2019


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Communications

Les témoignages de professionnels

Au cours du travail réalisé pour élaborer cette expertise collective, le groupe d’experts a souhaité recevoir quelques professionnels impliqués dans l’accompagnement et la prise en charge des personnes présentant un TDC afin de bénéficier d’un éclairage complémentaire sur leur expérience au quotidien. Parmi la diversité des professionnels directement impliqués dans le diagnostic et la prise en charge, et dans l’impossibilité pratique de multiplier les auditions, le groupe d’experts a choisi d’auditionner deux professionnels exerçant en libéral, une ergothérapeute et un psychomotricien. Il leur a été demandé de témoigner de leur expérience au quotidien avec les personnes dyspraxiques concernant le diagnostic et la prise en charge en précisant notamment les principales difficultés qu’ils rencontrent et ce qui relève des relations et de la coordination avec d’autres professionnels (dont l’école).
Le groupe d’experts a également souhaité appréhender une autre facette de la prise en charge en recueillant le témoignage d’un médecin coordonnateur d’une maison départementale des personnes handicapées (MDPH). L’intérêt s’est principalement dirigé vers le processus d’évaluation du handicap mis en œuvre au sein de la MDHP et notamment sur son application concrète dans les cas de TDC. La question des relations de la MDPH avec les autres professionnels et structures impliqués a également occupé les échanges.
Loin de balayer l’ensemble des professionnels impliqués ni la diversité des pratiques et des situations, ces quelques témoignages apportent des éléments complémentaires à l’expertise. Les textes issus des auditions sont présentés ci-dessous.

Réalité de terrain dans le suivi en ergothérapie des enfants dyspraxiques

Juin 2017
Julie Laprevotte : ergothérapeute, doctorante en neurosciences et enseignante vacataire à l’Université de Bourgogne
Ergothérapeute depuis 22 ans auprès d’enfants qui présentent des troubles des apprentissages, j’ai travaillé pendant 9 ans dans une structure de la petite enfance. J’exerce maintenant en cabinet libéral sur Dijon depuis un certain nombre d’années. À partir de cette expérience, je vais apporter mon témoignage sur la réalité du terrain dans le suivi en ergothérapie des personnes dyspraxiques en Côte-d’Or.
En préambule, je tiens à rappeler que l’ergothérapeute est un professionnel de santé. La profession est réglementée par le Code de la santé publique et nécessite une formation fixée par le ministère de l’Enseignement supérieur. Le diplôme obtenu est un diplôme d’État en ergothérapie et également un grade licence à partir des diplômés 2014. L’ergothérapeute est soumis à une prescription médicale, mais ses actes ne sont pas remboursés par la sécurité sociale. Au niveau libéral, nos interventions ont lieu principalement sur le lieu de vie, c’est-à-dire au domicile, en milieu scolaire, de loisirs ou en environnement professionnel. Des séances se déroulent également en cabinet. Ce sont les patients qui vont à notre rencontre. On trouve par ailleurs des ergothérapeutes dans une multiplicité de structures sanitaires et médico-sociales. L’ergothérapie (occupationnal therapy en anglais) est ciblée sur l’occupation/l’activité humaine, notre rôle est donc de permettre à tout un chacun de réaliser ses propres activités humaines.
Notre cabinet, situé à Dijon, est composé de 8 ergothérapeutes et a accueilli 227 nouveaux patients en 2016. Les demandes de consultations concernent pour 80 % des difficultés de coordination motrice, des difficultés en graphisme, une maladresse corporelle, un projet informatique ou un questionnement sur l’orientation dans les études. Seuls 10 % de ces patients vont être concernés par un diagnostic de dyspraxie, c’est-à-dire par des troubles réels de la coordination. 40 % d’entre eux seront concernés par un diagnostic de dyspraxie avec des comorbidités associées. 50 % vont présenter des difficultés de la coordination sans l’intensité suffisante pour poser ce diagnostic. Sans tenter de distinguer les troubles primaires associés et les troubles secondaires, j’ai choisi de tout désigner sous le terme « comorbidité ». La gamme de ces troubles associés est particulièrement vaste. On trouve des enfants qui vont présenter une dyslexie associée ou un trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Ils peuvent aussi présenter un haut potentiel, un trouble envahissant du développement, une dysorthographie, une dysphasie ou une dyscalculie.
En Bourgogne, une séance d’ergothérapie en libéral coûte environ 40 à 50 euros. Ce prix correspond à l’évaluation qui a été faite du coût du travail de l’ergothérapeute salarié, charges incluses (44 euros). Je vous précise qu’il n’y a pas de grille tarifaire car les ergothérapeutes ne constituent pas une profession réglementée. Les usages varient donc selon les régions, le montant que je vous indique est une moyenne. La séance dure généralement entre 40 et 60 minutes. Nous pratiquons, pour notre part, des séances de 50 minutes, dont 40 minutes passées avec l’enfant et 10 minutes avec les parents ou l’enseignant. Quant à la fréquence, elle est souvent initialement d’une séance par semaine en raison de l’intensité du travail à accomplir.
La durée moyenne des interventions dépendra de l’approche de l’ergothérapeute et de l’intensité des troubles. Nous fonctionnons par projet ciblé (sur des objectifs précis et quantifiables). En fin de parcours nous réalisons un bilan de fin de prescription (finalisation du projet) tout comme il y a un bilan intermédiaire en cours d’année. Je crois que cette approche s’avère très pertinente et efficace. Elle n’est pas encore, à ce stade généralisée.

Le rôle de l’ergothérapeute pour l’entrée dans le parcours de soin

Diagnostic et évaluation des besoins

Dans le département de la Côte-d’Or, notre cabinet se situe en première intention s’agissant de la recherche de diagnostic, ce qui peut différer dans les autres régions où les ergothérapeutes ne sont pas associés à l’élaboration du bilan dans le cadre de la démarche diagnostique, en raison des bilans déjà réalisés en amont par les centres de référence par exemple. Quand on est en première intention, dans le cadre du parcours diagnostique, il nous est demandé de réaliser un bilan complet, par l’utilisation d’outils standardisés et d’observations. Cela comprend un entretien avec la famille, des évaluations d’une durée d’environ trois heures, une consultation de retour qui permet d’expliquer le bilan, de remettre le compte-rendu écrit et de proposer des orientations thérapeutiques ainsi que d’expliciter les consultations associées et ciblées recommandées. Il nous est demandé à l’échelon du département de couvrir trois grands domaines :
• domaine visuo-spatial, c’est-à-dire le dépistage oculomoteur, l’évaluation des stratégies visuelles, les perceptions spatiales avec l’imagerie mentale, les praxies constructives ;
• le domaine sensorimoteur, qui couvre tout ce qui est lié à la motricité fine, à la motricité globale, à la sensorialité et à l’intégration visuo-motrice entre le visuo-spatial et la motricité ;
• le domaine occupationnel, c’est-à-dire les interactions et les difficultés mises en évidence au niveau de la vie quotidienne (soins personnels par exemple), les difficultés au niveau de la vie scolaire (graphisme, utilisation des outils scolaires, organisation), de loisirs (activités physiques, manuelles ou artistiques) ou professionnelle, car nous nous occupons également de jeunes adultes.
Dans notre cabinet, nous avons en revanche fait le choix de ne pas évaluer certaines fonctions cognitives (mémoire, langage, attention, etc.), ce qui reste débattu dans la profession.
Ce bilan va nous permettre de poser des hypothèses de diagnostics et des préconisations au niveau des interfaces scolaires, des accompagnements et de l’entourage familial.
Les outils utilisés sont très variés. Nous rencontrons plusieurs difficultés pour nos évaluations. Il y a notamment quelques domaines pour lesquels nous ne disposons pas de bilans étalonnés ou standardisés, notamment concernant les gnosies visuelles des images par exemple. Mais cela a beaucoup évolué ces dernières années. Il y a, par ailleurs, certaines tranches d’âge qui sont moins simples à gérer car il existe moins d’outils. C’est évidemment le cas de celle correspondant à l’adolescence. Évoquons aussi le problème de l’analyse des bilans, car analyser finement les biais possibles présents lors de la passation par le professionnel ou dans les réponses données par le sujet demande de l’expérience et souvent des formations complémentaires. Le médecin réalisera aussi une analyse différentielle entre la dyspraxie d’origine développementale et d’autres causes possibles aux troubles praxiques. La principale difficulté concerne très clairement l’anamnèse. Nous ne disposons pas toujours, quand nous questionnons les parents, d’informations qualitatives qui soient vraiment exploitables et fiables sur des questions précises du développement de la motricité dans la petite enfance, alors que c’est un point cité dans les critères diagnostiques du DSM-5.
Un autre type de bilan nous est demandé, en dehors de l’évaluation diagnostique. Il s’agit d’une évaluation des besoins. En général, un premier diagnostic a déjà été posé. Le projet préétabli va alors évoluer, en fonction du projet de vie de l’enfant. On est alors sur un bilan ciblé, par l’utilisation d’outils standardisés, l’observation et un entretien avec la famille. De la même manière que le bilan précédent, il y a une consultation de retour avec la famille. On va se centrer davantage sur le projet et la problématique donnée, en lien avec les différents bilans déjà réalisés en amont. On ne sera plus alors sur les hypothèses diagnostiques, mais sur des préconisations pour accompagner au mieux l’enfant et sa famille.
Voilà deux types de parcours, sachant qu’à 80 %, nous nous situons sur le premier parcours au niveau de notre département.

Une pluralité d’acteurs

Au niveau régional de la Bourgogne, l’organisation du parcours diagnostique est assez similaire, avec un mode de fonctionnement qui peut différer selon les CHU ou les réseaux de santé. Pour notre part, nous nous situons au niveau 1, au même titre que les médecins et professionnels de santé directement accessibles par la famille. Si, pour la famille, la situation est complexe en raison de la nécessité de coordonner plusieurs professionnels de santé, il est possible d’avoir accès au niveau 2, avec un niveau d’expertise plus élevé (neuropédiatres, professionnels de rééducation, réseaux de santé, tels que le réseau de santé Pluradys en Bourgogne, généticiens, pédopsychiatres, etc.) Si la prise en charge demeure complexe et l’accompagnement insuffisant, on en arrive alors au niveau 3, regroupant les centres de référence autisme, les services de pédopsychiatrie, les centres de référence des troubles des apprentissages ou en lien avec la déficience intellectuelle (par exemple Défi en Bourgogne). La question du repérage et du dépistage des troubles est bien traitée en Bourgogne. Beaucoup de formations y sont réalisées pour les différentes professions. Les médecins généralistes préconisent un certain nombre d’évaluations. Ainsi lorsque les enfants arrivent pour réaliser un bilan, nous pouvons nous servir de ce qui a déjà été fait et gagner du temps.
Concernant l’investigation diagnostique, les bilans sont ciblés en fonction du besoin de chacun. Notre principale difficulté réside dans la méconnaissance de notre métier par le médecin généraliste, ce qui allonge le temps de prise en charge et permet l’installation de troubles secondaires. En effet, les enfants nous sont adressés par les associations de famille, les enseignants, les médecins spécialisés.
La seconde difficulté concerne le non-remboursement par la sécurité sociale de ces bilans qui restent à la charge des familles, à l’exception des orientations réalisées par les réseaux de santé. Lorsque la demande de bilan émane des collèges, certains situés en zones défavorisées dans notre département trouvent alors les moyens de financer ces bilans, au même titre qu’ils financent des voyages scolaires ou des projets mis en place par les élèves. Il s’agit d’établissements avec lesquels nous avons l’habitude de travailler et qui savent quel usage concret sera fait du bilan d’ergothérapie. Je reviendrai sur l’accès aux soins ultérieurement.
Concernant la phase de diagnostic pluridisciplinaire, notre difficulté principale se trouve dans la coordination de toutes les informations, par un médecin spécialisé, en raison de la pénurie de ces derniers. Le diagnostic peut mettre parfois plusieurs mois à arriver, notamment si l’enfant n’est pas inclus dans le réseau de santé. Par exemple, au centre référent des troubles des apprentissages, il peut y avoir jusqu’à deux ans d’attente, avant que le dossier ne soit passé en première commission.
Le médecin de famille ou le pédiatre va se retrouver seul face aux bilans, sans temps d’échanges et de coordination avec les différentes professions libérales étant intervenues. Il peut en effet être compliqué de réunir ces différents intervenants en même temps. Les échanges se font alors par courriel et par téléphone.
Pour la dernière étape, la mise en œuvre du projet thérapeutique, les difficultés restent les mêmes. En absence de coordination, on se trouve face à la question de la priorisation des suivis. Un enfant dyspraxique va réaliser trois bilans différents chez trois professionnels de santé différents. Ces trois professionnels vont mettre en évidence des difficultés et chacun va proposer des pistes de prises en charge, sans les prioriser. Les enfants se retrouvent ainsi avec des plannings très lourds d’accompagnement. Après quelques mois de prise en charge, se retrouve à nouveau ce problème de coordination et d’échange entre les différents professionnels.
Pour pallier ces diverses difficultés sur le terrain, nous tâchons de réaliser beaucoup d’actions de formation, notamment en partenariat avec la médecine scolaire avec qui nous entretenons de bonnes relations. Tous les ans nous réalisons à destination des médecins une formation sur les troubles des apprentissages. Cette année, nous réalisons aussi pour la première fois une formation continue à destination des médecins généralistes. Il s’agit là de favoriser les échanges et d’identifier des pistes d’interaction avec les professionnels. Je pourrais aussi évoquer la formation des auxiliaires de vie scolaire et les interventions que nous organisons à destination du grand public (journées de sensibilisation à la différence, journées d’étude sur les troubles dyspraxiques, etc.). Nous travaillons beaucoup avec les associations de famille. Nous mettons également en œuvre des réunions pluridisciplinaires autour de nos patients (2 à 4 participants peuvent y prendre part). Nous réalisons enfin des recherches systématiques de financement. C’est aussi le moyen pour toutes les familles d’accéder aux soins. L’idée étant aussi de faire évoluer la société dans la prise en charge des personnes dyspraxiques, nous avons à ce titre constitué un réseau de santé, Pluradys, dont je suis la cofondatrice. Ce réseau travaille sur les troubles des apprentissages et du développement. L’idée est de favoriser l’accès au diagnostic pour faciliter la prise en charge, raccourcir les délais, mettre en place des dispositifs de coordination, accompagner les familles dans la mise en place du suivi. L’agence régionale de santé (ARS) demande aussi que nous travaillions à améliorer la pratique des professionnels de santé par le biais de congrès ou de formations. Cela nous permet de pallier les différentes difficultés que nous pouvons être amenés à rencontrer dans l’exercice de nos fonctions, c’est-à-dire la difficulté de se regrouper, de se retrouver, d’échanger ou de dialoguer. Cela nous permet de mettre en œuvre une coordination du suivi thérapeutique et d’améliorer également la pratique des professionnels de santé (libéraux et salariés). Nous avons fêté nos dix ans cette année et nous disposons d’un budget nous permettant de gérer 300 familles par an sur le seul territoire de la Bourgogne.
Un parcours de diagnostic a, en outre, été mis en place pour les adultes. Il s’adresse aussi aux adultes rencontrant des difficultés en termes de réorientation professionnelle ou de choix d’études, de difficultés dans la tenue de leur poste ou d’un emploi, et qui éprouvent le besoin d’un aménagement du poste de travail ou d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). S’agissant de ces dernières, elles sont ensuite transmises à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Nous enregistrons peu de demandes d’adultes liées à des troubles praxiques. J’en évalue le nombre à une dizaine tout au plus par an. Une fois que le bilan a été établi, des difficultés peuvent survenir, notamment la réalisation des aménagements pour les concours et l’utilisation de l’informatique. Notez, par ailleurs, que ces demandes sont, financièrement, d’un accès plus difficile aux soins (moins de dossiers existants). Les choses demeurent compliquées quand les demandes concernent des jeunes adultes post-bac. L’Université de Bourgogne a créé un pôle « handicap » qui fonctionne bien et qui s’appuie sur des tuteurs qui prennent des notes et enregistrent les cours. Tous ces tuteurs sont rémunérés par l’Université. Dès que l’on sort du système universitaire, il est très difficile de voir les demandes prises en compte, notamment en termes d’équipements. Je ne peux rien vous dire d’autre à ce sujet car nous n’avons finalement qu’assez peu de dossiers d’adultes au cabinet.
Quant aux relations avec les autres professionnels de santé, elles sont nécessaires et indispensables tout simplement parce qu’un enfant n’est pas exclusivement suivi par un seul professionnel. Ces relations peuvent dépendre des professionnels de santé qui sont présents et du territoire sur lequel ils interviennent. Par exemple sur notre département, il y a assez peu de psychomotriciens libéraux qui travaillent directement sur les troubles des apprentissages car leur approche est plutôt liée à l’estime de soi, la réappropriation du corps, etc. Toutefois dans d’autres départements, l’approche diffère. Par exemple, en Saône-et-Loire, on trouve des psychomotriciens qui travaillent en lien avec les ergothérapeutes sur les troubles de l’apprentissage. Il me semble néanmoins que priorité sera systématiquement donnée, s’agissant de la rééducation du geste et du graphisme, des adaptations scolaires et des outils de compensation, aux ergothérapeutes.
Les relations avec toutes les personnes qui gravitent autour de l’enfant, notamment la médecine scolaire, sont également nécessaires. Le but de l’ergothérapeute est d’expliquer la raison l’amenant à déployer des aménagements et des adaptations grâce auxquels il sera possible aux enfants atteints de troubles praxiques, comme tout un chacun, de suivre ses apprentissages (« apprendre à faire pareil mais autrement ») et de bénéficier d’aménagement de leurs supports. L’ergothérapeute a aussi pour mission d’apporter des conseils dans les adaptations à proposer et de suivre la mise en œuvre des aménagements en cours. Le rôle de l’ergothérapeute est donc central en ceci qu’il est un professionnel au carrefour entre l’éducation et la santé.
Ce n’est toutefois pas seulement la médecine scolaire, mais aussi la famille qui est concernée puisque l’ergothérapeute peut permettre une meilleure autonomie dans la vie quotidienne, un temps des devoirs plus serein ou encore aider la « gouvernance » familiale. Pendant les périodes de vacances scolaires, nous mettons en œuvre des prises en charge à la maison. Cela permet de « guider » les familles. L’ergothérapeute ne conseille pas seulement la famille, il conseille aussi les professionnels des loisirs. Il est possible de mettre en place une adaptation pour les activités sportives ou artistiques. L’ergothérapeute peut ainsi conseiller un professeur de basket pour qu’il simplifie l’environnement spatial dans lequel l’enfant atteint de troubles dyspraxiques évoluera. Les adaptations peuvent aussi concerner la musique, notamment quand l’enfant ne parvient pas à lire correctement les portées. L’idée n’est pas d’empêcher un enfant d’exercer une activité, mais plutôt de lui permettre de l’exercer malgré le fait qu’il soit dyspraxique. Sa dyspraxie ne doit pas être un obstacle à l’exercice de ces activités, quelles qu’elles soient.

L’accompagnement en ergothérapie

Les interventions

Évoquons à présent l’accompagnement en ergothérapie. Il se traduit par des stratégies cognitives de type top-down (verbalisation, séquençage, etc.) ou par des approches de type bottom-up. L’orientation vers l’une ou l’autre de ces approches dépend de l’intensité de la difficulté et de l’urgence de la scolarisation, mais en pratique, nous avons souvent besoin des 2 approches. L’approche top-down permet souvent des résultats concrets plus rapides sur les activités vues, mais certaines sous-compétences spécifiques (comme les mouvements dissociés des doigts par exemple) doivent être travaillées pour y parvenir. Le choix de l’approche peut aussi se faire en fonction de l’âge de l’enfant et de la façon dont la famille se projette dans la rééducation : certains parents ne portent pas d’attention à la maladresse originelle d’un enfant ou à son manque d’autonomie dans la vie quotidienne et ne jugent ainsi pas opportun de travailler sur ces points, du moins au début.
En la matière, je voudrais insister sur la place de la rééducation « motrice », l’ergothérapeute ne s’occupant pas uniquement des adaptations. Évoquons également l’intégration sensorielle ou encore la rééducation multi-sensorielle du graphisme (type ABC Boum par exemple), qui permettent d’intégrer et d’utiliser l’ensemble des sens pour favoriser les apprentissages chez les enfants dys. Insistons également sur le rôle des adaptations et des compensations, notamment l’adaptation visuelle à la lecture ou de l’espace de travail lui-même, c’est-à-dire la table de travail. Le but est toujours de personnaliser. Le rôle de l’ergothérapeute est aussi d’expliquer pourquoi l’enfant a échoué dans son exercice et de remédier à cet échec. Il y a encore quelques années, les ergothérapeutes étaient pratiquement les seuls à proposer ce travail de rééducation multi-sensorielle. Il tend aujourd’hui à se développer. La priorité est de personnaliser les adaptations à l’enfant car il existe une multiplicité de possibilités (et non de prendre des solutions toutes faites sur Internet par exemple).
Concernant la remédiation de l’écriture, tout dépend de si l’on privilégie la compensation ou la rééducation et de l’âge de l’enfant. S’il a besoin d’une compensation, il sera toujours indispensable de prévoir une trace écrite. Nous n’avons en revanche pas de méthode standardisée en la matière. L’approche sera fonction du besoin comme du profil de l’enfant. Possibilité doit être donnée à l’enfant de permettre une trace écrite. Reste à savoir quelle forme elle prendra. On demande également aux enfants de travailler à la maison mais au travers d’activités ludiques. Il ne s’agit jamais de lignes d’écriture.
Comme indiqué précédemment, l’ergothérapeute ciblera son intervention sur les activités importantes pour l’enfant et sa famille. Ainsi, c’est le professionnel de santé indispensable pour trouver des solutions également pour les différents actes de la vie quotidienne et de loisirs.

L’accès aux soins

Je voudrais insister sur le fait que l’accès à ces soins ergothérapiques est aujourd’hui encore un long parcours administratif. On distingue deux grandes orientations. Soit l’enfant bénéficie déjà ou va bénéficier d’une reconnaissance de handicap auprès de la MDPH/maison de l’autonomie, soit il ne bénéficie pas de ce type de reconnaissance.
S’il bénéficie déjà d’une reconnaissance de handicap, le financement passe par l’AEEH (allocation d’éducation de l’enfant handicapé) et des diverses catégories qui lui sont associées en fonction des frais engagées par la famille. Jusqu’à présent ce dispositif fonctionnait plutôt bien. Cependant, la récente arrivée de nouveaux protocoles (plan d’accompagnement personnalisé, PAP) a fait évoluer la situation. En effet, à partir du moment où il y a un diagnostic de dyspraxie d’intensité légère ou modérée (mais sans troubles neurologiques associés), on constate un refus de mise en place de projet personnalisé de scolarisation (PPS) ou de reconnaissance de handicap (et donc d’ouverture de droits financiers pour aider les familles à régler les soins). On considère qu’une adaptation scolaire est suffisante, ce qui ferme la porte à un certain nombre de dispositifs de rééducation mais surtout à cette coordination si indispensable pour ces enfants entre le milieu de l’éducation et le milieu de la santé. Pour les adultes, le dispositif mis en œuvre par l’intermédiaire de la MDPH est la prestation de compensation du handicap (PCH), qui permet d’avoir une aide très partielle pour les soins en ergothérapie.
Mais s’il n’y a pas de reconnaissance du handicap car les difficultés ne sont pas jugées assez importantes, alors un parcours spécifique doit être mis en œuvre pour trouver les fonds. Il implique successivement la sécurité sociale, la mutuelle et la caisse de retraite complémentaire. Le parcours peut varier selon les régions ou les départements. La caisse primaire d’assurance maladie a un dossier de « prestations extra-légales », dans lesquelles la rééducation en ergothérapie peut être incluse. Les plafonds des revenus familiaux pour bénéficier de ce type d’aide sont différents selon les départements. Les autres sécurités sociales (MGEN, MSA, SNCF, etc.) ont également des dossiers d’aides spécifiques. Notez que la quasi-totalité des mutuelles – on en compte mille sur le territoire français – dispose d’un dispositif de financement des « soins coûteux ». Par soins coûteux, on entend ceux qui se font sur prescription médicale, mais qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale. Les professionnels de santé doivent pré-remplir le dossier de financement et le transmettre aux familles. J’évoque enfin les caisses de retraite complémentaire parce qu’elles financent les soins de rééducation. Ce financement venant compléter ceux de la sécurité sociale et de la mutuelle est conditionné à la transmission de la réponse de la sécurité sociale et de la mutuelle. Certaines mutuelles ont des commissions qui se réunissent tous les mois, d’autres qui se réunissent tous les trois ou six mois. Il faut accompagner le patient pour élaborer le dossier et faire preuve de patience au regard de la fréquence de réunion des commissions. C’est également un temps important de travail pour l’ergothérapeute qui n’est pas rémunéré. Pour certaines familles, la charge mentale est relativement lourde, malgré l’accompagnement réalisé et elles finissent par abandonner la démarche qu’elles ont engagée. Les assurés ont cependant pris l’habitude du déremboursement sur ces dernières années. Dès lors, ils financent partiellement les séances de rééducation. L’ergothérapeute doit aussi savoir s’adapter à la situation de famille. Il s’en suit un parcours dont les objectifs vont être différents.

Les spécificités de la prise en charge psychomotrice
dans la dyspraxie

Avril 2017
Grégory Faideau : psychomotricien en libéral à Versailles
Psychomotricien depuis 2007, j’ai commencé ma carrière dans un institut médico-éducatif auprès d’enfants polyhandicapés pendant deux ans avant de m’installer en cabinet libéral à Versailles en 2009. Dans ce cadre, je travaille principalement avec des enfants. Je suis également enseignant dans une école qui prépare aux concours paramédicaux et enseignant et coordinateur pédagogique au sein de l’Institut supérieur de rééducation psychomotrice (ISRP) qui forme les psychomotriciens. Dans cette communication, je souhaite partager mon expérience concernant les spécificités de la prise en charge psychomotrice dans la dyspraxie, expérience qui me semble assez représentative des pratiques observées en libéral.

Caractéristiques et comorbidités des patients

Environ deux tiers des patients reçus pour une dyspraxie/un trouble d’acquisition de la coordination/trouble développemental de la coordination ou une suspicion de cet ordre présentent des comorbidités.
La constellation des dys est une première comorbidité qui peut être observée : dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dysgraphie. Un certain nombre d’enfants présentent également des troubles spécifiques du langage oral ou un trouble spécifique du développement de la parole et du langage. Très souvent, les patients souffrant de troubles de la communication orale sur le versant expressif présentent également des troubles de la coordination.
Parmi les comorbidités, nous trouvons également un certain nombre de troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité. Dans ces cas, le lien entre les troubles n’est pas aisé : les troubles déficitaires de l’attention peuvent-ils être considérés comme une comorbidité des troubles de l’acquisition de coordination ou bien le trouble attentionnel est-il une conséquence de l’effort de compensation de l’enfant dyspraxique en situation d’apprentissage d’une tâche motrice ? Quelle que soit la réponse à cette question, nous observons que le fonctionnement en double tâche de ces patients est encore plus difficile.
En outre, les enfants précoces en situation de surdouance avec une dyssynchronie de développement qui consultent en psychomotricité révèlent fréquemment des troubles d’acquisition de coordination.
S’agissant des troubles de l’humeur et apparentés, nous retrouvons notamment des troubles anxieux avec des épisodes dépressifs. Les jeunes dyspraxiques s’aperçoivent assez tôt de leur handicap et du décalage existant avec leurs camarades. Nous pouvons dès lors nous demander si les troubles de l’humeur n’en sont pas une répercussion. Dans le même ordre d’idée, nous constatons parfois des troubles de comportement (trouble oppositionnel avec provocation, notamment).
Les troubles de la latéralité constituent également une situation de comorbidité qui vient aggraver l’acquisition de coordinations et notamment lorsque la latéralité est hétérogène entre œil et main ou main et pied. Cela peut être mis en lien avec un défaut ou un retard de maturation neurologique.
Enfin, le trouble de l’organisation spatio-temporelle, ou la difficulté à organiser le geste dans un espace orienté et structuré, est également une comorbidité qui peut être observée chez le dyspraxique.

Diagnostic – apports du bilan psychomoteur

Sur dix patients reçus au cabinet tous motifs de consultation confondus, trois ont un diagnostic de TDC posé, et il y a une suspicion ou un diagnostic en cours pour un patient. Je suis parfois confronté à des diagnostics tardifs quand l’enfant a pu compenser de manière autonome pendant plusieurs années.
Nous identifions deux niveaux qui augmentent la suspicion d’un TDC. Le premier niveau concerne la plainte du patient. Il s’agit le plus souvent de difficultés dans les apprentissages scolaires et/ou dans les gestes de la vie quotidienne. Le deuxième niveau concerne l’éviction des diagnostics différentiels : la plainte ne peut être expliquée par un trouble neuromusculaire (comme la myopathie) ou neuromoteur (comme la paralysie cérébrale) ou sensoriel.
En cas de suspicion, le bilan psychomoteur permet de confirmer ou non la dyspraxie et, le cas échéant, d’apporter un éclairage sur le type de dyspraxie et de TDC. La progression logique consiste à mettre en lumière plusieurs éléments. Tout d’abord, les troubles du développement moteur : retard d’acquisition dans les postures assises ou la marche, maladresses dans les jeux de balles, blessures à répétition, difficultés d’apprentissage moteur (vélo, natation, trottinette, etc.). Par la suite, l’identification d’éventuels troubles de l’apprentissage scolaire (graphisme et mathématique, notamment) participe également à l’établissement du diagnostic.
Dans un premier temps, on propose une série de questionnaires type QTAC (Questionnaire sur le trouble de l’acquisition de la coordination) ou DCD-Q (Developmental Coordination Disorder Questionnaire) ou celui de la MABC-2 (Batterie d’évaluation du mouvement chez l’enfant – seconde édition) aux parents ou aux proches du patient. Dans ma pratique, j’utilise seulement le QTAC : je propose ainsi aux parents de remplir ce questionnaire sur lequel je vais pouvoir m’appuyer pour orienter mes épreuves de bilan. L’objectif est de comparer les acquisitions de leur enfant avec un enfant qui aurait le même âge et qui ne présenterait pas de troubles. Le parent évalue 3 items : le contrôle durant le mouvement, la motricité, l’écriture et les coordinations globales. Quinze items sont proposés, chacun devant être noté de 1 à 5. La note totale indique ou non une suspicion de TDC en fonction de l’âge du patient.
Concernant les autres outils que j’utilise pour évaluer le mouvement, citons la MABC-2 et les facteurs du Lincoln-Oseretsky. Je m’appuie davantage sur la MABC-2, que l’on retrouve plus souvent dans la littérature scientifique et qui me semble plus fiable. L’idée est de mesurer le déficit des gestes à apprentissage explicite.
La 1re étape du bilan est dite « sur le produit » (mesure avec des tests étalonnés et reconnus pour mettre en évidence le TDC). Je m’appuie souvent sur la MABC-2 et le BHK car le graphisme est touché chez la plupart des enfants présentant des troubles d’acquisition de la coordination. Or, l’étude de l’écriture ne fait pas partie des batteries d’évaluation des coordinations.
La 2e partie du bilan est dite « sur le processus » avec d’autres tests et épreuves complémentaires qui sont recommandés. Ces tests permettent d’évaluer le tonus de fond, d’action et postural (avec notamment les épreuves d’extensibilité et de ballant, de poussées), la latéralité (homogène, hétérogène, concordante ou non), les praxies gestuelles (j’utilise de manière préférentielle l’EMG1 ), les praxies constructives (test des bâtonnets, épreuve des cubes), les fonctions exécutives (en utilisant des épreuves telles que le test de la tour de la Nepsy 1, ou des épreuves d’attention comme le test d’attention concentrée D2) et les aptitudes visuo-perceptives de la Nepsy 2.
Bien qu’il existe un certain nombre de critères objectifs pour établir nos conclusions (par exemple, l’âge à partir duquel certains types de syncinésies ne doivent pas se trouver), nous manquons toutefois d’épreuves normées pour avoir des critères plus fiables. C’est le cas par exemple pour les épreuves concernant le tonus de fond.
J’essaye de me consacrer au maximum à des tests spécifiques concernant la psychomotricité. Sur les aspects neuropsychologiques, j’utilise parfois la Nepsy, mais tente de la réserver aux neuropsychologues qui me reprochent parfois d’utiliser des tests dont ils se servent également. Pourtant, c’est une batterie vendue aux psychomotriciens et l’étude des fonctions sensorimotrices, du traitement visuo-spatial et des fonctions attentionnelles fait bien partie de nos compétences.
Afin de ne pas réaliser des tests que le patient aurait déjà passés avec d’autres professionnels, je lui demande de me prévenir s’il a déjà effectué l’activité que je lui propose.
Je m’interdis en revanche de me mettre en relation avec les autres professionnels avant la prise en charge. Je souhaite en effet confronter mon idée et mon diagnostic avec une autre approche sans être influencé au préalable. À partir de mes résultats, j’établis un bilan qui fait état des différents symptômes relevés (parfois bien au-delà de la plainte) et je laisse le soin au médecin, idéalement le médecin référent, d’établir le diagnostic. Je ne dis jamais à une famille : « Votre enfant est dyspraxique. » Dès lors qu’il n’y a pas eu de diagnostic et que j’ai une forte suspicion, je recommande un médecin pour objectiver les résultats.
Si le patient présente des comorbidités, le médecin est seul habilité à décider de l’utilité de réaliser ou non un bilan complémentaire, ce n’est pas à moi d’orienter le patient pour cela. Cependant, il n’est pas rare que, dans mes recommandations, je conseille la réalisation de bilans complémentaires, type orthoptie entre autres. Le médecin prescripteur décidera alors si des bilans complémentaires sont nécessaires.
J’essaye, en dernière instance, de conseiller un centre de référence lorsqu’il est nécessaire d’objectiver le diagnostic dans des situations dites complexes. Il peut s’agir de comorbidités trop importantes pour établir le diagnostic, ou encore d’une forte résistance à la rééducation voire même d’une aggravation de la situation avec l’apparition d’autres troubles.

Expériences de prise en charge

Quelques clés de réussite se dégagent de mon expérience en cabinet.
Il apparaît très important d’essayer autant que possible de fixer des objectifs thérapeutiques qui répondent à la plainte psychomotrice. L’expérience montre qu’il est contre-productif de vouloir tout rééduquer en même temps. Les apprentissages seront au contraire souvent plus rapides lorsque l’on se donne le temps d’attendre. Cela revient à augmenter le temps d’exposition à certains apprentissages moteur et à compenser d’autres difficultés. Les patients sont des enfants qui mettent plus de temps à intégrer un mouvement, il m’arrive donc régulièrement de demander de reprendre au domicile les mouvements travaillés en cabinet. Je mets notamment à disposition un cahier d’écriture qui fait le lien entre travail au cabinet et au domicile. Concernant les aspects moteurs, je peux aussi proposer un listing de jeux ciblés en fonction du profil de l’enfant (Twister, applications sur tablette, etc.).
Une rééducation progressive sur le long terme est préférable à une rééducation très intense sur un nombre réduit de séances. En général, je propose des séances en individuel de 45 minutes à 1 heure, une fois par semaine. J’aimerais parfois pouvoir en faire davantage (2 séances hebdomadaires d’une demi-heure), mais il est primordial de ne pas prendre le risque de dégoûter le patient de la rééducation. Il s’agit pour lui d’un investissement moral et physique, et pour ses parents (lorsqu’il s’agit d’un enfant) d’un coût non négligeable.
La durée de la prise en charge est très variable ; elle peut aller jusqu’à deux ou trois ans. L’idée est de déterminer des objectifs à court terme et long terme en fonction du type de dyspraxie. Lorsque les objectifs sont atteints, le patient et sa famille sont informés et je suggère d’établir de nouveaux objectifs. L’expérience montre que lorsque l’enfant parvient à atteindre un objectif, lui et ses parents sont très souvent disposés à fixer un nouveau défi. Les critères d’arrêt principaux sont d’une part l’impression d’avoir utilisé toutes mes cartes et l’arrêt de la progression et d’autre part le comportement du patient qui traduit un ennui manifeste (décrochage motivationnel, absentéisme fréquent, etc.). Je souhaiterai faire systématiquement une réévaluation à l’arrêt de la prise en charge et/ou quelques mois plus tard mais je n’ai jamais essayé de le proposer. C’est délicat à justifier en libéral pour des raisons financières et je ne suis pas certain que les patients apprécieraient. J’essaye en revanche de faire une réévaluation au cours de la rééducation.
Afin que les soins fonctionnent, il est nécessaire de contextualiser l’approche pour favoriser la généralisation de l’apprentissage dans tous les environnements et pour donner du sens à l’apprentissage moteur. Il s’agit, par exemple, de travailler sur la graphie d’une lettre, puis de la replacer dans un mot entier, puis dans une phrase, tout en s’imaginant l’écrire le jour de la dictée dans l’environnement scolaire. Ou alors de travailler sur le saut à pieds joints dans la salle de psychomotricité avec pour objectif de s’y entraîner à nouveau dans la cours de récréation ou dans son jardin.
Pour la prise en charge, deux types d’approches peuvent être utilisées : l’approche bottom-up et l’approche top-down. Dans le premier cas, la prise en charge est centrée sur le déficit et vise à restaurer les fonctions altérées. Malheureusement, elle n’a pas réellement démontré un apport suffisant pour les enfants souffrant de troubles de la coordination. Dans les soins psychomoteurs, on préfèrera l’approche top-down, qui consiste à se concentrer sur la performance et à favoriser l’activité. J’utilise notamment des méthodes de résolutions de problèmes. Il s’agit de questionner le patient sur la tâche à réaliser dans le but de la structurer en plusieurs étapes afin qu’il puisse identifier et corriger la ou les étapes défaillantes suite à son exécution. C’est par l’expérimentation successive de la tâche que le programme moteur gagnera en efficacité. J’utilise également des approches de type imagerie motrice et ce dès l’âge de 5 ans. Dans ce cas, on cherche à augmenter les capacités de représentation mentale du mouvement chez le sujet. Par exemple, on invite le patient à revivre le mouvement qui vient d’être expérimenté mais, cette fois-ci, sans mouvement, les yeux fermés, tout en respectant la même posture de départ et la durée nécessaire au mouvement.
Pour la prise en charge des troubles de l’écriture, la thérapie est ciblée en fonction des cas. Il s’agit principalement d’exercices qui ciblent la motricité fine (apprentissage moteur, outils de stimulation, apprentissage du lettrage, etc.). À propos de la tenue du stylo, un travail de la tenue de l’outil scripteur en pince tridigitale me paraît réellement nécessaire lorsque la mobilité articulaire est entravée ou qu’elle génère des douleurs ou des crampes. La rééducation du geste graphique ne peut marcher que si elle est associée à d’autres outils et nécessite notamment d’avoir l’accord de l’enseignant pour soulager un peu le patient, en procédant davantage à des évaluations à l’oral par exemple. Si, à l’issue de 10 ou 15 séances, le BHK est toujours déficitaire et que les améliorations sont insuffisantes, je propose un relai en ergothérapie pour passer au clavier.
Concernant le traitement des comorbidités, il est nécessaire de prendre en compte les autres signes dans le projet thérapeutique. L’idée est de limiter autant que possible l’impact de la dyspraxie sur les autres fonctions psychomotrices (schéma corporel, organisation spatiale, etc.). Pour ce faire, j’utilise des médiations ou des outils adaptés dans les deux cas, lorsque cela est possible. Par exemple, pour un patient présentant une dyspraxie et un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, j’essaie d’utiliser des méthodes hybrides agissant sur ces deux troubles (par exemple les méthodes d’auto-instruction type soliloque). En outre, dans le cas de troubles de l’humeur, passer par des techniques de type relaxation vient en soutien de la rééducation.
De manière générale, je suis satisfait des techniques que j’utilise désormais. Les plus satisfaits sont les patients : ils constatent qu’ils sont entrés dans une boucle vertueuse avec notamment la facilitation de l’apprentissage moteur ou l’amélioration de la vitesse d’automatisation. Dans certains cas, j’ai l’impression que la thérapie ne fonctionne pas ou peu, alors que le vécu du patient est positif. Les soins peuvent le rendre plus à l’aise avec son corps sans que cela ne se traduise par des résultats concrets lors des séances ou même objectivables avec un test étalonné. L’exemple type est celui de l’enfant qui voit sa douleur diminuer lorsqu’il est dans un geste d’écriture alors que la qualité et/ou la vitesse graphiques n’ont, pour le moment, pas encore augmenté.

Travail en réseau

Le maintien de la confiance au sein de la triade professionnel, patient et famille est essentiel. Il m’arrive fréquemment de donner des conseils aux parents pour favoriser l’autonomie dans la vie quotidienne (habillage, brossage de dents, lacets des chaussures, etc.) alors même que la rééducation peut porter sur d’autres activités. En outre, je suis régulièrement amené à suggérer aux familles qui sont dans le besoin de se rapprocher du monde associatif.
Par ailleurs, le psychomotricien a un rôle d’échange et de partenariat avec les institutions qui orientent des patients pour leur faire bénéficier de techniques de rééducation. S’agissant de l’environnement scolaire, le rôle du praticien est majeur : il veille à former les équipes pédagogiques, cherche à faire partie intégrante des projets éducatifs, et à représenter le patient, ses particularités et les outils de compensation qui fonctionnent. Dans cet objectif, je me rapproche des enseignants référents et tente de participer aux réunions pédagogiques pour aider à formaliser le projet personnalisé de scolarisation (PPS). J’interviens en maternelle (principalement en grande section), en élémentaire (majoritairement en CP, CE1 et CE2) et même au collège (en grande partie pour des difficultés visuo-spatiales et logico-mathématiques). Le plus souvent, nous sommes bienvenus et appréciés des unités pédagogiques qui sont en demande de soutien et d’aide. Parfois, c’est moins évident, certains enseignants référents ne se souciant guère de savoir si l’ensemble des partenaires est disponible pour les réunions pédagogiques. Lorsqu’il ne m’est pas possible d’assister à ces rencontres, je fais en sorte d’être disponible pour échanger téléphoniquement et par mail avec les enseignants demandeurs en veillant toutefois à ne pas m’immiscer de manière trop intrusive. Le changement de classe pose quelques problèmes car nous sommes obligés de réexpliquer les mêmes choses à chaque changement de niveau. J’insiste souvent pour que les enseignants de la section suivante soient présents lors de la réunion de fin d’année, la plupart du temps en vain. J’ai aussi rencontré quelques rares cas d’enseignants qui occultent le problème derrière des aspects motivationnels (« il est capable, je l’ai vu ! »). Certains enseignants se plaignent aussi de devoir mobiliser beaucoup de temps pour un seul élève, au détriment de ses camarades. En cas de difficultés, il m’arrive de proposer aux enseignants de se tourner vers le monde associatif.
Enfin, s’agissant des relations avec les professionnels de santé, il m’arrive de demander des bilans complémentaires (notamment orthoptique) pour objectiver les difficultés. Je suis également amené à solliciter des bilans ergothérapeutiques, orthophoniques, et neuropsychologiques pour évaluer l’intégrité du QI. Pour la prise en charge, je peux être amené à suggérer au patient et à sa famille qu’un suivi orthoptique ou ergothérapeutique pourrait être nécessaire, mais je préfère quand même attendre que le médecin le fasse. Sinon, je n’ai eu que très rarement des cas de double prise en charge graphomotricité et psychomotricité. C’est la plupart du temps soit l’un soit l’autre, souvent le graphothérapeute renvoie vers le psychomotricien lorsque la thérapie a été un échec.
Au sein du cabinet qui réunit des psychologues, psychomotriciens, orthophonistes et bientôt un ergothérapeute, nous nous réunissons à peu près tous les mois et demi, afin d’aborder des thèmes spécifiques (outil de rééducation, logiciel, etc.) mais il peut être gênant de proposer aux familles de consulter d’autres praticiens, d’autant plus s’ils sont du même cabinet (suspicion de surconsommation).

Principales difficultés rencontrées

De nombreuses difficultés sont à signaler.
En premier lieu, nous manquons de publications scientifiques et de consensus sur la clinique. La théorie et les outils de rééducation ne permettent pas toujours de guider efficacement les professionnels de santé. Il est évident que les psychomotriciens ont besoin d’écrire davantage, notamment pour faire reconnaître leurs spécificités.
La grande hétérogénéité des symptômes est également une difficulté majeure à laquelle le praticien doit faire face. Chaque cas est très singulier, et la rééducation se veut par conséquent elle-même singulière.
Une autre difficulté à laquelle est confronté le psychomotricien concerne la rééducation du geste graphique : faut-il considérer l’écriture comme un moyen ou comme un but ? Mon expérience montre que la rééducation du geste graphique fonctionne assez bien. J’estime qu’il est dommage de passer tout de suite par une mise au clavier avant même d’avoir essayé une rééducation. Lorsque celle-ci se solde par un échec, je demande de réaliser des bilans d’évolution.
En outre, les difficultés liées au financement de la rééducation et la lourdeur des délais administratifs posent des problèmes majeurs. Pour indication, les tarifs que je pratique s’élèvent à 150 € pour un bilan. Celui-ci est réalisé en deux séances : une première de 2 heures 15 (avec 30 à 45 minutes d’entretien puis un examen du patient), suivie d’une seconde de 45 minutes. Le coût d’une séance classique est de 50 euros.
La plupart des familles prennent en charge le financement. Certaines arrivent à obtenir un financement de la sécurité sociale, mais cela relève du parcours du combattant. Les mutuelles commencent petit à petit à compenser une partie du reste à charge pour les familles mais les plafonds sont encore très rapidement atteints. L’écart reste très important entre ce qui est remboursé et ce qui est nécessaire en termes de soins. Cela explique notamment l’absence d’évaluation à la fin de la prise en charge et le frein à une véritable pluridisciplinarité.
En outre, le parcours de soin est souvent long et difficile pour les familles. Les familles se plaignent d’ailleurs souvent de ne pas avoir été bien orientées par le médecin de proximité. Les professionnels sont régulièrement sous-formés (y compris les médecins de proximité) tandis que d’autres exercent le métier de « rééducateur » sans en avoir le droit : kinésiologue et graphothérapeutes, notamment. Le recours à ces disciplines peut retarder le diagnostic. Certaines familles mènent les combats de front et parviennent à organiser le parcours de soin eux-mêmes. Pour d’autres, au contraire, il s’avère nécessaire de relancer une consultation auprès du médecin prescripteur.

L’évaluation des handicaps liés à la dyspraxie ou trouble développemental de la coordination à la MDPH
de Seine-et-Marne

Juin 2017
Pascale Gilbert : médecin coordonnateur de la MDPH de Seine-et-Marne
Je suis le médecin coordonnateur de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de Seine-et-Marne. Auparavant j’étais médecin expert à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). J’ai prévu aujourd’hui de vous livrer le point de vue d’une MDPH, en l’occurrence celle de Seine-et-Marne. Dans un premier temps, je vous décrirai le contexte départemental dans lequel nous évoluons, avant de vous livrer notre expérience en matière d’évaluation de prise en charge des troubles dyspraxiques.

Les spécificités de la Seine-et-Marne

La Seine-et-Marne est le plus grand des départements d’Île-de-France en superficie, ce qui rend les déplacements difficiles. Elle compte plus d’un million d’habitants. Traverser le département par la Francilienne prend trois heures et vous expose inéluctablement à un certain nombre de difficultés de circulation (encombrements, ralentissements, bouchons). Ce département d’Île-de-France est aussi le moins bien doté en ressources sanitaires alors que les territoires franciliens sont usuellement les mieux pourvus en la matière. La Seine-et-Marne est à l’inverse un des départements les mieux dotés en ressources médico-sociales en Île-de-France. Il n’a donc pas connu beaucoup de créations de nouvelles structures durant les années passées, bien que son taux d’équipement atteigne tout juste la moyenne nationale. Cette meilleure dotation en ressources médico-sociales du département de Seine-et-Marne rend ce territoire historiquement très attractif pour la capitale qui y a jusqu’alors volontiers envoyé ses personnes âgées et personnes handicapées. Par ailleurs, la croissance démographique y est importante, notamment pour les familles qui peuvent se loger plus aisément qu’au centre de la région, l’immobilier y étant tout à fait abordable. Ce facteur immobilier a également joué un rôle dans le déploiement de l’offre médico-sociale ces 20 ou 30 dernières années.
Notre MDPH est excentrée et centralisée à la fois : son maillage territorial est relativement limité pour l’instant. Le siège de la MDPH a été installé à Savigny-le-Temple (agglomération nouvelle de Sénart). Nous ne sommes pas très accessibles sur le plan territorial. Nous agissons beaucoup par courrier et par courriel. Nous n’agissons pratiquement pas de visu du fait de notre localisation. Nous profitons, par ailleurs, d’une solide tradition d’aménagements et d’adaptations pédagogiques mis en œuvre activement par l’Éducation nationale depuis des années. Avant l’apparition des PAP (plans d’accompagnement personnalisés), des PPTSA (projets personnalisés des troubles spécifiques des apprentissages) existaient depuis un certain nombre d’années sur le territoire de la Seine-et-Marne suite à des initiatives locales. Évoquons enfin une représentativité associative très active y compris au sein de la MDPH. La présidente d’une de ces associations est une des vice-présidentes de la CDAPH (commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées). Comme nous y oblige la loi sur le handicap de 2005, notre MDPH de Seine-et-Marne s’est dotée d’une équipe pluridisciplinaire. Cette équipe est hébergée au sein d’un service de la MDPH, le service Évaluation et orientation, qui regroupe une cinquantaine de professionnels de disciplines variées. Dans la mesure où nous disposons de peu de relais extérieurs, nous assurons pratiquement la totalité de la mission d’évaluation au sein de la MDPH. J’en profite pour dire que nous traitons 30 000 dossiers par an, c’est-à-dire une moyenne de 150 dossiers par jour. Comme vous pouvez l’imaginer, cela représente un volume de travail considérable. La plupart des MDPH s’appuient sur des ressources externes pour assurer la mission d’évaluation. De ce point de vue, la nôtre est relativement atypique. Du fait de sa situation, elle priorise l’échange de documents et de contacts avec les partenaires considérant que ces échanges avec eux sont primordiaux. Il faut savoir que ces échanges ne se font pas à l’insu des familles. Nous disposons d’un document, l’« autorisation de communication », qui va d’ailleurs progressivement disparaître avec la mise en place du nouveau formulaire publié en mai 2017. Les familles auront avec ce nouveau formulaire la possibilité en cochant une simple case d’autoriser la MDPH à échanger avec les professionnels qui assurent le suivi de la personne en situation de handicap et ainsi permettre à ces professionnels de contribuer à l’évaluation afin d’éviter la redondance des investigations. Selon les situations, les parents n’acceptent pas forcément de donner leur accord. Nous sommes parfois obligés de le demander aux familles en cours d’évaluation si elles ne l’ont pas au préalable fait spontanément. Cet accord est un incontournable et nous le rappelons à notre équipe pluridisciplinaire, aux professionnels de terrain avec qui nous travaillons ainsi qu’aux familles.

L’évaluation au sein de la MDPH

Notre outil national est le GEVA, le « guide d’évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées », référence légale depuis le décret du 6 février 2008. Nous disposerons sous peu d’une version informatisée. Nous sommes également destinataires des GEVA-Sco, supports d’évaluation désormais réglementaires qui sont systématiquement fournis à l’appui des demandes en lien avec la scolarisation. Ils fournissent des éléments précieux sur la manière dont les jeunes accèdent aux apprentissages, acquièrent l’autonomie, fonctionnent dans le cadre des activités en milieu scolaire et sont la plupart du temps enrichis de productions de l’élève si besoin. Pour l’évaluation de ces dimensions, nous nous appuyons sur sept enseignants en interne, membres de l’équipe pluridisciplinaire. Certains sont mis à disposition par l’Éducation nationale quand d’autres sont rémunérés par notre MDPH. Des renforts volontaires nous aident notamment pour faire face à la rentrée scolaire, qui est une période de très forte charge. Le travail d’évaluation, s’appuyant sur des documents de diverses provenances, nécessite de synthétiser les informations issues des GEVA-Sco, des bilans des professionnels médicaux, paramédicaux, éducatifs, du champ psychologique, etc. Pour cela, nous essayons d’établir un faisceau d’indices à partir des différents éléments à notre disposition. Si l’ergothérapeute établit un bilan décrivant très précisément les troubles dyspraxiques et les difficultés rencontrées par l’enfant à l’école, mais que rien n’est indiqué dans les documents provenant du milieu scolaire, alors nous devons en tenir compte, notamment pour élaborer des propositions de réponses adaptées aux besoins du jeune. En cas de discordance, nous tâchons de compléter l’évaluation et le cas échéant de recevoir les familles pour prendre alors la mesure des situations.
Évoquons à présent les dossiers de demande de compensation du handicap (DDCH). À partir du moment où la question de la scolarisation se pose, nous prévoyons alors de façon systématique l’intervention d’un enseignant dans la démarche d’évaluation. Je me félicite de constater que cette règle a ensuite été transposée à l’échelon national. Les dossiers sont alors traités par un binôme, voire un trinôme de membres de l’équipe pluridisciplinaire, composé donc d’un enseignant, et en général d’un médecin et/ou d’un psychologue. Certains jeunes sont reçus par ces professionnels à la MDPH. Toutefois dans la plupart des cas, nous travaillons principalement sur dossier. Nous pouvons, le cas échéant, être amenés à solliciter l’avis de nos ergothérapeutes concernant les matériels pédagogiques adaptés qui sont mis à la disposition des enfants. Précisons enfin que le guide produit sur les troubles des apprentissages par la CNSA à destination des professionnels de l’évaluation a été diffusé en interne pour les aider à mieux évaluer ces troubles dyspraxiques, mais son appropriation est probablement inégale et je n’ai pas à ce jour de retour sur sa prise en compte au sein de l’équipe. Nous effectuons fréquemment des échanges de pratiques à la MDPH mais il n’y a pour l’instant pas eu de travail spécifique sur la dyspraxie au sein de l’équipe.
Je voudrais à présent évoquer les attentes de l’équipe pluridisciplinaire. Précisons tout d’abord que la démarche diagnostique est en général correctement menée, même si, compte tenu de l’attente dans les centres de référence et de la « pauvreté » du département en ressources sanitaires spécialisées, il reste compliqué en Seine-et-Marne d’obtenir des bilans ainsi que des comptes-rendus suffisamment étayés et informatifs et une démarche suffisamment coordonnée. Cela concerne également les professionnels libéraux de Seine-et-Marne, que ce soient les ergothérapeutes, les psychomotriciens, voire les orthophonistes. Il faut compter, en Seine-et-Marne, au moins entre trois et six mois pour obtenir un rendez-vous auprès de tels professionnels. Cela étant dit, des bilans ergothérapiques ou en psychomotricité sont exigés pour les demandes de financement de rééducations ou demandes de matériel pédagogique adapté. Plus les dossiers sont étayés, plus nous disposons d’informations complètes et de qualité, ce qui évite ensuite la survenue de problèmes. C’est pourquoi malgré la lourdeur que peut représenter la constitution des dossiers pour des familles ou même des professionnels, cela est extrêmement important. Je vous rappelle que les fonds dont nous disposons sont des fonds publics et que nous évoluons de fait dans un environnement très contraint. À nous donc de savoir prendre un minimum de précaution. Mais compte tenu de la pauvreté des ressources sanitaires en Seine-et-Marne, je n’attends pas forcément l’avis du neuropédiatre. Un ergothérapeute qui a suivi un enfant pendant un à deux ans est capable de nous dire où celui-ci en est. C’est dans le bilan de l’ergothérapeute que je vais trouver des éléments sur la façon dont l’enfant fonctionne et réagit par rapport à un certain nombre d’environnements. Le bilan de l’ergothérapeute a une très grande utilité de ce point de vue. Il en est de même du bilan que peut établir l’orthophoniste ou le psychomotricien.
Je voudrais aussi souligner notre disponibilité, lorsque l’enfant est petit, à financer des rééducations dès lors qu’il y a une prescription, même si nous préférerions qu’une véritable démarche diagnostique soit engagée et que ce financement intervienne au travers du parcours de soin des enfants atteints de troubles dyspraxiques. Il en va de l’évolution de l’enfant. Je vous avoue en revanche que nous sommes plutôt réservés face à une association ergothérapeute-psychomotricien, en raison des interrogations que cela peut soulever sur une éventuelle redondance qui serait préjudiciable à l’enfant. S’il existe des objectifs de rééducation très précis, nous ne nous posons pas la question et nous agissons. Par exemple, si l’enfant a été vu par un neuropédiatre qui insiste sur la nécessité d’associer le psychomotricien sur un certain nombre de thèmes et l’ergothérapeute pour mettre en place le clavier à très brève échéance car il en a besoin, alors je me saisis du sujet. L’enfant peut être très réactif sur le plan cognitif, mais être entravé sur le plan « moteur ». Nous suivons évidemment les préconisations à condition qu’elles soient étayées. S’il n’existe pas de tels objectifs et si le flou prédomine, alors nous serons relativement réticents. En cas de financement, nous exigeons ensuite de revoir le dossier à l’échéance de la période de rééducation avec un bilan de l’ergothérapeute et/ou du psychomotricien. Cela nous permet de savoir que le financement qui est octroyé ne l’est pas en vain. Nous avons en effet été alertés par des professionnels libéraux sur des situations relativement fréquentes où les familles, après avoir obtenu un rendez-vous de bilan et un devis en vue du dossier MDPH, ne reviennent pas pour effectuer la rééducation. La fréquence de révision des dossiers dépend des problématiques et peut varier d’une situation à l’autre au sein de notre MDPH mais aussi d’une MDPH à l’autre. Si c’est uniquement du matériel pédagogique adapté qui a été octroyé, il est alors probable que l’échéance sera plus longue. De même, à l’adolescence, lorsque l’enfant n’a plus besoin d’une prise en charge spécifique par un ergothérapeute mais de matériels adaptés, l’antériorité du dossier est suffisante, un nouveau bilan n’est pas exigé.
Sachez que notre MDPH édite assez peu de projets personnalisés de scolarisation (PPS) pour des raisons essentiellement matérielles : nous ne disposons pas des moyens suffisants nous permettant de les effectuer de manière systématique. Toutefois, pour la mise en place d’aménagements pédagogiques, nous pouvons nous appuyer sur une ressource dédiée au sein de l’Éducation nationale. Il s’agit de professionnels dénommés enseignants-ressources (2 ou 3 sur le département) venant en appui à leurs collègues de terrain pour les adaptations pédagogiques nécessaires à l’accès aux apprentissages des jeunes atteints de troubles DYS en général (pas de professionnels spécifiquement dédiés aux dyspraxiques). Les ergothérapeutes qui suivent les enfants formulent en général un certain nombre de recommandations sur les aménagements pédagogiques et la façon d’aborder un certain nombre de tâches. Les enseignants ont pour consigne de suivre ces recommandations et j’ai le sentiment que dans notre département ils sont d’ordinaire disposés à entendre ces recommandations et à intégrer ces préconisations. Dans le cadre du suivi de la scolarisation, ils échangent avec ces professionnels même s’ils ne peuvent pas accéder aux bilans. L’approche ne se fera ainsi pas par le biais des troubles dyspraxiques, mais par le biais des besoins en adaptation pédagogique. Les enseignants, faisant le constat de la difficulté de l’enfant à s’adapter à son environnement scolaire, utilisent une entrée pédagogique différente pour lui permettre d’accéder aux apprentissages. Il est finalement assez peu fréquent que la MDPH soit elle-même sollicitée pour « appuyer » une demande d’adaptation même si des préconisations peuvent parfois être inscrites sur la notification. Notre MDPH fait cependant preuve d’une très grande vigilance à ce sujet : elle n’hésite pas à pointer les pratiques s’il s’avère que les recommandations de professionnels n’ont pas été suivies d’effets.
La question de l’orientation en ULIS TFM (unité locale pour l’inclusion scolaire accueillant des élèves présentant des troubles des fonctions motrices) qui demeurent peu nombreuses sur le territoire de Seine-et-Marne, ou en SESSAD (service d’éducation spécialisée et de soins à domicile) pour une déficience motrice, peut susciter des débats parfois au sein de notre MDPH concernant la pertinence d’y orienter des jeunes atteints de troubles dyspraxiques. En Seine-et-Marne, il n’existe par ailleurs pas d’ULIS TSLA (ULIS accueillant des élèves présentant des troubles spécifiques du langage et des apprentissages). Il s’agit d’une spécificité que la Seine-et-Marne partage avec les départements du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis sur décision académique. Dans certaines académies, de telles ULIS à profil spécifique existent même si elles restent limitées. C’est notamment le cas en Rhône-Alpes-Auvergne. Les élèves avec troubles des fonctions cognitives y compris les troubles spécifiques des apprentissages ou les troubles du spectre autistiques, quand ils sont orientés en ULIS le sont donc en ULIS TFC (troubles des fonctions cognitives). Par ailleurs, compte tenu du manque de place en établissements médico-sociaux, les orientations en institut médico-éducatif (IME) non suivies d’effet font l’objet d’orientations « par défaut », la scolarisation étant un droit. Les associations se plaignent amèrement que les enfants contraints d’attendre une place en IME et le cas échéant orientés par défaut en ULIS, occupent ainsi les places disponibles dans ces dispositifs au détriment selon eux des enfants atteints de troubles des apprentissages, dont les parents souhaitent éviter le mélange avec des enfants trop lourdement atteints.
Concernant la mise à disposition de matériels pédagogiques adaptés, on estime à un an le délai d’attente actuellement en raison du manque de moyens de l’Éducation nationale. Une fois que le matériel est attribué, il l’est en général définitivement.
Évoquons finalement d’autres difficultés auxquelles nous nous trouvons confrontés. La première de ces difficultés est la présence de graphothérapeutes, lesquels « diagnostiquent » des troubles graphomoteurs et « autoprescrivent » une rééducation en incitant les parents à soumettre une demande de financement dans le champ du handicap via l’AEEH (allocation d’éducation de l’enfant handicapé). Dois-je vous dire que nous sommes extrêmement vigilants sur le profil de ces graphothérapeutes et que nous n’hésitons pas à écarter toutes les demandes de financement n’émanant pas de professionnels en possession de diplômes reconnus.
La deuxième difficulté concerne des situations avec un diagnostic initial de dyspraxie évoluant à l’adolescence vers un diagnostic de trouble envahissant du développement, comme par exemple un syndrome d’Asperger. Cette deuxième difficulté est autrement plus complexe que la première car elle pose la question d’un diagnostic initial mal étayé, et surtout de réponses mal adaptées tout au long de la scolarité.
Enfin, j’ai le sentiment que les enfants souffrant de troubles dyspraxiques sont de plus en plus nombreux et que des tableaux de multidys incluant des troubles praxiques remplacent progressivement les tableaux classiques de paralysies cérébrales. Le nombre d’enfants qui souffrent de paralysies cérébrales « classiques » avec diplégies par exemple me semble diminuer, mais je ne dispose pas d’éléments épidémiologiques permettant d’étayer cette impression. Je note toutefois que dans ces tableaux de multidys, on retrouve souvent une histoire périnatale compliquée. Ces situations de multidys posent des problèmes complexes notamment pour l’élaboration de réponses appropriées, d’où l’importance de disposer de diagnostics fonctionnels complets afin de pouvoir véritablement individualiser l’évaluation de ces situations et éviter d’y apporter des réponses « plaquées ».

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