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Med Sci (Paris). 34(10): 784–787.
doi: 10.1051/medsci/2018197.

Streptococcus gallolyticus
Un pathogène opportuniste associé au cancer du côlon

Laetitia Aymeric1,2 and Shaynoor Dramsi3*

1Unité de pathogénie microbienne moléculaire, Institut Pasteur, Inserm U1202, 28, rue du Docteur Roux, 75015Paris, France
2CRCINA, Inserm, Université de Nantes, université d’Angers, Angers, France
3Unité de biologie des bactéries pathogènes à Gram-positif, Institut Pasteur, CNRS ERL6002, 28, rue du Docteur Roux, 75015Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Transformation cellulaire néoplasique, Tumeurs du côlon, Endocardite bactérienne, Humains, Souris, États précancéreux, Infections à streptocoques, Streptococcus gallolyticus, anatomopathologie, microbiologie, complications, pathogénicité

 

Streptococcus gallolyticus sous-espèce gallolyticus (Sgg), autrefois appelé Streptococcus bovis, fait partie de la grande famille des Streptocoques du groupe D, regroupés également sous le nom de complexe Streptococcus bovis/Streptococcus equinus (SBSE). Ce groupe comprend des bactéries très diverses : certaines, comme S. gallolyticus sous-espèce macedonicus (Sgm), sont utilisées comme ferments lactiques ; d’autres, telles que Sgg, sont considérées comme des bactéries pathogènes opportunistes pour l’homme et l’animal. En effet, Sgg est une cause émergente d’endocardite infectieuse, une inflammation de la paroi interne du cœur touchant les individus immunodéprimés ou âgés, dont l’incidence est en constante augmentation dans les pays développés. S. gallolyticus ex bovis a été l’une des premières bactéries intestinales à être associée au cancer du côlon, dès 1951 [1].

Streptococcus gallolyticus (Sgg) : une bactérie commensale ?

Les bactéries du groupe SBSE colonisent le tractus intestinal d’animaux tels que les koalas, les oiseaux, les ruminants, ainsi que celui de l’homme. Ces bactéries jouent un rôle essentiel dans la digestion chez les herbivores, par leur capacité à dégrader les sucres végétaux. Sgg présente en outre la spécificité de dégrader les tanins et leurs métabolites toxiques, tels que le gallate. Cette propriété la rend essentielle dans le tractus intestinal des koalas, grands consommateurs de feuilles d’eucalyptus particulièrement riches en tanins. La capacité de Sgg à coloniser le tractus intestinal humain a d’abord été mise en évidence, dès les années 1950, à la suite de la détection de cas d’endocardites infectieuses d’origine intestinale. Des études ultérieures ont montré que, dans le groupe SBSE, Sgg était la bactérie la plus fréquemment associée à ces cas cliniques. Le séquençage du génome de Sgg a mis en évidence des gènes codant des protéines aux propriétés métaboliques intéressantes, permettant à cette bactérie de s’adapter à l’environnement intestinal humain, notamment par sa capacité à résister à la toxicité des acides biliaires et d’être autonome [2].

Les patients atteints d’une infection invasive à Sgg (bactériémie et/ou endocardite) ont un risque accru de présenter des lésions cancéreuses ou pré-cancéreuses au niveau du côlon. Ainsi, près de 60 % des individus infectés par la bactérie présentent des lésions cancéreuses, un taux bien supérieur à celui d’une population contrôle non infectée [3]. Aussi, une coloscopie systématique est préconisée chez les personnes présentant une infection invasive à Sgg. Concernant le portage commensal de cette bactérie dans le tractus intestinal chez l’homme, des méthodes de détection fondées sur la culture en milieu sélectif après enrichissement montrent un portage relativement faible, entre 2,5 et 15 % des individus. Des études plus récentes utilisant des techniques moléculaires (amplification d’ADN) indiquent un portage plus important, entre 40 et 60 % [4]. à noter que la probabilité d’être porteur de Sgg est augmentée chez les individus présentant un mode de vie rural au contact des animaux [5].

Sgg exprime des facteurs de colonisation spécifiques favorisant son adhérence aux cellules tumorales

Le séquençage du génome de Sgg souche UCN34 a mis en évidence trois opérons (pil1, pil2, pil3) codant des polymères protéiques de surface, appelés pili, souvent impliqués dans l’adhérence des bactéries à des supports abiotiques et cellulaires. Le séquençage de pil1, codant deux sous-unités structurales, l’adhésine PilA et la piline majeure PilB, a révélé que Pil1 permettait l’adhérence de la bactérie aux collagènes de type I et IV [6]. Le collagène de type I est le composant structural majeur des valves cardiaques. L’expression de l’opéron pil1 dans la souche non-pathogène de Lactococcus lactis a permis de montrer que Pil1 est nécessaire et suffisant à l’adhérence aux valves cardiaques dans un modèle expérimental d’endocardite chez le rat [6]. Pil1 a été le premier facteur de virulence identifié chez Sgg. L’épithélium colique des patients atteints de cancer colorectal (CCR) présente également un taux de collagène IV augmenté [7]. Ceci suggère que Pil1 pourrait également favoriser la colonisation de l’épithélium intestinal par Sgg chez les patients atteints de CCR.

Pil3 a été le second pilus étudié chez Sgg. Pil3 permet l’adhérence de Sgg au mucus colique [8]. In vitro, l’adhésine de Pil3 est capable de se lier aux mucines purifiées Muc5AC et Muc2, la mucine majoritaire dans le côlon humain et murin. Dans des modèles murins de colonisation intestinale par Sgg, des marquages histologiques ont révélé la présence de la bactérie dans la couche de mucus. L’existence de lésions pré-néoplasiques ou néoplasiques est, de manière intéressante, associée à une expression aberrante de Muc5AC, ainsi qu’à une modification du patron de glycosylation des mucines coliques [9]. Ces données pourraient expliquer la plus grande adhérence de la bactérie au tissu épithélial chez les individus atteints de CCR. Chez ces patients, Sgg est en effet plus fréquemment détectée en association avec le tissu tumoral qu’avec le tissu sain adjacent. Ainsi, en marquant spécifiquement Sgg sur des coupes de tissus coliques humains, une étude récente a montré que Sgg était détectée sur 74 % des tumeurs et seulement présente sur 47 % des tissus sains adjacents [10].

La présence de lésions cancéreuses ou pré-cancéreuses dans le côlon favorise la colonisation intestinale par Sgg
L’environnement tumoral favorise la colonisation intestinale de Sgg au détriment d’autres bactéries commensales
La question clé concernant l’association entre Sgg et cancer du côlon est de savoir si cette bactérie peut induire ou accélérer le développement tumoral ou si elle profite seulement de l’environnement tumoral pour efficacement coloniser l’intestin.

En 2012, en utilisant des lignées cellulaires humaines dérivées de tumeurs du côlon, une étude a montré que les métabolites produits par les cellules tumorales au cours de leur prolifération favorisaient la multiplication de Sgg [11]. En approfondissant leur analyse, les auteurs ont montré que ce sont les métabolites issus de la dégradation glycolytique du glucose (le fructose-6-phosphate et le glycerate-3-phosphate) par les cellules tumorales qui favorisent la prolifération de Sgg, mais pas celle d’autres bactéries telles que Escherichia coli.

Plus récemment, une étude a révélé dans un modèle expérimental murin de cancer colorectal que la quantité de Sgg présente dans l’intestin était augmentée d’un facteur 1 000 en présence de polypes [12]. Cet avantage compétitif survient au détriment d’autres bactéries commensales de l’intestin comme Enterococcus faecalis. Ce bénéfice repose sur la production d’une bactériocine (un antibiotique naturel) appelée gallocine, sécrétée par la bactérie Sgg et capable d’inhiber la prolifération de bactéries commensales du genre Enterococcus. La comparaison des génomes des différentes bactéries du groupe SBSE révèle que les gènes codant cette bactériocine sont exclusivement présents dans les souches de Sgg et absents chez les autres bactéries du groupe. Des tests fonctionnels ont de plus montré que la majorité des isolats cliniques de Sgg présentaient la capacité de produire la gallocine.

Une augmentation de la concentration luminale des acides biliaires secondaires favorise la colonisation par Sgg
La gallocine est naturellement produite et sécrétée par Sgg, mais son activité bactéricide nécessite la présence de détergents, comme les acides biliaires secondaires, des métabolites présents en grande quantité dans le côlon [12]. Ainsi, l’augmentation de la concentration luminale d’acides biliaires secondaires favorise la colonisation intestinale par Sgg, selon un mécanisme dépendant de sa capacité à produire la gallocine. En effet, l’administration de déoxycholate (DCA), principal acide biliaire secondaire, augmente la quantité de Sgg dans le côlon de souris ayant reçu la bactérie par voie orale. Les acides biliaires secondaires sont issus de la métabolisation par les bactéries intestinales des acides biliaires primaires produits par le foie. Plus de 80 % des acides biliaires produits par le foie sont réabsorbés par la muqueuse intestinale, au niveau de l’iléon et du côlon, puis rejoignent le foie, où ils sont à nouveau excrétés dans la lumière intestinale. Ce cycle entéro-hépatique régule la concentration d’acides biliaires présents dans la lumière intestinale. Sa perturbation peut donc moduler la colonisation de Sgg. Dans le modèle génétique de cancer colorectal murin utilisé par Aymeric et ses collaborateurs, la mutation du gène suppresseur de tumeurs Apc (adenomatous polyposis coli), qui est retrouvée dans 80 % des CCR, a été corrélée à une diminution de l’expression d’un transporteur des acides biliaires secondaires (Slc10A2 [solute carrier family 10 member 2]) au niveau de l’iléon et du côlon, et à une augmentation de la concentration luminale de DCA et d’acide lithocholique (LCA), les deux principaux acides biliaires secondaires.

La concentration d’acides biliaires secondaires est également modulée par des facteurs environnementaux, tels que le régime alimentaire. En effet, la première fonction des acides biliaires étant de faciliter la digestion des graisses, leur taux augmente chez les personnes ayant une alimentation riche en graisse. Ce type d’alimentation pourrait favorisait la colonisation intestinale par Sgg et pourrait expliquer l’augmentation de l’incidence de cette infection dans les pays développés [13] ().

(→) Voir la Synthèse de J. Raisch et al., m/s n° 3, mars 2016

Une augmentation de DCA et de LCA dans les selles est par ailleurs associée à un risque accru de développer des lésions cancéreuses dans le côlon.

Streptococcus gallolyticus : un pathobionte associé au cancer du côlon
Sgg favorise la croissance des tumeurs en induisant la prolifération des cellules tumorales
Un pathobionte est une bactérie commensale (symbionte) qui a le potentiel de devenir pathogène en cas de fragilisation (immunitaire ou autre) de l’hôte. Bien que les Sgg puissent coloniser des individus sains ne présentant pas de signes cliniques de CCR, la présence de tumeurs coliques favorise leur adhérence à l’épithélium intestinal, ce qui entraîne des effets délétères pour l’hôte. Une étude récente a en effet montré que les Sgg pouvaient favoriser la prolifération de cellules tumorales coliques humaines in vitro [12]. En comparant différentes souches de Sgg, les auteurs ont montré que les capacités pro-tumorales de ces bactéries étaient directement corrélées à leurs capacités d’adhérence aux cellules tumorales [14]. Dans ces modèles, Sgg n’induit pas la prolifération de cellules non tumorales humaines. Sgg semble donc constituer un facteur favorisant la croissance tumorale, uniquement après l’apparition de premières lésions cancéreuses ou précancéreuses.
Sgg traverse la barrière intestinale et peut causer une bactériémie et une endocardite infectieuse
La modification des propriétés de colonisation de Sgg en présence de lésions tumorales ainsi que la perturbation de la muqueuse colique (diminution de la couche de mucus) permettraient à la bactérie d’atteindre les cellules épithéliales formant la barrière intestinale. Cette proximité pourrait ainsi favoriser la translocation de Sgg dans le sang périphérique et précipiter le développement d’une bactériémie et/ou, en conséquence, une endocardite infectieuse. Ce modèle serait en accord avec les données épidémiologiques indiquant une forte association entre les endocardites infectieuses à Sgg et la présence de lésions cancéreuses au niveau du côlon. Sur des lignées de cellules épithéliales issues de cancer du côlon, une étude a ainsi montré que Sgg présentait la capacité de traverser une couche de cellules épithéliales polarisées alors qu’une autre bactérie du groupe SBSE, Sgm, ne le pouvait pas [15]. En utilisant des techniques d’imagerie, les auteurs ont découvert que cette translocation s’effectuait selon une voie paracellulaire, sans induire de dommages épithéliaux ni l’expression de cytokines inflammatoires, telles que l’IL-1β (interleukine-1β) ou l’interleukine-8 (IL-8).
Conclusion

Au sein du groupe de bactéries appartenant au complexe SBSE, Sgg présente des caractéristiques tout à fait uniques, et, notamment, une propension à se multiplier dans le tractus intestinal d’individus atteints de cancer du côlon, la capacité de traverser la barrière épithéliale, de rester relativement invisible vis-à-vis du système immunitaire de l’hôte, et de causer des endocardites infectieuses en formant des biofilms sur les valves cardiaques. Ces propriétés reflètent l’expression de facteurs de colonisation, incluant les pili et une bactériocine spécifique. Chez les personnes à risque, la détection de Sgg par des marqueurs moléculaires pourrait constituer un outil diagnostique intéressant en santé humaine pour le dépistage précoce du cancer colorectal.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Nous exprimons notre très profonde gratitude à Philippe Sansonetti pour avoir initié, guidé et soutenu ce projet de recherche au cours de ces 5 dernières années, ses précieux conseils et son soutien scientifique inconditionnel. Nous tenons également à remercier sincèrement Julie Guignot et Asma Tazi pour leur relecture attentive de cette Nouvelle.

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