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Med Sci (Paris). 34(11): 913–915.
doi: 10.1051/medsci/2018227.

Une nouvelle mission pour l’IL-33
L’élagage synaptique

Elise Dalmas1*

1Inserm, centre de recherche des Cordeliers - UMRS 1138, Sorbonne universités, UPMC Paris 6, université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité - 75006Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Astrocytes, Humains, Immunité innée, Interleukine-33, Mammifères, Souris, Microglie, Plasticité neuronale, Synapses, métabolisme, effets des médicaments et substances chimiques, génétique, pharmacologie, physiologie

L’IL-33 s’invite dans le cerveau

Le système nerveux central (SNC) des mammifères, correspondant à l’encéphale et à la moelle épinière, repose sur des circuits synaptiques bien définis. Ces circuits sont mis en place au cours du développement du cerveau grâce aux milliards de connections établies entre neurones et au soutien des cellules gliales. Ces cellules gliales (du grec « gluant ») sont réparties en trois sous-populations : les astrocytes, de forme étoilée, qui assurent aux neurones un support et une protection essentiels ; les cellules microgliales, ou macrophages résidents du SNC, qui surveillent dynamiquement le microenvironnement ; et les oligodendrocytes à l’origine de la formation de myéline entourant les fibres nerveuses.

Durant les premières semaines après la naissance, le SNC subit un important remodelage des synapses, une étape clé pour la formation des circuits neuronaux matures. En effet, à cette période, les neurones établissent d’abondantes connections synaptiques, ce qui nécessite un affinage et l’élimination des synapses en excès. Grâce à leurs grandes capacités de phagocytose, les cellules microgliales semblent jouer un rôle majeur dans l’élimination de ces synapses aberrantes [1]. Cependant, les mécanismes moléculaires qui interviennent dans ce processus nommé élagage synaptique (ou synapse pruning) restent encore peu connus. Dans un récent numéro de la revue Science, Vainchtein et ses collaborateurs ont proposé que l’interleukine (IL)-33, une cytokine nucléaire de la famille des IL-1, soit impliquée dans l’homéostasie synaptique au cours du développement précoce du SNC [2].

Des fonctions au-delà de l’immunité

Depuis sa découverte, l’IL-33 était considérée comme la cytokine des barrières épithéliales responsable des réactions immunitaires de type 2 dans des contextes d’infections parasitaires et d’asthme allergique. L’IL-33 fonctionne comme un signal d’alarme, libérée après des dommages tissulaires, et qui active les cellules immunitaires de type 2 telles que les lymphocytes T auxiliaires Th2 (T helper-2), les éosinophiles ou les cellules lymphoïdes innées de type 2 (ILC2), via son unique corécepteur ST2 (suppression of tumorigenicity 2) également connu sous le nom d’IL-1-RL1 (interleukin 1 receptor-like 1). Plus récemment, des études ont démontré l’étendue du champ d’action de l’IL-33. Son action ne serait plus limitée à ses propriétés immunitaires primaires, mais elle aurait également des fonctions inattendues dans la physiologie des tissus. En effet, l’IL-33 contrôle la thermogenèse du tissu adipeux brun ou beige, et elle apparaît comme un régulateur important de la sécrétion d’insuline par les cellules β des îlots pancréatiques [3, 4]. Dans le cerveau, la majorité des études réalisées chez la souris associe la réparation des lésions du SNC à l’activation de l’immunité régénérative de type 2 par l’IL-33 [5-7]. Néanmoins, la possibilité que l’IL-33 joue également un rôle physiologique dans le développement du SNC restait à préciser.

Les astrocytes, source d’IL-33 dans le SNC

Pour la première fois, Vainchtein et ses collaborateurs démontrent que l’expression endogène d’IL-33 dans le cerveau, et plus particulièrement dans les régions thalamiques et de la moelle épinière, est corrélée positivement au développement post-natal [2]. En se fondant sur les résultats d’études utilisant des modèles murins transgéniques exprimant des gènes rapporteurs associés à l’IL-33, les auteurs proposent que l’expression de l’interleukine soit confinée à la matière grise, la partie du cerveau dans laquelle de nombreux neurones forment des synapses et identifient les astrocytes comme la source locale majeure d’IL-33. Les astrocytes produisant l’IL-33 se caractérisent par l’expression de gènes associés à la fonction synaptique et à la signalisation des neurotransmetteurs, soulignant ainsi leur capacité de répondre spécifiquement aux signaux envoyés par les synapses. Par exemple, l’ouverture des yeux des souriceaux coïncide avec une forte expression d’IL-33 dans le noyau visuel du thalamus, un phénomène qui est inhibé lorsque les synapses sensorielles afférentes sont éliminées par énucléation. Ces résultats suggèrent que l’expression d’IL-33 dans le cerveau en développement est associée à l’activité des astrocytes durant cette période de remodelage synaptique intense.

L’IL-33 contrôle le nombre des synapses via les cellules microgliales

Les auteurs ont ensuite évalué l’impact de la délétion du gène codant l’IL-33 sur le nombre de synapses et l’activité des circuits neuronaux. L’enregistrement des oscillations du circuit intra-thalamique et de l’activité neuronale excitatrice post-synaptique chez des souris jeunes suggèrent que l’absence d’IL-33 induit un nombre excessif de synapses excitatrices et une hypersensibilité dans le thalamus en comparaison des souris contrôles. Un phénotype similaire est observé chez des souris déficientes pour le gène codant l’IL-33 spécifiquement dans les astrocytes, ou pour le gène codant son récepteur ST2. Dans ces modèles, les connexions synaptiques excessives sont associées à l’expression de marqueurs de stress au sein de la matière grise et à un déficit du réflexe de sursaut acoustique en réponse à un stimulus sonore brusque, un circuit sensori-moteur reposant sur les motoneurones-α (qui innervent les fibres musculaires responsables de la contraction depuis la moelle épinière). Il semble donc que la voie de signalisation de l’IL-33 régule efficacement le nombre et la fonction des synapses.

Sachant que l’IL-33 est produite par les astrocytes, les auteurs se sont ensuite interrogés sur l’identité de sa cible cellulaire dans le cerveau. Ils ont ainsi démontré que les cellules majoritaires capables de répondre à l’IL-33 au niveau du thalamus et de la moelle épinière sont les cellules microgliales. Leur rôle consiste en l’élagage des synapses aberrantes par phagocytose puis en l’élimination des éléments synaptiques. In vitro, l’IL-33 recombinante induit effectivement l’activation et la phagocytose du synaptosome (terminaison de synapse inter-neuronale) par des cellules microgliales purifiées. In vivo, l’absence d’IL-33 altère considérablement la fonction phagocytaire des cellules microgliales des souris déficientes en comparaison à des souris contrôles. En revanche, un traitement par l’IL-33 favorise l’élimination des synapses excitatrices par les cellules microgliales au sein du thalamus et de la moelle épinière de la souris. Cet effet de l’IL-33 n’est que partiellement réduit par une délétion conditionnelle du récepteur ST2 dans les cellules microgliales, suggérant que d’autres types cellulaires non microgliales mais exprimant ST2, pourraient également contribuer à ce processus. Ces résultats révèlent donc que l’IL-33 joue un rôle majeur dans la régulation du nombre de synapses et dans leur maturation durant le développement du SNC via l’installation d’un dialogue dynamique entre les astrocytes et les cellules microgliales comme l’illustre la Figure 1.

Interrogations et perspectives

L’étude de Vainchtein et de ses collaborateurs révèle donc la capacité surprenante des astrocytes du SNC à détecter puis traduire l’existence de connexions synaptiques aberrantes en un signal d’alarme représenté par l’IL-33 [2]. Cette découverte soulève toutefois quelques questions. Il est pertinent de s’interroger sur la nature des signaux synaptiques captés par les astrocytes et qui déclenchent l’expression d’IL-33. La possibilité que des neurones, ou toute autre cellule neurale, produisent un ou des facteurs de stress, en amont de l’IL-33, afin d’activer les astrocytes voisins dans un contexte de connexions synaptiques excessives reste à déterminer. L’IL-33 est une cytokine nucléaire généralement libérée par des cellules endommagées ou nécrotiques. Les mécanismes de sa libération par les astrocytes sont donc à découvrir : les astrocytes sécrètent-ils en effet l’IL-33 de manière active, ou au cours d’un processus de mort cellulaire ?

Grâce à l’étude de différents modèles de souris transgéniques, le travail de Vainchtein et de ses collaborateurs a également permis de montrer que le remodelage synaptique conduit par l’IL-33 n’était que partiellement inhibé en l’absence du récepteur ST2 sur les cellules microgliales [2]. Cette observation suggère que d’autres cellules exprimant ST2 pourraient également répondre à l’IL-33 et contribuer à l’élagage synaptique. Les cellules microgliales coexistent avec de nombreuses autres cellules immunitaires au sein du SNC, notamment des cellules dendritiques et des ILC2 connues pour exprimer ST2 [8]. Une étude récente a montré que l’IL-33 était également capable d’activer les cellules endothéliales cérébrales. Ces cellules pourraient ainsi représenter un nouvel acteur du dialogue entre astrocytes, cellules microgliales et neurones [9]. Des études supplémentaires permettraient de déterminer si l’IL-33 produite par les astrocytes active parallèlement d’autres cellules pouvant ainsi créer une réponse immunitaire de type 2 ou toute autre cascade cellulaire dans le SNC.

L’ensemble des résultats obtenus par Vainchtein et ses collaborateurs soulève la question récurrente de la conservation de ces propriétés de l’IL-33 dans le SNC chez l’homme. Le travail réalisé a en effet été conduit exclusivement chez la souris et la possibilité que l’IL-33 joue un rôle dans le développement du cerveau humain nécessitera des recherches plus approfondies. La découverte du contrôle de l’élagage synaptique par l’IL-33 pourrait ouvrir de nouvelles perspectives de recherche sur les maladies caractérisées par des connexions synaptiques aberrantes comme les troubles du spectre de l’autisme [10] (). Le trouble du spectre de l’autisme est une condition neuro-développementale qui survient à la suite d’un déséquilibre entre excitation et inhibition dans les synapses neuronales en développement [11]. Dans certaines formes d’autisme, il en résulte une hyperexcitabilité du circuit neuronal local et une altération globale de la connectivité du cerveau chez l’enfant. Malgré une étiologie très complexe, une dérégulation de la voie de signalisation de l’IL-33 pourrait devenir une cible potentielle pour prévenir l’apparition de troubles de l’autisme chez l’enfant.

(→) Voir la Nouvelle de S.J. Baudouin m/s n° 2 février 2012, page 121

L’élégante étude menée par Vainchtein et ses collaborateurs démontre ainsi que l’IL-33 contrôle le remodelage synaptique du SNC, une étape critique du développement du cerveau [2]. Ces résultats enrichissent la littérature déjà florissante démontrant les rôles physiologiques divers, non immunitaires, de l’IL-33 dans l’homéostasie des organes.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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Paolicelli RC, Bolasco G, Pagani F, et al. Synaptic pruning by microglia is necessary for normal brain development . Science. 2011; ; 333 : :1456.–1458.
2.
Vainchtein ID, Chin G, Cho FS, et al. Astrocyte-derived interleukin-33 promotes microglial synapse engulfment and neural circuit development . Science. 2018; ; 359 : :1269.–1273.
3.
Odegaard JI, Lee MW, Sogawa Y, et al. Perinatal licensing of thermogenesis by IL-33 and ST2 . Cell. 2016; ; 166 : :841.–854.
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10.
Baudouin SJ. Apport des modèles murins dans l’autisme syndromique et non sydromique-une physiopathologie commune ? . Med Sci (Paris). 2012; ; 29 : :121.–123.
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