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Med Sci (Paris). 34: 32–34.
doi: 10.1051/medsci/201834s209.

Combien de patients atteints de SMA en France ?

J. Andoni Urtizberea,1* Ferroudja Daidj,2** and le réseau Filnemus

1Chargé de mission Filnemus, CHU La Timone, Marseille, France
2Centre de Référence neuromusculaire, Paris-Île de France, Nord, Est, Paris, France
Corresponding author.
 

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Les amyotrophies spinales infantiles (ou SMA pour spinal muscular atrophy) représentent un groupe numériquement important de malades en France. Chez l’enfant, il s’agit de la pathologie neuromusculaire la plus fréquente juste après la dystrophie musculaire de Duchenne. On en distingue schématiquement quatre à cinq types selon l’âge d’apparition des symptômes et le niveau d’acquisitions motrices (types 1 à 4 auxquels on rajoute désormais le type 0 pour les formes à début anténatal). Avec l’avènement de thérapies innovantes comme le nusinersen, il est devenu plus que jamais indispensable de connaitre le nombre de patients concernés par la SMA et ce, tous types confondus.

L’épidémiologie de la SMA intéresse toutes les parties prenantes : les cliniciens, les associations de patients, les industriels du médicament mais aussi, et peut-être surtout, les autorités de santé. Pour autant, les motivations de chacun différent : les cliniciens sont sans doute plus préoccupés par les aspects médico-scientifiques de la question [1, 2], les associations de patients voient là l’occasion de se compter et de mieux cibler leurs actions, et les industriels ont besoin de ces données aussi bien pour leur stratégie de recherche et de développement que pour bâtir le(s) modèle(s) économique(s) propre(s) à chaque médicament. Quant aux autorités de santé, elles ont besoin de l’information non seulement à des fins de santé publique mais aussi pour ajuster l’allocation des moyens, surtout dans le cadre des thérapies innovantes et coûteuses. Elles peuvent aussi en avoir besoin pour réfléchir, le moment venu, à d’éventuelles mesures prophylactiques comme le dépistage à la naissance [3, 4].

En vie réelle, le constat est toutefois un peu préoccupant. Malgré les réels besoins évoqués ci-dessus, l’épidémiologie de la SMA en France reste largement à faire. Les chiffres, quand ils existent, sont parcellaires, morcelés voire très datés pour certains d’entre eux. Difficile dans ces conditions de répondre à des questions pourtant basiques : combien de patients ? de quels types ? comment sont-ils répartis par tranche d’âge ? dans quel état se trouvent-ils ? et où résident-ils ?

Ces questions sont posées par les autorités de santé aux experts du domaine et aux laboratoires pharmaceutiques lorsque ces derniers souhaitent obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament donné, ce qui a été le cas du nusinersen. Cet oligonucléotide anti-sens a obtenu une AMM aux États-Unis en décembre 2016 puis une AMM européenne en juin 2017. Dans le cadre de négociations, conduites ensuite dans chaque pays européen, la question du nombre de patients SMA et de leur répartition est apparue comme une priorité et comme un livrable s’imposant à l’industriel en premier lieu, mais aussi par ricochet, à l’ensemble des acteurs.

En France, il y a eu par le passé plusieurs tentatives de comptage, même partiel, de cette population de malades. On peut citer à cet égard l’étude multicentrique d’Annie Barois à Garches destinée, chez 300 patients suivis en France, à établir l’histoire naturelle de la SMA [5]. Il faut également rendre hommage au premier registre national SMA ayant vu le jour dans les années 2000 sous la direction de Pascale Saugier-Veber (CHU Rouen) et de Jean-Marie Cuisset (CHRU Lille). Cette base de données, appelée UMD-SMN1 et financée quasiment exclusivement par l’AFM-Téléthon, comportait un volet clinique et un volet moléculaire, les items de ce dernier provenant des laboratoires génétiques faisant du diagnostic. Près de 2 500 patients ont ainsi été inclus en quelques années mais seuls 150 d’entre eux avaient des données cliniques exploitables. Les raisons de ce relatif échec sont multiples. On citera pêle-mêle : sans doute un manque de concertation en amont du projet, une trop grande multiplicité des items cliniques à remplir, et surtout l’absence de visibilité sur l’utilisation d’un tel registre. Fort heureusement, et parce que les thérapies innovantes sont désormais au rendez-vous, un projet de nouveau registre national SMA est désormais à l’étude avec, il faut l’espérer, une meilleure adhésion du réseau des cliniciens. Ce registre, compte tenu des contraintes techniques et réglementaires, ne sera pas en revanche en mesure de produire rapidement des données chiffrées.

C’est dans ce contexte de relative urgence que la filière de santé neuromusculaire Filnemus a jugé utile de diligenter deux enquêtes complémentaires destinées à contribuer à une meilleure connaissance de l’épidémiologie de la SMA en France

Et l’incidence dans tout cela ?

Le nombre de nouveaux cas annuels de SMA en France (incidence) est paradoxalement mieux connu que la prévalence. à partir des données colligées par les laboratoires de diagnostic moléculaire, et en excluant l’activité de diagnostic prénatal, on peut estimer ce nombre entre 120 et 150, soit et 15 et 19 nouveaux cas pour 100 000 naissances en France. Ce chiffre se situerait dans la fourchette haute des pays européens [6, 7]. La répartition entre types de SMA est plus difficile à connaître, l’information n’étant pas toujours remontée au niveau des laboratoires. L’application de ratios théoriques aboutirait, au maximum, à environ 80 nouveaux types I, 40 types II et 30 types III chaque année. Ce nombre théorique de 80 types I ne reflète sans doute pas la réalité du terrain.

L’enquête SMA-Flash

La première, réalisée par voie électronique, a consisté à interroger les centres de référence (CCMR) et de compétences (CCMC) sur le nombre de cas de SMA suivis sur le territoire national et leur répartition par type, un jour donné, à un instant t. Cette enquête dite SMA-Flash a été réalisée en janvier-février 2018 et a permis de collecter des informations en provenance de près de 80 % des centres français. Il ne s’agit toutefois que d’une simple estimation. En données brutes, 980 patients SMA ont été recensés, tous types confondus. Chacun d’entre eux aura été vu au moins une fois dans l’année dans le réseau des consultations neuromusculaires. Après correction et extrapolation, la population globale SMA peut être raisonnablement estimée à 1 200 individus en France. Plusieurs correctifs ont en effet été appliqués pour tenir compte de plusieurs paramètres : la non-exhaustivité de l’enquête d’une part mais surtout le fait qu’un certain nombre de patients, notamment aux âges extrêmes, ont échappé au recensement. Les types 0 ou type I très sévères, par exemple, survivent rarement longtemps et ne sont pas toujours vus/suivis par les experts du domaine. Il en est de même pour les types IV, dont le début des symptômes survient après l’âge de 20 ans et qui, compte tenu d’une évolutivité généralement très faible, sont loin d’être vus au moins une fois dans l’année. Parmi les 980 patients, la répartition selon les types était la suivante : - type I (32, soit 3 %), type Ibis (53, soit 5 %), type II (465, soit 47 %), type III (408, soit 42 %) et type IV (22, soit 2 %). On notera avec intérêt que la moitié des malades étaient suivis dans le réseau des consultations neuromusculaires adultes. Si l’enquête ne permettait pas de tracer avec précision l’origine géographique des patients, on observe tout de même un phénomène de concentration du suivi des patients dans certaines zones du territoire. Soit pour des raisons démographiques évidentes (très grandes agglomérations) soit du fait d’une particulière compétence/spécialisation de certaines équipes (Garches, Lyon en particulier pour les enfants). Rares sont les centres où le cumul des files actives, enfants et adultes, dépassent toutefois la centaine de patients. Tous ces chiffres restent toutefois entachés de nombreux biais méthodologiques, à commencer par le caractère purement déclaratif de l’enquête. La répartition entre les différents types repose sur une classification que beaucoup de praticiens maitrisent encore imparfaitement. Ceci est d’autant plus vrai pour les types III où les critères de marche autonome sont parfois sujets à interprétation. Idem quand il s’agit de faire le distinguo entre type I et Ibis, ou entre type Ibis et type II. Un autre concerne la ligne de démarcation entre âge pédiatrique et âge adulte. Beaucoup de patients SMA, notamment de type II, continuent d’être suivis par les équipes pédiatriques au-delà (et parfois très au-delà) de l’âge légal.

L’extraction CEMARA

La base de données nationale maladies rares (CEMARA) a été alimentée pendant plusieurs années par les CRMR et, de façon beaucoup moins exhaustive, par les CCMR neuromusculaires. La base, devenue entre-temps BAMARA, permet de collecter puis d’extraire, moyennant l’accord des centres, de nombreuses données épidémiologiques. Si l’interrogation de la base est règlementairement et techniquement assez simple, l’interprétation des résultats reste toutefois délicate : le défaut d’exhaustivité (et ce malgré l’ancienneté du dispositif et son caractère obligatoire), la multiplicité des codes d’entrées (dans le cas présent, cinq pour la SMA) et la qualité très inégale du codage sont des freins bien identifiés. En données brutes, l’extraction réalisée en octobre 2018 avec le concours de l’équipe de BAMARA et avec l’autorisation de 27 centres (CRMR ou CCMR, neuromusculaires, enfants et adultes) a permis d’aboutir à des chiffres intéressants.

Au 1er octobre 2018, et après élimination des doublons (près de 200) et exclusion des autres formes SMA non liées au chromosome 5q (le syndrome de Kennedy et la SMARD pour l’essentiel), 1 120 enregistrements correspondant aux cinq codes ORPHANET des amyotrophies spinales ont été répertoriés dans CEMARA : 36 pour le code « 70 » (amyotrophie spinale – sans précision), 408 pour le code « 83330 » (type I), 379 pour le code « 83418 » (type II), 282 pour le code « 83419 » (type III) et 16 pour le code « 83420 ». A s’y pencher de plus près, il est vraisemblable que le groupe des types I, anormalement sur-représenté, compte de nombreuses erreurs de codage. Il comporte des incongruités manifestes comme par exemple des patients âgés de de plus de 60 ans… La notion même de « patients » peut être mise en défaut car les apparentés, non malades mais vus en consultation au centre de référence, sont peut-être comptabilisés de la sorte. On notera également que parmi les enregistrements sous le code « 83330 », 35 ont explicitement le libellé « amyotrophie spinale de type 1 » et 7 le libellé « maladie de Werdnig-Hoffman’, soit 42 patients. Le nombre de patients de type II et de type III parait plus plausible et plus conforme à la réalité. Globalement enfin, on retrouvait là aussi 50 % d’adultes parmi les dossiers CEMARA et un sex-ratio de 54 femmes pour 46 hommes.

Discussion

Ces données de prévalence recueillies par Filnemus, pour imparfaites qu’elles soient, contribuent à une meilleure connaissance de l’épidémiologie de la SMA en France. Elles sont en ligne avec celles observée dans des pays comparables comme l’Allemagne (1 400 patients SMA répertoriés à ce jour). Ces chiffres sont aussi à rapprocher de ceux établis par l’AFM-Téléthon à partir de son propre fichier de familles concernées par la SMA. La population actuelle des patients suivis par les Référents Parcours Santé (RPS) de l’AFM-Téléthon s’établit en effet à 1 100 cas de SMA dont 6 % de type I (incluant vraisemblablement les types Ibis), 50 % de type II, 36 % de type III et 8 % de type IV. Une autre enquête réalisée cette fois-ci par les différents centres neuromusculaires de Rhône-Alpes en 2017 allait dans le même sens (6 % de type I, 42 % de type II, 50 % de type III et 2 % de type IV).

L’interrogation de CEMARA, la première du genre pour la SMA, n’a pour l’instant fait l’objet que d’une analyse très sommaire. Il reste à identifier et à décrypter les vraisemblables erreurs de codages et/ou, sujet plus sensible, la façon d’identifier les « vrais » malades des autres (les apparentés consultant pour connaitre leur statut génétique, par exemple). A contrario, et sous réserve d’une mise à jour des codes par les centres pour certains de leurs patients, la base CEMARA contient des informations très pertinentes, utiles et largement sous-exploitées. Le déploiement en cours de BAMARA va permettre aux centres eux-mêmes de procéder aux extractions et à leur analyse mais a contrario, les interrogations au niveau national deviendront impossibles. Il faudra en parallèle prévoir une action pédagogique forte en direction des centres neuromusculaires en vue d’une meilleure harmonisation du codage. En ce sens, Filnemus, au travers de sa commission « base de données » devra jouer un rôle important.

D’autres pistes que CEMARA/BAMARA ou des enquêtes ponctuelles sont certainement à explorer, comme les fichiers nationaux traçant l’activité PMSI ou les ALD. C’est en croisant toutes ces informations, et en attendant de pouvoir interroger le futur registre national, que l’on pourra mieux répondre à la question : « la SMA, combien de patients en France ? »

Liens d’intérêt

JAU reçoit des honoraires de consultant de la part du laboratoire Biogen et de l’AFM-Téléthon. FD n’a pas de conflit d’intérêt.

References
1.
Bielsky AR, Fuhr PG, Parsons JA, Yaster M. A retrospective cohort study of children with spinal muscular atrophy type 2 receiving anesthesia for intrathecal administration of nusinersen . Paediatr Anaesth. 2018 ; Oct 4. doi: 10.1111/pan.13500.
2.
Murrell DV, Crawford CA, Jackson CT, et al. Identifying opportunities to provide family-centered care for families with children with type 1 spinal muscular atrophy . J Pediatr Nurs. 2018. pii : S0882–5963(18)30126-X.
3.
Tizzano EF, Zafeiriou D. Prenatal aspects in spinal muscular atrophy : from early detection to early presymptomatic intervention . Eur J Paediatr Neurol. 2018. pii : S1090–3798(18)30338–6.
4.
Boardman FK, Young PJ, Griffiths FE. Newborn screening for spinal muscular atrophy : the views of affected families and adults . Am J Med Genet A. 2017; ; 173 : :1546.–1561.
5.
Barois A, Mayer M, Desguerre I, et al. Spinal muscular atrophy. A 4-year prospective, multicenter, longitudinal study (168 cases) . Bull Acad Natl Med. 2005;; 189 : :1181.–98; discussion 1198–9.
6.
Verhaart IEC, Robertson A, Wilson IJ. et al. Prevalence, incidence and carrier frequency of 5q-linked spinal muscular atrophy : a literature review . Orphanet J Rare Dis. 2017; ; 12 : :124..
7.
Verhaart IEC, Robertson A, Leary R. et al. A multi-source approach to determine SMA incidence and research ready population . J Neurol. 2017; ; 264 : :1465.–1473.