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Med Sci(Paris). 34: 50–51.
doi: 10.1051/medsci/201834s127.

L’évaluation des produits de santé par le CEPS

Maurice-Pierre Planel

Président du CEPS, Comité économique des produits de santé, Ministère de la Santé et des Solidarités, 14, avenue Duquesne, 75350Paris SP 07, France
Corresponding author.
 

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L’évaluation des produits de santé pour décider de leur remboursement est un exercice compliqué. Le payeur trouve le prix trop élevé, le fabricant le trouve trop faible, et le patient considère que la décision est trop tardive. Ce n’est pas agréable tous les jours, mais nous savons que c’est ainsi. Il est parfois reproché au CEPS des négociations opaques, un reproche très contestable. En effet, le système est complexe. Cette complexité est une première source de difficulté de compréhension, y compris pour les connaisseurs du secteur. Pour répondre la demande de plus grande visibilité, le CEPS peut rappeler qu’il travaille sur des critères fixés par la loi. Ils peuvent être discutés, mais ils sont posés par la loi. Pour fixer le prix d’un médicament, le premier critère est l’ASMR, c’est-à-dire la valeur thérapeutique du produit. Elle est relative, et se compare à ce qui existe déjà. Pour les maladies rares, la HAS peut tenir compte du fait que le produit constitue une première stratégie thérapeutique.

La deuxième valeur est la population touchée par la pathologie en question. J’ai travaillé dernièrement sur un produit qui concerne 10 personnes en France, que le laboratoire connaît individuellement. Ce qui n’a d’ailleurs rien d’anormal.

La HAS nous indique dans son avis la valeur thérapeutique du produit, et la population concernée. Cette dernière peut ainsi varier de quelques individus à des millions de personnes. Le dernier élément que nous apporte la HAS, ce sont les comparateurs, c’est-à-dire les traitements préexistants qui ont servi d’étalon.

Nous convertissons ces données en chiffres. Si le traitement est pris une fois, la situation n’est ainsi par la même que s’il doit être suivi sur toute la vie. Dans cette dernière hypothèse, nous expliquons à l’industriel que la valeur n’est pas répartie sur quelques semaines, mais sur des décennies. C’est un point très ardu en oncologie. Pendant des années, les pouvoirs publics ont accepté de payer des produits qui amélioraient la survie sur des durées très courtes. Aujourd’hui, certains produits permettent d’envisager la chronicisation de cancers : la répartition de la valeur ne pourra pas être la même.

En outre, la plupart des débats sur les prix excessifs du médicament en France reposent sur les tarifs appliqués aux États-Unis, d’oú une tendance certaine à l’inflation. Je peux comprendre néanmoins que cette question soit particulièrement sensible.

À ce stade, le médicament, au sens large, constitue une dépense maîtrisée. Cette situation n’est peut-être pas pérenne et mérite d’être étudiée, pour autant, à ce jour, la dépense est contrôlée. Nous avons ce débat depuis trois ans, avec l’arrivée des nouveaux traitements pour l’hépatite C, et leur arrivée n’a pas modifié cet équilibre. Il existe un décalage important entre cette réalité comptable et la sensibilité du sujet dans l’opinion. Le débat sur le prix du médicament est néanmoins nécessaire et légitime.

Il est question de réformer l’évaluation, et il convient de savoir pourquoi. L’évaluation actuelle est considérée comme trop laxiste, et certains critiquent des médicaments qui seraient acceptés sur le marché sans valeur thérapeutique ajoutée réelle.

La fixation du prix des médicaments

Nous avons également évoqué le prix que nous serions disposés à payer pour un médicament permettant d’améliorer ou de sauver une vie. Aujourd’hui, en France, nous réalisons une analyse médico-économique qui permet de mesurer le rapport coût-efficacité des produits. Nous pouvons ainsi savoir à partir de quel prix ils sont efficaces. L’important est l’usage de cette évaluation. A ce jour, nous l’utilisons de façon procédurale. Si la HAS nous indique qu’elle ne dispose pas d’assez de données pour réaliser l’évaluation, nous nous retournons vers le laboratoire pour lui indiquer que son dossier n’est pas assez fourni. Les Britanniques exploitent cette évaluation avec des seuils : le produit est accepté et remboursé en-dessous d’un certain niveau, mais pas au-delà. Ils considèrent alors que la même somme peut être mieux utilisée ailleurs dans le système de santé. Nous pouvons en discuter, et je vous invite à lire le dernier avis du Comité Ethique et Cancer de la Ligue contre le cancer, qui se félicite que ce débat n’ait pas été tranché en France, et que l’utilisation que nous faisons de la médico-économie ne conduise pas à rejeter des produits du marché comme cela se fait outre-Manche. En France, la santé est considérée comme un droit de l’Homme, et nous ne rentrons pas dans cette discussion. Concrètement, nous nous privons ainsi d’un moyen de régulation, que d’autres pays utilisent. De même, tous les pays ne fixent pas administrativement le prix des médicaments.

L’Allemagne laisse ainsi les laboratoires définir les prix, et fixe le niveau de remboursement. L’avantage de notre système est qu’une fois l’étape de l’évaluation et du remboursement franchie, tous les patients ont accès au médicament.

L’accès au marché des produits qui font l’objet d’incertitude
La question qui demeure est celle de l’accès au marché des produits qui font l’objet d’incertitude, et de la gestion de la période avant que des garanties soient disponibles. Elle est à la fois politique et technique. Nous devons accepter collectivement d’aller vers une telle procédure, qui n’est aujourd’hui pas assumée. Le sujet mérite d’être abordé, dans la mesure oú les instances qui décident de la sécurité du produit, et donc de son accès au marché, interviennent de plus en plus tôt dans les dossiers. Les produits arrivent plus vite, au sens oú les essais sont moins nombreux. Les essais de phase 2 sont tellement prometteurs que le produit est considéré comme un réel besoin de santé, sans passer par la phase 3. Or les autorités qui interviennent en aval, pour fixer le prix, sont conçues pour raisonner sur des données plus importantes. Cette question devra donc être traitée. Est-ce aux pouvoirs publics de payer, « pour voir », l’essai de phase 3 du laboratoire, quitte à être remboursés dans plusieurs années après une évaluation plus complète ?

Par ailleurs, il existe un décalage entre le temps académique de construction de l’étude qui permettra de collecter les données, et les besoins de l’autorité de tarification. À ce jour, les produits dont les tarifs restent stables pendant 5 ans, sont peu nombreux. Ces enjeux sont à la fois techniques et politiques, et devront être traités dans les prochaines années.

Aujourd’hui, nous payons des boîtes. Ce mode de tarification n’est peut-être pas adapté aux futures thérapies géniques, car il faudra sans doute aussi payer les prélèvements, la dispensation, l’hospitalisation. Nous devrons avancer rapidement sur ces sujets.

Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.