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Med Sci(Paris). 34: 11–13.
doi: 10.1051/medsci/201834s107.

Vers une meilleure organisation des soins pour les maladies rares : le point de vue d’un acteur académique

Guillaume Jondeau

Coordonnateur du centre de référence, Professeur des Universités, Service de cardiologie, CHU Paris Nord-Val de Seine – Hôpital Xavier Bichat-Claude Bernard, 46, rue Henri Huchard, 75018Paris, France
Corresponding author.
 

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Les centres de référence sont une réalisation majeure pour la prise en charge des patients. Ils ont permis une concentration des patients et donc un gain d’expertise pour les professionnels de santé. De même, cette concentration a permis la constitution de bases de données d’une taille suffisante pour permettre de recueillir des données fiables. Les CRMR ont permis une organisation multidisciplinaire, associant acteurs cliniques différents travaillant ensemble, mais aussi articulant clinique et recherche. Les CRMR ont ainsi acquis une reconnaissance nationale et internationale.

L’expérience du centre de référence pour le syndrome de Marfan et les syndromes apparentés

Je travaille sur le syndrome de Marfan et les syndromes apparentés, tous caractérisés par une dilatation de l’aorte (qui risque de se rompre et fait le risque de ces syndromes) avec atteinte multisystémique. Mon centre de référence travaille avec d’autres centres experts, qui ont grandi en taille et expertise au fil des années pour devenir au cours de la dernière campagne de labélisation pour certains des centres de référence constitutifs, pour d’autres des centres de compétence, améliorant ainsi la couverture du territoire. Nous avons des conférences téléphoniques une fois par mois entre les différents centres. Le nombre de patients pris en charge dans le Centre de référence ne cesse d’augmenter depuis 1995, ce qui signifie que le nombre de patients ayant accès à l’expertise va croissant puisque par ailleurs le nombre de centre augmente également.

Le patient accueilli dans notre centre voit au cours de la même journée un généticien ou un conseiller en génétique pour faire un arbre et au besoin un prélèvement sanguin, un cardiologue avec réalisation d’une échographie cardiaque, un rhumatologue avec des radios, un pédiatre s’il s’agit d’un enfant, l’ophtalmologue du fait des complications ophtalmologiques associées à cette pathologie, une assistante sociale et une psychologue pour une prise en charge complète (Figure 1). Des examens d’imagerie complémentaires sont réalisés si nécessaire. Tous les praticiens qui ont vu les patients se réunissent chaque semaine pour discuter des patients vus la semaine précédente, ce qui garantit une bonne circulation des informations et une prise en charge ou une avancée dans le diagnostic optimale.

Ce schéma clinique a permis une recherche translationnelle organisée : le centre de référence interagit avec l’hôpital qui l’abrite oú se trouve le laboratoire de génétique moléculaire. Le service de chirurgie cardiaque permet d’obtenir les parois aortiques opérées qui serviront aux recherches fondamentales réalisées à l’unité Inserm située dans le même hôpital. Nous avons mis en place des organisations pour la prise en charge des grossesses, du fait des risques particuliers associés. Une fois mis en place, ce type d’organisation permet d’obtenir des cohortes de patients parfaitement phénotypés, autorisant la recherche clinique, permet la découverte de nouveaux gènes, permet de décrire l’histoire naturelle des pathologies nouvellement découvertes, de constituer des banques d’imagerie, des biobanques de plasma, de cellules ou d’ADN. Ces interactions entre cliniciens et chercheurs plus fondamentaux permettent des publications de très haut niveau. Ainsi, les dernières recommandations de la Société Européenne de Cardiologie sur les pathologies valvulaires s’appuient sur cinq études issues du centre de référence. Cette organisation permet donc une amélioration de la prise en charge pratique des patients.

II reste à favoriser et valoriser les nouveaux métiers, comme les conseillers en génétique, qui n’ont pas de grille de carrière à l’AP-HP. L’accès aux psychologues est également décrit comme insuffisant par beaucoup d’acteurs. La télémédecine, la téléconsultation et la télé-expertise doivent encore se développer. Enfin, le financement des centres de compétence est un point majeur non résolu (ils ne sont pas financés à ce jour).

Le centre de référence dans sa filière

Les filières constituent un deuxième niveau d’organisation. Ma filière comporte le centre de référence sur le syndrome de Marfan et les syndromes apparentés, des centres de référence sur les fistules artério-veineuses (maladies de Rendu-Osler; fistules artérioveineuses superficielles; fistules artério-veineuses cérébrales), un dernier sur les autres maladies vasculaires rares. Une filière assure une coordination interne entre les centres au sein de la filière et aussi externe sur le terrain entre les domaines sanitaires, social et médico-social. Les coopérations entre centres et filières se passent très bien et permet la réalisation de nombreuses actions : ici des fiches pour la prise en charge des patients avec maladies rares des centres de référence de la filière lors des situations d’urgence fréquentes (saignement, précaution en cas de prise d’aspirine…) et de soins courants (grossesse…). Ces fiches sont à la disposition des médecins sur le site Internet de la filière. Des vidéos proposent aux malades des explications sur les prises en charge sociales auxquelles ils ont droit. Ce sont des exemples parmi de nombreuses autres actions.

La filière a répondu à un appel d’offres de la Fondation maladies rares sur les conséquences humaines et sociales. Le rôle des filières n’est en effet pas le soin, mais la prise en charge globale des patients : nous organisons un tour de France avec des journées permettant l’information sur le travail des patients – avec la participation de la Sécurité sociale, de Pôle Emploi, d’entreprises –, l’école des enfants – école à domicile ou à l’hôpital, adaptation de l’école au handicap, MDPH et structures associatives. Tous ces acteurs se réunissent au cours d’une journée, dont la première s’est tenue à Lyon avec 60 participants et la deuxième à Toulouse avec onze autres filières et cent participants. Nous en sommes à la 5e.

Les difficultés que rencontrent les filières tiennent d’abord à leur statut, et leur dépendance hospitalière alors qu’elles ne sont pas des structures de soin. Les problèmes de grille de salaire inadaptée entraînent un turn-over du personnel. Le remboursement des transports et l’organisation des réunions se heurtent à des lourdeurs administratives. Les acteurs médicaux des filières sont toujours les mêmes et finissent par être sur-sollicités et surmobilisés. Là encore, la télémédecine est une solution potentielle.

Le réseau européen de référence sur les anomalies vasculaires rares

Enfin, le dernier niveau d’organisation est européen. Les réseaux européens de référence sont nés en mars 2017. Lancés à Vilnius, en Lituanie, ils sont au nombre de 24. Le réseau VASCERN s’occupe des pathologies vasculaires aorte (Marfan et apparentés), des vaisseaux de moyen calibre, des fistules artério-veineuses, des lymphatiques, pathologies qui concernent 1,3 million de patients au sein de l’Union européenne, ce qui est une sous-estimation très probablement. Les 31 hôpitaux qui y participent sont répartis dans onze pays, avec une densité plus ou moins importante suivant les pays et des pays non représentés, reflets de l’organisation locale, mais aussi parfois de choix politiques. Il est important de couvrir davantage de pays pour faire bénéficier les pays n’ayant pas de programme de maladies rares de l’expérience des autres.

L’ERN est organisé en groupes de travail par pathologies : un pour l’aorte, un pour les artères de moyen calibre, un pour les lymphÅ“dèmes, un pour les anomalies vasculaires, un pour le Rendu-Osler. Ces groupes se réunissent une fois par mois par téléconférence. Chacun des groupes comprend un représentant de patients, ce qui permet une bonne information/participation des patients. Des groupes de travail transversaux traitent des problématiques communes aux maladies rares de notre réseau : registres, éthique, communication, etc.

La feuille de route prévoit :

La discussion des cas cliniques difficiles dans le Clinical Patient Management System fourni par la Commission européenne, système de consultation par téléconférence.

Nous devons définir les parcours de soin des patients. Un parcours de soins décrit la prise en charge optimale en présence d’un signe donné pour parvenir au diagnostic clinique et proposer un traitement adapté. Il représente une standardisation de la prise en charge et du traitement des patients au niveau européen.

Nous avons prévu de développer une application mobile pour permettre aux patients de savoir oú se trouvent les centres de référence qui leur correspondent.

Nous travaillons sur de petites vidéos pour informer les médecins et les patients sur des questions très précises (pills of knowledge).

Les actions portent également sur les registres, les études cliniques, des conférences sur YouTube, des recommandations à écrire et un important rôle de communication.

La coordination du réseau européen de référence nous apporte 200 000 euros de la part de l’Union européenne, représentant 60 % du budget. La DGOS nous aide à hauteur de 60 000 euros, de même que la filière française.

Parmi les difficultés de cette organisation se trouve la question de l’obtention du cofinancement. Nous devrons également étendre les centres participants à notre ERN aux différents pays de l’Europe, notamment l’Europe de l’Est, mais cela demande des moyens. La encore, la télémédecine est un outil important pour y arriver.

Pour conclure, je voudrai souligner que nous avons enregistré des progrès majeurs dans la qualité et la rapidité de prise en charge des patients porteurs de maladies rares en France, du moins dans la pathologie dont je m’occupe. Les bases de données ont atteint des tailles suffisantes pour tirer des conclusions fiables. Il faut souligner qu’un véritable esprit de coopération règne entre les acteurs impliqués dans la prise en charge des patients présentant une maladie rare. Il reste cependant à financer tous les protagonistes – centres de compétences, hôpitaux non coordinateurs dans les réseaux européens. Parmi les difficultés figurent également le statut des conseillers en génétique et l’enjeu de la télémédecine.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.