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Med Sci (Paris). 34: 6–8.
doi: 10.1051/medsci/201834s202.

Le mouvement humain
De l’unité motrice à la force musculaire

François Hug1,2*

1Université de Nantes, France
2Institut Universitaire de France, Paris, France
Corresponding author.
 

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Recrutement des unités motrices : au-delà du principe de taille

L’ensemble des fibres musculaires innervées par le même motoneurone est appelé unité motrice. Les unités motrices sont classifiées en fonction de leurs propriétés structurales et fonctionnelles. On retrouve ainsi aux deux extrêmes, des unités motrices rapides qui produisent un niveau de force important mais qui se fatiguent rapidement, et des unités motrices lentes, qui produisent moins de force mais qui se fatiguent moins vite. Comprendre les modalités de recrutement des unités motrices représente une première étape dans la compréhension de la production du mouvement. En utilisant des électrodes intramusculaires, et depuis peu des matrices d’électrodes de surface, il est possible de mesurer des potentiels d’unités motrices et donc d’étudier leur recrutement. Ainsi, depuis 1957, il est largement admis que les unités motrices lentes (petites) sont recrutées avant les unités motrices rapides (grosses) ; c’est le principe de taille de Henneman [1]. Bien que vérifié dans de nombreux contextes, des exceptions existent, notamment lors de contractions réalisées en présence d’une douleur.

Certaines théories sur la douleur suggèrent que le mouvement s’adapte pour réduire la contrainte dans le tissu douloureux, et ce pour diminuer le niveau de douleur et/ou protéger ce tissu [2]. De nombreux travaux ont mis en évidence une diminution de la fréquence de décharge des unités motrices du muscle douloureux lors d’une tâche isométrique consistant à maintenir un niveau de force sous-maximal en présence d’une douleur induite expérimentalement [2]. La fréquence de décharge des unités motrices déterminant, en partie, le niveau de force produite, il est nécessaire de compenser cette diminution de telle sorte que le niveau de force puisse être maintenu. Ainsi, des travaux ont montré que la douleur ne serait pas associée à une simple inhibition du muscle mais à une redistribution du recrutement des unités motrices en inhibant certaines et en activant d’autres. Par exemple, au sein d’une même région musculaire, une diminution de la fréquence de décharge de la plupart des unités motrices est associée au dé-recrutement de certaines unités motrices et au recrutement de nouvelles unités motrices [3]. De manière surprenante, les nouvelles unités motrices recrutées ne sont pas nécessairement celles attendues en considérant le principe de taille de Henneman. Cette observation fait écho à d’autres travaux, dont certains sont relativement anciens [4], qui suggèrent que le recrutement des unités motrices se ferait dans certains contextes, en fonction de leur avantage mécanique plutôt que de leur taille.

Coordinations musculaires : vers une approche neuro-mécanique

On définit les coordinations musculaires comme la distribution des forces entre les différents muscles pour réaliser une tâche donnée [5]. Il est important de souligner que la force musculaire résulte de la combinaison entre l’activation qu’un muscle reçoit et ses capacités à produire une force. Ces capacités sont déterminées par l’architecture du muscle (volume, longueur des fibres), sa typologie, la longueur et la vitesse auxquelles il opère. Par exemple, deux muscles qui reçoivent la même activation produiront une force différente si leur capacité de production de force - par exemple leur volume - diffère (Figure 1). Il est donc primordial d’appréhender l’étude des coordinations musculaires par une approche pluridisciplinaire souvent appelée neuro-mécanique.

Compte-tenu du nombre de muscles dont on dispose (> 600), il existe en théorie une infinité de possibilités de coordination pour réaliser la plupart des mouvements. Comprendre pourquoi on choisit une solution (ou coordination) nécessite de comprendre la relation entre l’activation qu’un muscle reçoit et ses capacités de production de force. De manière surprenante, dans un système où plusieurs muscles croisent la même articulation, la nature de cette relation n’est pas - ou très peu - connue. Par exemple, si l’on considère deux muscles d’un même groupe musculaire, il existe quatre solutions (Figure 1) :

Les muscles reçoivent le même niveau d’activation ; dans ce cas il existe un déséquilibre de la force produite qui est proportionnel au déséquilibre des capacités de production de force (solution 1, Figure 1).

La distribution des forces entre les muscles est fixe ; dans ce cas il existe un déséquilibre de l’activation (solution 2, Figure 1).

La commande motrice est répartie de telle sorte que l’activation totale est minimisée ; dans ce cas le muscle qui possède la plus grande capacité de production de force recevra une activation plus importante (solution 3, Figure 1).

Il n’existe pas de relation entre la commande motrice et la capacité de production de force.

Certains travaux récents valident l’hypothèse 3 [6] ou 4 [7], selon le groupe musculaire considéré, conduisant dans les deux cas à un déséquilibre des forces entre les muscles synergistes ; le niveau de ce déséquilibre variant grandement entre les individus. L’impact de ce déséquilibre dans le développement et la persistance de troubles musculo-squelettiques reste, à ce jour, inconnu.

Notion de signature individuelle des coordinations musculaires

Nous sommes tous différents. La biométrie profite de ces différences, de telle sorte que des algorithmes permettent de reconnaître les caractéristiques physiques comme le visage, l’iris ou les empreintes digitales. Mais nos différences vont bien au-delà des différences physiques. Nous différons également dans la façon dont nous interagissons avec notre environnement. Le style d’écriture est un exemple bien connu de signature motrice facilement identifiable.

Il nous est tous arrivé de reconnaître un proche par sa manière de marcher. Bien que cela suggère qu’il existe une signature du mouvement propre à chaque individu, cette hypothèse n’a que très peu été explorée. En effet, la grande majorité des études sur le mouvement humain rapportent des valeurs moyennes d’un groupe de sujets, rendant impossible de se rendre compte des différences entre les individus. Et pourtant des études récentes suggèrent que le patron de marche peut permettre d’identifier les individus [8]. Plus précisément, en enregistrant la force de réaction au sol chez 128 participants, ces auteurs ont montré qu’un algorithme de machine learning peut associer entre 80 et 99 % des cycles de marche au bon individu. Si un algorithme est en mesure de classifier (reconnaître) les individus, cela signifie que chaque individu possède son propre patron de marche, et donc une signature individuelle. L’origine de ces signatures reste une question ouverte. Elles peuvent résulter de différences anatomiques qui impliqueraient qu’une même activation des muscles aboutisse à des patrons de mouvement différents entre les individus. Elles peuvent également résulter de signatures individuelles des activations musculaires. C’est cette dernière hypothèse que notre équipe a récemment testée (Hug et al., soumis). Nous avons mesuré l’activité myoélectrique de huit muscles du membre inférieur lors d’une tâche standardisée de pédalage chez 80 individus. En utilisant une technique de machine learning nous avons pu associer les cycles au bon individu dans plus de 99 % des cas, démontrant l’existence d’une signature individuelle des activations musculaires. En d’autres termes, la manière de coordonner l’activation des différents muscles pour produire le mouvement serait propre à chaque individu. Ce résultat souligne la nécessité d’une approche personnalisée de la prise en charge et du diagnostic des troubles moteurs. Il reste maintenant à comprendre l’origine et les conséquences de ces signatures.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Henneman E. Relation between size of neurons and their susceptibility to discharge . Science. 1957; ; 126 : :1345.–1347.
2.
Hodges PW Tucker K Moving differently in pain: a new theory to explain the adaptation to pain . Pain. 2011; ; 152 : (suppl 3) :S90.–S98.
3.
Tucker K Butler J Graven-Nielsen T et al. Motor unit recruitment strategies are altered during deep-tissue pain . J Neurosci. 2009; ; 29 : :10820.–10826.
4.
Desmedt JE Godaux E Spinal motoneuron recruitment in man: rank deordering with direction but not with speed of voluntary movement . Science. 1981; ; 214 : :933.–936.
5.
Hug F Tucker K Muscle coordination and the development of musculoskeletal disorders . Exerc Sport Sci Rev. 2017; ; 45 : :201.–208.
6.
Hug F, Goupille C, Baum D, et al. Nature of the coupling between neural drive and force-generating capacity in the human quadriceps muscle . Proc Biol Sci. 2015;; 282 (1819)..
7.
Avrillon S Guilhem G Barthélémy A Hug F Coordination of hamstrings is individual-specific and is related to motor performance . J Appl Physiol. 2018 ; Jul 5. : doi: 10.1152/japplphysiol.00133.2018.
8.
Horst F Mildner M Schöllhorn WI One-year persistence of individual gait patterns identified in a follow-up study. A call for individualised diagnose and therapy . Gait Posture. 2017; ; 58 : :476.–480.