV est un membre du sérocomplexe3 de l’encéphalite japonaise ; il est phylogénétiquement proche du JEV et du WNV [4]. Il tient son nom de la rivière Usutu située dans le Swaziland, en Afrique australe, où il a été identifié pour la première fois en 1959 [5]. C’est un virus enveloppé d’environ 40-60 nm de diamètre, à ARN simple brin de polarité positive constitué de 11 064 nucléotides avec une coiffe en 5’ mais dépourvu de queue polyA en 3’ [6]. Le génome d’USUV est composé d’un seul cadre de lecture codant une polyprotéine de 3 434 acides aminés à l’origine, après clivage, de la libération de 3 protéines structurales (C, prM et E) et de 8 protéines non structurales (NS1/NS1’, NS2a, NS2b, NS3, NS4a, 2K, NS4b et NS5) [4] (Figure 1). La protéine de capside (C) forme le corps central du virion et est associée à l’ARN viral. La protéine pré-membranaire (prM) est nécessaire à l’assemblage et à la maturation des virions en participant au repliement de la glycoprotéine d’enveloppe (E) qui est, quant à elle, impliquée dans différents aspects du cycle viral, permettant la fixation et la fusion du virus aux cellules de l’hôte [7]. Chez les flavivirus, les protéines non structurales (NS) s’associent aux membranes cellulaires du réticulum endoplasmique où elles forment un complexe de réplication dans lequel, notamment, la protéine NS5 assure la réplication de l’ARN viral par son activité ARN-polymérase ARN-dépendante [6]. Comme pour les autres membres des flavivirus, la réplication virale s’effectue dans le cytoplasme de la cellule infectée. Des antigènes viraux peuvent cependant être détectés dans le noyau cellulaire.

Des études phylogénétiques fondées sur la séquence du gène codant NS5 ont montré que les souches d’USUV isolées dans différentes régions du monde se répartissent en 8 lignées – 3 en Afrique et 5 en Europe [8] –, et que leur proximité de séquence est fonction de leur origine géographique et de l’hôte à partir duquel ces souches ont été isolées.

Peu de données concernent le tropisme d’USUV. Nous avons décrit récemment sa capacité, comme d’autres flavivirus, à infecter in vitro des neurones matures, la microglie, des précurseurs neuronaux humains et des astrocytes humains primaires [9]. In vivo, chez des souris âgées d’une semaine, l’infection par USUV occasionne des signes cliniques : une désorientation, une dépression, une paraplégie, une paralysie et un coma, associés à une mort neuronale [10,11]. Chez les espèces réservoirs aviaires, des atteintes neurologiques sont également observées (voir ci-dessous).

Cycle de transmission du virus

Le cycle naturel de transmission d’USUV est un cycle enzootique4 impliquant principalement les oiseaux passériformes (comme les merles, les pies, etc.) et strigiformes (comme les chouettes lapones) comme hôtes amplificateurs, et les moustiques ornithophiles, comme vecteurs (Figure 2). Différents travaux ont démontré l’implication de plusieurs espèces de moustiques dans l’entretien du cycle viral d’USUV au sein de l’avifaune [12, 13]. Ces insectes sont aussi responsables de la transmission virale aux humains et aux chevaux, espèces sensibles mais considérées comme des hôtes accidentels et des impasses épidémiologiques.

Les vecteurs d’USUV

L’USUV, comme d’autres flavivirus apparentés comme le WNV, est principalement transmis par les moustiques ornithophiles du genre Culex. Il a été découvert en 1959 chez une femelle adulte de Culex neavei au Swaziland [5]. Il a ensuite été retrouvé chez plusieurs espèces de moustiques à travers le continent africain, principalement dans des pays où des programmes de recherche ont été mis en place, comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Nigéria, le Burkina Faso, l’Ouganda et le Kenya [14, 15], mais aussi, plus récemment, dans le sud de l’Europe. Ce virus a ainsi été isolé chez les moustiques Aedes albopictus, A. caspiuis, Anopheles maculipennis, Culex quinquefasciatus, C. perexiguus, C. perfuscus, Coquillettidia aurites, Mansonia africana et C. pipiens, un moustique ornithophile mais qui pique aussi l’homme. Ce dernier a été impliqué dans l’émergence du virus en Europe. En 2018, une étude rétrospective a en effet démontré la présence de différentes lignées d’USUV (Africa 2 et Africa 3) chez des moustiques C. pipiens capturés en Camargue [16]. C. pipiens est considéré comme le vecteur principal du virus en Europe et la compétence vectorielle de C. neavei et de C. pipiens pour USUV a été démontrée en laboratoire [17, 18]. Les études de compétence vectorielle restent cependant à réaliser pour les autres espèces de moustiques infectés qui sont retrouvées sur le terrain.

Les réservoirs animaux du virus

La présence d’USUV a été mise en évidence chez 58 espèces d’oiseaux provenant de 13 ordres et 26 familles [19]. Différentes espèces migratrices européennes telles que Falco tinnunculus (faucon crécerelle), Sylvia curruca (fauvette babillarde), S. communis (fauvette grisette) et Ficedula hypoleucas (gobemouche noir) seraient ainsi responsables de l’introduction d’USUV en Europe [15]. D’autres espèces résidentes, telles que Pica pica (pie bavarde), Passer domesticus (moineau domestique) et Turdus merula (merle noir) seraient à l’origine de sa dissémination [19]. Parmi les différentes espèces aviaires sensibles à l’infection par l’USUV, les merles noirs présentent le taux de mortalité le plus élevé. En 2001, le virus a été identifié en Autriche sur des cadavres d’oiseaux [20]. Entre 2006 et 2007, l’USUV a également été isolé chez des oiseaux morts dans des parcs zoologiques en Autriche et en Suisse et, en 2017, en France dans les départements du Loir-et-Cher et du Haut-Rhin (données personnelles Anses, [21]). Des troubles nerveux centraux ont été rapportés chez les oiseaux infectés par l’USUV avec comme symptômes principaux : une prostration, une désorientation, une incoordination motrice et une perte de poids. L’autopsie des animaux infectés a fréquemment révélé une hépatomégalie et une splénomégalie. Des lésions histologiques non systématiques ont également été signalées dans le cœur, le foie, les reins, la rate et le cerveau des oiseaux infectés [22]. Les organes étaient généralement congestionnés avec des foyers de nécrose, de gliose et des infiltrats inflammatoires riches en cellules lymphoïdes et histiocytaires [22]. L’USUV peut donc être hautement pathogène pour l’avifaune, en raison de sa possible réplication et de sa virulence dans un grand nombre de tissus et d’organes. Il provoque ainsi des mortalités aviaires importantes dans différentes régions d’Europe sans que, actuellement, les conséquences de cette mortalité sur la dynamique des populations/espèces aviaires soient clairement déterminées. Aussi, comme pour le virus West Nile [23], la relation entre cette surmortalité aviaire et l’amplification de la circulation virale au sein du réservoir naturel, avec le risque afférent de transmission pour des hôtes accidentels comme l’homme, reste à démontrer. USUV a également été isolé de l’encéphale de cadavres de chauves-souris (Pipistrellus) trouvés dans le sud-ouest de l’Allemagne, questionnant le rôle potentiel de ces animaux comme réservoir viral [24].

Les hôtes accidentels de USUV

Des anticorps spécifiques de l’USUV, signe d’une infection, ont été détectés dans le sérum de chevaux en Italie, en Serbie, en Croatie, en Pologne et sur l’île de Majorque en Espagne [25, 26]. Des tests de séroneutralisation menés en 2012 sur des sérums de chevaux et de chiens militaires au Maroc ont également suggéré l’exposition de ces animaux à l’USUV [27]. En 2014, une autre étude a rapporté la présence d’anticorps anti-USUV chez 10 équidés du sud-ouest de la Tunisie [28]. La présence d’anticorps neutralisants, spécifique d’USUV, a par ailleurs été rapportée en Serbie chez des sangliers [29]. Enfin, une enquête sérologique rétrospective, menée sur les sérums de 4 693 ruminants sauvages, dont le cerf élaphe (Cervus elaphus), le daim (Dama dama), le mouflon (Ovis aries musimon) et le chevreuil (Capreolus capreolus), collectés entre 2003 et 2014 dans des parcs de chasse espagnols, a rapporté une prévalence d’anticorps spécifiques d’USUV correspondant à environ 0,2 % des animaux testés [30].

Épidémiologie

À la suite à sa première identification au Swaziland, l’USUV a été détecté dans d’autres pays d’Afrique, comme la République centrafricaine, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, l’Ouganda, le Burkina Faso, l’Afrique du Sud et la Tunisie [15]. En 2001, l’émergence du virus a été confirmée en Europe après qu’il ait été constaté une mortalité importante de merles noirs d’Eurasie à Vienne, en Autriche [20]. Une analyse rétrospective d’échantillons de tissus d’un merle noir d’Eurasie (Turdus merula), mort en 1996 en Toscane (Italie), a fourni la preuve que l’USUV circulait déjà en Europe dans les années 1990 [31]. Jusqu’en 2015, il a été isolé à partir de moustiques ou d’oiseaux dans huit pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, République Tchèque, Serbie et Suisse) [32] (Figure 3). En 2015, la France a détecté à son tour l’USUV chez des merles noirs communs, à la suite de l’observation d’une augmentation de mortalité de ces oiseaux dans les départements du Haut-Rhin et du Rhône5,. Depuis, il a été établi que l’USUV circulait chez les moustiques C. pipiens présents dans la région camarguaise depuis au moins 2015 [16]. Durant l’été 2016, une grande épizootie d’USUV touchant l’avifaune a de nouveau été enregistrée en Europe, avec une large activité en Belgique, en Allemagne, en France et, pour la première fois, aux Pays-Bas, soulignant la continuité de la propagation géographique du virus, mais aussi l’apparition de nouvelles niches écologiques [8]. La récurrence de l’infection par l’USUV dans différents pays européens suggère ainsi un cycle de transmission persistant dans les zones affectées, par l’intermédiaire de moustiques hivernant ou par une réintroduction multiple du virus par le biais d’oiseaux migrateurs en provenance d’Afrique [33] ; ces deux possibilités ne s’excluent pas mutuellement. Les souches d’USUV françaises des départements du Haut-Rhin et du Rhône sont clairement distinctes les unes des autres (95,7 % d’identité nucléotidique et 98,8 % au niveau des acides aminés). Elles sont issues d’événements d’introduction indépendants, ayant pour origine respective l’Allemagne (Europe 3) et l’Espagne (Africa 2) [34]. Dans de nombreux pays européens, l’USUV circule fréquemment avec le WNV, un autre flavivirus dont le cycle de transmission est similaire. Le WNV, après plus de 10 ans de silence, a ainsi ré-émergé en 2015 dans le sud-est de la France concomitamment à l’USUV [35]. Compte tenu de la proximité virologique et épidémiologique qui existe entre l’USUV et le WNV, il reste à déterminer si ce chevauchement peut influencer la dynamique spatio-temporelle de la circulation des deux virus en Europe et les risques reliés pour l’homme. In fine, l’USUV, apparu il y a plus de 20 ans en Europe, s’est propagé au fil des années à la majorité des pays européens avec, plus récemment, une récurrence notable des épizooties de mortalité aviaire.

Quelles manifestations cliniques chez l’homme ?

Le risque zoonotique (c’est-à-dire de transmission à l’homme) associé à l’USUV a été initialement décrit en Afrique. Le premier cas humain d’infection par l’USUV fut rapporté en République centrafricaine dans les années 1980. Un second cas a été diagnostiqué au Burkina Faso en 2004 [15]. Pour ces deux cas, la symptomatologie était modérée : un ictère fébrile associé à une éruption cutanée. En Europe, l’émergence d’épizooties récentes s’est également accompagnée de descriptions de cas d’infection chez l’homme. Ainsi en Italie, en 2009, deux cas de méningo-encéphalite associée à l’USUV ont été décrits chez des patients immunodéprimés. Il s’agissait d’une patiente présentant un lymphome B diffus à grandes cellules [36] et d’un patient transplanté hépatique [37]. Peu après cette première identification, trois cas supplémentaires de méningo-encéphalite impliquant l’USUV ont été identifiés entre 2008 et 2009 par RT-PCR (reverse transcriptase polymerase chain reaction) [38]. Toujours en Italie, une étude rétrospective conduite récemment en Emilie-Romagne a permis d’identifier, sur la même période, huit autres patients qui présentaient tous des tableaux de méningite et de méningo-encéphalite, pour la plupart associés à d’autres comorbidités, ainsi que deux cas de patients infectés asymptomatiques [39]. Trois autres cas symptomatiques ont été rapportés en Croatie en 2013 [40]. Ces cas d’infections aiguës ne reflètent cependant pas le spectre réel des infections humaines, les études ayant été conduites sur des cohortes présentant des signes d’infections neurologiques plus ou moins sévères.

Des études récentes réalisées sur le sérum de donneurs de sang ont confirmé l’existence d’infections asymptomatiques à l’USUV. Cela a été le cas en Allemagne pour un donneur de sang asymptomatique révélé positif pour l’USUV par PCR [41], et en Autriche, pour six prélèvements de donneurs qui présentaient une positivité pour l’USUV [42]. Dans ces deux études, le dépistage de WNV chez les donneurs a en fait permis secondairement d’identifier, par séquençage, les cas d’infection par l’USUV. Ainsi, parmi les sept signaux positifs obtenus dans l’étude autrichienne par PCR pour identifier le WNV, six se sont révélés, après séquençage, être en fait dus à l’USUV. Si l’infection par l’USUV chez l’homme peut être asymptomatique, l’ensemble du tableau clinique de l’infection nécessite d’être mieux défini. En effet, la description récente par notre équipe d’une infection aiguë par l’USUV, associée à un probable tableau atypique de paralysie faciale a frigore en France justifie cette nécessité [43].

À ce jour, on dénombre 28 cas d’infection humaine par l’USUV (Tableau I). Savoir si ces cas d’infection représentent une partie émergée de l’iceberg et si l’incidence des infections aiguës par l’USUV pourrait en fait être plus importante reste impossible à déterminer. L’émergence des épizooties aviaires que l’on observe apparaît cependant clairement être contemporaine d’une exposition plus élevée de l’homme au risque zoonotique. Ainsi, les cas humains détectés en Italie étaient-ils concomitants d’une flambée épizootique d’USUV, dont certains auteurs ont montré qu’elle exposait à une pression zoonotique plus élevée que celle liée au WNV [44]. Les cas d’infection récemment détectés chez des donneurs de sang en Allemagne et en Autriche sont contemporains des épizooties les plus importantes qui ont été observées récemment en Europe de l’Est, notamment en 2016 [41, 42]. L’analyse phylogénétique des souches virales détectées chez l’homme dans ces deux pays a confirmé qu’il s’agissait de souches des lignées Europe 2 et 3, celles qui avaient effectivement circulé au sein des populations de merles et passereaux à la même époque. La souche issue de la lignée Africa 2, impliquée dans le cas détecté dans le sud de la France à Montpellier [43], avait été également identifiée simultanément dans des populations de moustiques de l’espèce C. pipens capturés à proximité, en Camargue [16]. Une circulation importante d’USUV aussi bien dans les réservoirs que dans les vecteurs, à une période et un endroit donnés, semble augmenter la probabilité de survenue de ces cas d’infection chez l’homme.

Quelques trop rares études de séroprévalence viennent étayer l’hypothèse d’une exposition non négligeable de l’homme au risque d’infection par l’USUV (Tableau I). Conduites en Italie, en Allemagne et en Serbie, ces études rapportent des prévalences se situant entre 0,02 % et 1,1 % des donneurs de sang sains [4447] ; ces prévalences pouvant être beaucoup plus importantes (de 6 % à 7 %) dans des populations avec un plus fort risque d’exposition [39, 48]. Des études de prévalence de l’infection d’USUV chez les moustiques vecteurs en Europe révèlent aussi un niveau d’exposition supérieur pour l’USUV par rapport au WNV. Le taux d’infection par l’USUV du vecteur C. pipiens dans la région camarguaise a ainsi été estimé à plus de 1 % de la population de moustiques à la fin de l’été de 2015 [16]. Toutefois, les données restent ténues pour apprécier la réelle incidence d’USUV chez l’homme et on ne dispose pas, à ce jour, d’outils performants de diagnostics sérologiques permettant un dépistage à grande échelle. La mise au point de ces outils se heurte en effet, comme souvent avec les flavivirus, à un défaut de spécificité lié à la grande communauté antigénique entre les virus qui souvent nécessite des confirmations reposant sur des approches plus fastidieuses de détermination de séroneutralisation [49].

Les départements du pourtour méditerranéen sont depuis les années 2010 sous surveillance pour le risque lié au WNV. Cette surveillance inclut désormais un volet vétérinaire et un volet humain avec une sensibilisation des cliniciens aux présomptions de méningites aseptiques. L’émergence possible d’USUV, qui partage une épidémiologie similaire à celle du WNV, devrait conduire à inclure l’USUV dans ce dispositif de surveillance. Le manque de spécificité des outils biologiques tant sérologiques que moléculaires mis en œuvre pour la détection du WNV, pourrait ici devenir un atout, sous réserve bien sûr de compléter les identifications de cas positifs par des approches sérologiques de confirmation (séroneutralisation) et par du séquençage ou des PCR spécifiques de chacun de ces deux virus.

Diagnostic de l’infection par l’USUV

Le diagnostic d’infection par l’USUV chez l’homme est délicat. Il repose sur la détection de l’ARN viral dans le sang et le liquide céphalorachidien (LCR) et sur l’isolement du virus par culture cellulaire et/ou sur la détection d’anticorps (Ig[immunoglobuline] M et G) dans le sérum et le LCR des patients. À noter que, comme pour l’infection par le WNV, la période virémique est courte chez l’homme.

À ce jour, aucun test commercial de diagnostic de l’USUV n’est disponible. Les sérologies d’USUV sont réalisées par des tests ELISA ou des approches d’immunofluorescence qui sont développés par des laboratoires de référence, à partir d’antigènes viraux ou de souches virales en culture. Ces tests souffrent d’un manque de spécificité. Ils doivent être systématiquement confirmés par des approches de séroneutralisation pour exclure les réactions sérologiques croisées d’anticorps spécifiques d’autres représentants des flavivirus, plus particulièrement le WNV, endémique aussi en Europe. La cinétique de production d’anticorps anti-USUV chez l’homme n’est pas connue et les interprétations sont généralement déduites des données acquises avec les réponses observées contre le WNV. Ainsi dans notre expérience récente, aucun anticorps n’est détectable trois jours après le début des signes cliniques d’une infection aiguë par l’USUV, ce qui est en accord avec les cinétiques usuellement observées pour les autres arbovirus.

Le diagnostic direct d’une infection par l’USUV peut être réalisé par l’isolement du virus sur des cultures cellulaires. De nombreuses cellules sont en effet permissives au virus ; les plus utilisées restent les cellules de moustiques C636 ou les cellules de mammifères Vero6, pour lesquelles le virus présente un effet cytopathique [50].

Les techniques d’amplification d’ARN du WNV, utilisées lors de la qualification des dons de sang pour le risque WNV (type Cobas WNV, Roche), permettent également de détecter le génome viral d’USUV [42, 51]. De nombreuses techniques de RT-PCR ont été décrites et certaines approches de PCR ont été développées afin d’être spécifiques des séquences d’USUV [38, 52] ou d’être, au contraire, consensuelles de la plupart des flavivirus en ciblant une région conservée de 260 paires de bases du gène NS5, commun à ces virus [5355] ; le typage du virus peut alors être réalisé secondairement par séquençage ou hybridation [54]. Cette approche « panflavivirus » est certes plus fastidieuse, mais elle présente un double avantage. D’une part, elle ne présume pas de l’agent initialement recherché, ce qui peut être d’intérêt lors de surveillance combinée de pathogènes qui présentent des épidémiologies très proches comme l’USUV et le WNV. D’autre part, le séquençage, nécessaire pour l’identification de l’agent étiologique, autorise également une analyse phylogénétique des souches. En effet, la région du gène NS5, cible des PCR panflavivirus, se révèle suffisamment discriminante pour la détermination des souches virales [8,56].

Conclusion/perspectives

Responsable d’épizooties récurrentes depuis 1996 dans l’avifaune européenne, l’USUV est maintenant clairement reconnu comme étant responsable chez l’homme d’atteintes neurologiques potentiellement sévères. L’extension de son aire de répartition à un grand nombre de pays européens, la survenue fréquente d’épizooties de mortalité aviaire et la co-circulation de souches très différentes sur le plan génétique nécessitent vigilance et prudence. Aussi, des travaux de recherche accompagnés de mesures de surveillance et de prévention devraient être développés dans les zones les plus à risque. Comme pour tout virus émergent, une approche pluridisciplinaire entre chercheurs virologues, cliniciens, ornithologues, entomologistes et modélisateurs, ainsi que des collaborations intersectorielles entre gestionnaires (santé, agriculture, environnement) et acteurs (médecins, vétérinaires, éleveurs) suivant l’approche « une santé » (one health) devraient être établies afin d’étayer nos connaissances sur l’épidémiologie de ce virus, notamment en terme de facteurs de risque, et dégager des méthodes de surveillance et de prévention adaptées efficientes.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Paralysie faciale aiguë idiopathique, dite a frigore ou paralysie de Bell pour les Anglo-Saxons.
2 Arbovirus signifie arthropod-borne virus : qui est transmis par les arthropodes. Les arbovirus se multiplient à la fois chez les vertébrés (éventuellement l’homme) et chez des arthropodes piqueurs (comme les moustiques, phlébotomes ou tiques). L’arthropode s’infecte lors du repas sanguin sur un vertébré virémique. Le virus franchit la barrière digestive et se multiplie dans l'hémocoele de l’arthropode (si ce dernier est compétent) puis diffuse et gagne les glandes salivaires. L’arthropode transmet le virus par la salive lors de la piqûre d’un autre vertébré.
3 Qui donne lieu à la production d’anticorps aux réactions croisées entre virus.
4 Maladie épidémique, qui n'atteint que les animaux d'une seule localité ou d'une seule exploitation.
5 Collaboration Office national de la chasse et de la faune sauvage, réseau SAGIR et Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Le réseau SAGIR est un réseau de surveillance épidémiologique des oiseaux et des mammifères sauvages terrestres en France. Sa mission est de surveiller les maladies de la faune sauvage.
6 Lignée de cellules épithéliales de rein de singe vert d'Afrique.
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