VI. Politiques du handicap, acteurs de la prise en charge et insertion scolaire
2019
ANALYSE |
18-
Personnes présentant un TDC
en France au prisme des politiques du handicap et de leur mise
en œuvre par les MDPH
Le TDC constitue-t-il un handicap ? D’après de nombreux rapports récents et textes de politique publique nationaux ainsi que d’après les travaux scientifiques internationaux sur la participation et la vie quotidienne, il semble évident que la réponse à cette question est positive. Ainsi, le rapport l’Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN) sur la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 (Caraglio et Delaubier, 2012
) indique que les élèves « dys- » font partie de ceux dont le handicap est reconnu après l’école maternelle.

Pourtant, cette inclusion ne va pas de soi et résulte d’un processus historique d’extension du champ du handicap (Ebersold, 1999
) et de l’élargissement de la définition. D’après la loi du 11 février 2005, « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». L’un des effets de cette évolution est d’inclure dans le champ du handicap des populations qui n’en faisaient pas partie auparavant. C’est bien évidemment le cas pour les personnes – principalement des enfants d’âge scolaire – vivant avec un trouble développemental de la coordination (TDC), plus communément appelé dyspraxie. Cette reconnaissance nouvelle s’inscrit dans un mouvement plus large d’augmentation du nombre d’élèves reconnus handicapés (Blanc, 2011
). On a donc affaire à une nouvelle population d’élèves handicapés puisque, la hausse du nombre d’élèves handicapés scolarisés dans l’enseignement ordinaire n’est pas compensée par une baisse des effectifs dans les établissements relevant du secteur sanitaire et médico-social (Amara et coll., 2012
).



En vue de comprendre les modalités de prise en charge contemporaine du TDC dans leur cadre historique et politique et les principales questions traitées dans la littérature scientifique à ce propos, nous présenterons ici les grandes lignes des évolutions de politiques publiques dans le champ du handicap, à partir de travaux de recherche en sociologie et science politique. Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur la place croissante accordée aux dimensions sociales et aux droits des personnes handicapées dans les politiques, tant françaises qu’internationales. Dans un second temps, nous étudierons la mise en œuvre des politiques s’appliquant au TDC dans le contexte français depuis les années 2000.
D’un modèle « médical » à un modèle « social »
puis un modèle des « droits » ?
Le handicap a émergé en France comme secteur d’action publique au cours du xxe siècle. Les associations ont joué un rôle décisif dans ce processus (Paterson et coll., 2000
). La date de 1975 constitue un tournant avec le vote de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées. La notion de « personne handicapée » figure pour la première fois dans un texte de loi et ouvre les mêmes droits pour toutes les catégories de ceux qu’on appelait jusqu’alors « infirmes » au sein d’une catégorie unifiante. On notera néanmoins que le texte ne définit pas la population cible : il revient alors aux commissions spécialisées relatives au travail (Cotorep – Commission technique de reclassement et d’orientation professionnelle) ou à l’éducation (CDES – Commission départementale de l’éducation spéciale) d’attribuer le statut de personne handicapée selon un guide-barème spécifique (qui reste en vigueur jusqu’en 1993). Le handicap émerge donc en France dans le cadre de l’extension de la société salariale (Castel, 1995
) et de l’obligation scolaire (Vial, 1990
).



La question du handicap a connu une évolution importante entre les dernières décennies du xxe siècle et les premières du xxie. Cette transition traduit conjointement un changement dans les revendications des militants de la cause des personnes handicapées et une reconceptualisation théorique des recherches en sciences sociales sur le handicap. Il y aurait un changement de « modèle » du handicap : d’un modèle qualifié de médical par ses détracteurs, on serait passé à un modèle insistant davantage sur la dimension sociale et les droits des personnes concernées.
Cette évolution survient d’abord au sein des institutions internationales, donnant ensuite lieu à des transferts dans différents pays et notamment en France. Les nouvelles orientations des politiques du handicap doivent beaucoup à l’Organisation des Nations unies. Jusque dans les années 1970, la priorité était à la réadaptation et à la prévention du handicap. La déclaration des personnes handicapées est publiée en 1975 puis 1981 est déclarée « Année internationale des personnes handicapées ». Jusqu’en 1980, la Classification internationale des maladies (produite par l’Organisation mondiale de la santé) est le seul outil classificatoire existant. Le handicap est donc envisagé uniquement en termes de maladies, de pathologies. Puis, en 1975, l’OMS demande au rhumatologue et épidémiologiste britannique P. Wood de produire une classification des « conséquences des maladies ». Son travail aboutit en 1980 à la Classification internationale des déficiences, incapacités, handicaps (CIDIH) (OMS, 1988
) qui distingue trois niveaux d’expérience du handicap : d’abord les déficiences correspondant au niveau lésionnel, ensuite les incapacités au niveau fonctionnel et enfin les désavantages qui correspondent au niveau social (Ravaud et coll., 2002
).


Le modèle médical du handicap, c’est-à-dire basé sur des pathologies, fait l’objet de deux types de critiques. La première critique est militante et s’inscrit dans l’activisme contestataire du disability movement (Albrecht et coll., 2001
). Dans la logique des luttes pour les droits civiques portés par des groupes marginalisés (notamment les femmes, les minorités raciales et sexuelles) à partir des années 1960, ce mouvement de lutte pour les droits des personnes handicapées émerge dans les années 1970. Dans sa version américaine, il revendique la désinstitutionalisation de la prise en charge du handicap et l’accès à une vie autonome. D’après les membres de ce mouvement, la CIDIH reste fondée sur un modèle individuel et médical du handicap, puisque les pathologies demeurent la cause des déficiences. Ils revendiquent, à l’inverse, la promotion d’un modèle « social » du handicap aussi bien dans les politiques publiques que dans les travaux de recherche, réalisés dans le cadre des disability studies. Pour ce mouvement, la conception du handicap doit être renversée : la société créée le handicap du fait des obstacles que rencontrent les personnes. Le handicap n’est pas la conséquence d’une déficience mais résulte des barrières ou obstacles physiques, sociaux et culturels, présents dans l’environnement, auxquels les personnes handicapées sont confrontées (Baudot et coll., 2013
).



La seconde critique du modèle médical du handicap est d’ordre scientifique. Dans son analyse de la loi française de 1975, le sociologue R. Castel (1981)
montre comment le savoir médico-psychologique devient une forme d’expertise qui sert de fondement à un nouveau fonctionnement institutionnel. Les professionnels de santé statuent sur des dossiers, à l’aide de savoirs médicaux, mais les conclusions pratiques, notamment en termes de prise en charge, leur échappent. On peut parler ici – bien que l’expression ne soit pas utilisée par Castel – d’un modèle médico-administratif du handicap dans la mesure où le jugement médical est objectivé et constitue la base des décisions administratives suivantes.

L’ensemble de ces critiques ont produit des effets sur les politiques au niveau international. Ainsi, la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), basée sur un modèle « biopsychosocial » du handicap est venue remplacer la CIDIH en 2001 (OMS, 2001
). La CIF est un modèle interactif tenant compte des facteurs personnels et environnementaux, qui distingue les fonctions, les activités (les tâches qu’une personne peut exécuter) et la participation (implication d’une personne dans une situation de vie réelle) (Ville et coll., 2014
).


Par ailleurs, la question des droits des personnes handicapées a pris une place croissante dans les politiques publiques des dernières décennies. Dans un ouvrage de référence sur la question, la politiste américaine K. Heyer (2013
, 2015
) compare l’Americans with Disabilities Act (ADA, 1990) et ses transferts militants en Allemagne et au Japon. Son étude cherche à articuler les politiques publiques et les mouvements sociaux dans le domaine du handicap. Ces analyses la conduisent à opposer deux modèles dans les politiques du handicap. D’une part, un modèle des droits (civil rights model), basé sur le modèle « social » du handicap, qui vise l’intégration des personnes handicapées (s’opposant à la « ségrégation »), promouvant l’égalité, la défense des droits des personnes handicapées, et dans lequel les revendications sont portées par des mouvements de personnes handicapées (et non pour les personnes handicapées). D’autre part, un modèle de la protection sociale (social welfare model), reposant sur une définition médicale, la création de structures séparées et d’« aménagements raisonnables » pour accéder aux institutions, et dans lequel les mobilisations sont le fait des parents et des proches des personnes concernées. À la différence du modèle « social », ces deux modèles de politiques du handicap sont des idéaux-types dont la visée est uniquement analytique. L’intérêt des travaux de K. Heyer est de montrer comment les références de l’ADA ont circulé dans différents pays. À l’échelle internationale, on retiendra donc qu’il y a une hybridation des modèles.


Concernant la France, il y a également une influence de l’échelon européen dans la définition des politiques du handicap (Waldschmidt, 2009
). Dans les pays européens, la politique du handicap fait partie historiquement de la protection sociale et s’est développée en parallèle d’autres domaines d’action publique. La « non-discrimination » est envisagée comme un nouveau type de politique sociale. De 1958 à 2005, la politique européenne a surtout été incitative, posant peu de contraintes légales ou financières. Elle a néanmoins largement influencé la politique française bien que cela n’ait pas été explicite. Ainsi, la politique des droits des personnes handicapées en France résulte de circulations internationales des catégories de classification du handicap mais aussi de revendications militantes.

Les politiques du handicap en France depuis les années 2000
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances,
la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
Du début du xxe siècle au début duxxie, la prise en charge des personnes considérées comme étant « en situation de handicap » s’est d’abord basée sur la création d’un milieu protégé (en matière d’emploi mais aussi de scolarité, avec l’éducation « spéciale ») puis a intégré la promotion de la normalisation et de l’intégration et enfin de l’inclusion (Ebersold, 1999
; Plaisance, 2009
). Par conséquent, l’expérience sociale du handicap a également évolué, allant dans le sens d’une plus grande déségrégation pour les générations les plus jeunes (Revillard, 2017
).



Comme nous l’avons indiqué plus haut, la loi de 2005 propose la première définition précise du handicap dans un texte juridique de référence et marque un tournant dans les politiques du handicap en France. Cette loi s’appuie sur deux principes. D’abord, le principe d’accessibilité, un principe de droit commun, qui touche des domaines très différents de la vie sociale, relève de multiples codes (civil, santé publique, sécurité sociale, marchés publics etc.) mais dont la définition n’est pas pour autant très explicite. Ensuite, le principe de compensation, relevant d’un régime d’exception. Dans le domaine de la scolarité et de la formation par exemple, il fait suite à la loi de Refondation de l’école qui promeut l’inclusion. La circulaire no 2016-117 fait une distinction entre des réponses de droit commun et des réponses nécessitant de recourir à la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), c’est-à-dire relevant du handicap. Alors que le handicap a d’abord été traité comme une catégorie à part, l’objectif des politiques et rapports publics les plus récents est de mettre en place un droit commun le plus englobant possible afin que ce qui relève spécifiquement du handicap soit le plus subsidiaire (FGPEP, 2015
).

Avec la loi de 2005, le handicap devient un secteur d’action publique à part entière. Pourtant, cette importante croissance ne va pas sans poser de questions. D’abord, le handicap renvoie à des domaines différents de la vie sociale et de l’action publique et implique une multiplicité d’acteurs. Néanmoins, dès lors qu’elles sont considérées en termes de « handicap », les situations – aussi différentes soient-elles – sont pensées comme commensurables (Baudot et coll, 2013a
) ce qui peut induire une complexité extrême. Ensuite, la « mise en loi » du handicap demeure une question sous-politisée : elle fait l’objet d’un consensus moral apparent et ne donne pas lieu à de réels débats. À titre d’exemple, lors des élections présidentielles de 2012, la question du handicap a été intégrée aux programmes de tous les partis sans faire l’objet de réelles discussions. Une autre caractéristique de cette politique est l’évolution vers une logique d’activation individuelle – c’est-à-dire le versement des prestations conditionné à l’attitude active du bénéficiaire –, de participation à la vie en société (Ebersold et coll., 2016
) et de personnalisation. Sur ce dernier point, les politiques du handicap ne diffèrent pas des politiques sociales en général (Bertrand et coll., 2012
).



Alors qu’auparavant dominait une prise en charge institutionnelle dans des établissements personnalisés, l’accompagnement dans des parcours est promu dans les politiques actuelles. « La notion de parcours, apparue dans les textes de loi du milieu des années 2000, impose une transformation des modalités d’organisation du secteur médico-social dans le suivi de la personne en situation de handicap et/ou de dépendance. En effet cette notion implique de définir avec les personnes leur projet de vie et donc de prendre en compte, dans le processus d’élaboration et de décision, les deux dimensions : celles des besoins évidemment, mais aussi celle des attentes des usagers ou de leurs proches » (FGPEP, 2015
).

La mise en œuvre du « guichet unique » : état de la recherche
sur les MDPH
L’un des effets majeurs induits par la loi de 2005 sur le handicap est la création des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH). Si l’on envisage d’abord les MDPH en termes de politiques publiques, ces institutions apparaissent d’abord fragiles, en raison d’une durée de vie très incertaine au moment de leur création (Baudot et coll., 2013b
). Deux logiques ont présidé à leur mise en place : d’une part, une logique de service à l’usager avec la création d’un « guichet unique » du handicap ; d’autre part une logique de transformation de l’action publique, qui en fait un lieu d’expérimentation des transformations de la protection sociale (ibid.). Les travaux présentés ici se fondent sur des enquêtes réalisées dans les premières années d’existence des MDPH, jusqu’au début des années 2010. Le temps de la recherche étant disjoint de celui de l’administration, des éléments complémentaires sont également présentés à titre d’information.

Les MDPH sont placées sous la tutelle des conseils généraux, ce qui explique la variété des situations locales. Cette diversité concerne au premier chef les décisions des MDPH dont le caractère « départementalisé » est souligné (Caraglio et Delaubier, 2012
) ou s’inscrit dans la « construction d’une jurisprudence locale » (Bureau et Rist, 2012
). C’est le cas aussi pour les accompagnements humains, qui ne sont attribués ni selon les mêmes principes, ni selon les mêmes procédures (Amara et coll., 2012
). Il n’y pas de parcours uniforme des dossiers des usagers. En effet, les différents modes de gestion du personnel d’une MDPH à l’autre ont des conséquences sur le fonctionnement et le traitement des demandes (Perrier, 2013
). Il faut ajouter à cela des spécificités locales tenant aux territoires départementaux et à l’organisation des structures. La revendication d’une égalisation territoriale des pratiques des MDPH de la part des associations de parents dyspraxiques1
est une indication supplémentaire de la variété des pratiques. On notera également que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, dans ses fonctions d’appui technique aux MDPH, s’efforce de mettre en place des outils d’harmonisation pour répondre à ces préoccupations2
.




Dans les cas concernant des enfants, les MDPH sont saisies par les familles. Les dossiers qu’elles constituent sont transmis à une équipe d’évaluation pluridisciplinaire, puis à la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui a pour fonction d’attribuer des droits aux usagers. Le travail réalisé en MDPH est donc pluridisciplinaire. Cette pluridisciplinarité s’inscrit dans le cadre des politiques en vue de l’inclusion, qui « consiste donc à faire porter le regard sur des situations que la sectorisation administrative et la place singulière tenue par les questions scolaires en France permettaient difficilement de relier » (FGPEP, 2015
). Les CDAPH sont des commissions partenariales chargées d’octroyer au cas par cas des prestations, comme il en existe plus largement dans les politiques sociales depuis la fin des années 1980. Elles produisent une expertise collégiale de situations individuelles (Bertrand et coll., 2012
). Ces commissions sont composées des représentants du département, des services et des établissements publics de l’État, des organismes de protection sociale (CPAM, CAF, etc.), des organisations syndicales, des associations de parents d’élèves et, pour au moins un tiers de ses membres, des représentants des personnes handicapées et de leurs familles désignés par les associations représentatives, et d’un membre du conseil départemental consultatif des personnes handicapées. Des représentants des organismes gestionnaires d’établissements ou de services siègent à la commission avec voix consultative. La composition précise de la CDAPH figure à l’article R. 241-24 du code de l’action sociale et des familles (CASF).


Que montrent les travaux de recherche sur le fonctionnement de ces commissions ? Tout d’abord, qu’elles traitent un nombre considérable de dossiers (Borelle, 2015
). Pour exemple, la MDPH de Seine-et-Marne traite 3000 dossiers par an, soit 150 par jour (voir communication). Ensuite, les MDPH sont soumises à des contraintes d’efficacité de type gestionnaire, qui apparaissent dans le traitement des dossiers en CDAPH (Bodin, 2012
). Plus généralement, le nombre de dossiers traité fait partie des indicateurs de performance annuel remis à la CNSA (Perrier, 2013
). Enfin, le fonctionnement des CDAPH est décrit comme largement automatisé et peu formalisé : de nombreuses attributions de droits sont quasi-automatiques (Bureau et Rist, 2012
). Le travail des commissions s’apparente à une procédure bureaucratique : soit l’examen de certains dossiers est réalisé par d’autres instances plus administratives, soit l’examen de certains dossiers est réalisé de manière routinière (Bertrand et coll., 2012
). Les décisions se font le plus souvent sans vote et de manière peu visible pour un enquêteur qui observe ces réunions (Baudot et coll., 2013b
). De plus, ces décisions ont le plus souvent un horizon à court terme. Sur l’ensemble des dossiers traités, la dimension médicale l’emporte dans le processus décisionnel sur la vie quotidienne et les aspects scolaires (Bodin, 2012
).







Dans les faits, ce sont les équipes pluridisciplinaires qui réalisent l’essentiel du travail d’évaluation. Tous les dossiers ne sont pas examinés en CDAPH. Ces équipes pluridisciplinaires sont composées de professionnels ayant des compétences médicales ou paramédicales, relatives à la psychologie, au travail social, à l’enseignement scolaire ou supérieur, à l’emploi et à la formation professionnelle (Baudot et coll., 2013b
). En pratique, la composition de ces équipes varie selon les départements. Jouant, dans la pratique, un rôle prépondérant dans l’évaluation des dossiers, la prise de décision leur est souvent déléguée (Borelle, 2015
). Leur travail consiste en une lecture du projet de vie, des documents médicaux et paramédicaux, du bilan social et des éléments scolaires. Meziani et coll. (2016)
soulignent que les aspects médicaux et psychologiques sont souvent prépondérants par rapport aux autres informations. Mais dans les cas d’enfants, ce sont les enjeux scolaires qui constituent le terreau commun aux différents professionnels : « In fine, les registres de cohérence s’articulent tous autour d’un langage commun fondé sur un champ lexical s’appuyant sur les mondes de la psychologie, de l’éducation et de savoirs professionnels paramédicaux. Pour autant, c’est le registre scolaire, afin de déterminer le niveau de l’élève qui prend une place plus importante » (Meziani et coll., 2016
).




Parmi les acteurs participant au travail des MDPH, il est important de s’intéresser plus spécifiquement aux associations. Ces dernières ont eu un rôle historiquement important dans la reconnaissance du handicap (Paterson et coll., 2000
) et la loi de 2005 leur donne une place officielle. Les relations qu’entretiennent les associations avec les pouvoirs publics consistent principalement à s’intégrer à des dispositifs institutionnels prévoyant leur participation. (Baudot et coll., 2013b
). Ces relations sont donc très largement institutionnalisées. Dans la MDPH observée par C. Borelle (2015)
, les associations d’usagers représentent le tiers des membres de la CDAPH, mais toutes les associations ne sont pas représentées pour autant. La logique qui prévaut consiste à représenter les différents types de handicap (moteur, mental, sensoriel, psychique ; Baudot et coll., 2013b
), ce qui souligne en creux la prégnance des classifications du handicap. Les mêmes personnes, membres d’une CDAPH peuvent représenter à la fois des associations et des établissements gestionnaires. La légitimité des associations s’est accrue depuis 2005, car la définition du handicap présente dans la loi n’est plus strictement médicale. Elles sont considérées comme étant porteuses d’une expertise spécifique, portant sur la vie quotidienne, mais cela peut donner lieu à des querelles d’expertise (Bureau et Rist, 2012
).





Concernant l’évaluation proprement dite, celle-ci prend pour point de départ la demande des parents, mais cette dernière fait l’objet de requalifications par l’équipe pluridisciplinaire (Borelle, 2015
). Le droit à la compensation est un point particulièrement problématique, car il implique de mesurer le surcoût du handicap. Par exemple, des allocations comme l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) sont censées financer des rééducations et non des soins, mais la limite est difficile à poser. Ces éléments posent des dilemmes aux seins des instances : « Les membres de l’équipe pluridisciplinaire attendent d’abord des parents qu’ils trouvent le juste degré de demande, ce qui revient surtout à ne pas trop en demander. Ne pas trop en demander, cela signifie de ne pas demander à la MDPH de tout compenser, au risque d’être discrédité comme une personne en demande de « réparation ». Cela signifie également de ne pas demander toutes les aides possibles, au risque d’être discrédité comme une personne essayant de tirer des bénéfices économiques du handicap de son enfant. » (Borelle, 2015
). De la même manière, la MDPH de Seine-et-Marne se montre réticente à financer des prises en charge perçues comme redondantes et privilégie les demandes pour des rééducations précises (voir Communications).


Enfin, on peut s’interroger sur la place des usagers dans ces nouvelles instances. Au départ, la création d’un guichet unique avait pour objectif de faciliter l’accès des usagers. De plus, le travail d’évaluation réalisé au sein des MDPH consiste à mettre en relation réalité vécue au quotidien avec des instruments pour faire apparaître des besoins et construire une convergence entre l’institution et les usagers (Baudot et coll., 2013b
). Or, les travaux tendent à montrer que la place des usagers dans les MDPH est relativement limitée. Sur le terrain de Bureau
et Rist (2012), 75 % des évaluations sont faites sur dossier seul. C. Borelle (2015)
parle quant à elle d’une éviction de fait des usagers de la CDAPH. Dans les quatre MDPH étudiées par G. Perrier (2013)
, les usagers sont peu visibles : leur accès à la MDPH est circonscrit, et la place qui leur est accordée dans le traitement administratif des dossiers varie selon les contraintes productives et les choix de gestion du personnel. En Seine-et-Marne, le travail se fait principalement sur dossier. Bien que l’échange de documents entre partenaires soit soumis à l’accord des familles, ce fonctionnement contribue également à un éloignement des usagers. Par ailleurs, les différentes catégories de personnels des MDPH ont des conceptions de l’usager différentes et parfois difficilement conciliables. Pour les médecins et travailleurs sociaux, la connaissance de l’usager doit être personnalisée et suppose une discrétion professionnelle. Pour les managers, la prise en compte de l’usager suppose une réponse rapide et efficace à la demande formulée par ce dernier. Pour le personnel du service « organisation et méthode », la prise en charge individualisée repose sur le respect des procédures standardisées (Baudot et coll., 2013b
). D’autres éléments viennent compliquer la prise en compte des usagers, tels la présence relativement rare des projets de vie dans les dossiers MDPH (Bertrand et coll., 2012
; Bureau et Rist, 2012
) ou l’insuffisance de détails dans les bilans (voir Communications). Par ailleurs, les enquêtes intégrant les perspectives des usagers sur les administrations du handicap sont peu nombreuses (Borelle, 2015
).








À partir de ce bref aperçu des politiques contemporaines en France, que peut-on conclure à propos du modèle dominant du handicap qui prévaut notamment pour les personnes présentant un TDC ? La loi de 2005 marque bien une rupture dans les modes de définitions du handicap et a transformé les fonctionnements institutionnels avec la création des MDPH (Baudot et coll., 2013b
). Mais en pratique, on assiste moins au passage d’un « modèle médical » à un « modèle social » qu’à la superposition des modèles. En effet, la promotion d’un droit individualisé prenant en compte l’environnement et le projet, avec une volonté d’ajouter les aides aux conditions des personnes, s’accorde avec le modèle social. Pourtant, la conception physiologique du handicap demeure en pratique, avec par exemple le recours à un guide-barème, basé sur des considérations médicales, en vue d’attribuer des droits (Bureau et Rist, 2012
). De plus, l’évaluation pluridisciplinaire n’est en réalité pas « une appréciation en situation des déficiences médicales » mais consiste en une prise en compte des « éléments aggravant le verdict médical » (Baudot et coll., 2013b
). Par ailleurs, malgré une volonté affirmée de ne pas médicaliser le handicap et de promouvoir une approche pluridimensionnelle, l’ancien modèle de la CIDIH est encore présent dans de nombreux outils d’évaluation (CNSA technique, 2013). La dimension médico-administrative reste donc importante, malgré la prise en compte de facteurs sociaux et environnementaux. Cependant, dans les cas d’enfants, la scolarité est bien l’enjeu principal à l’aune duquel sont prises les décisions pluridisciplinaires.



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