Essais nucléaires et santé
Conséquences en Polynésie française

2021


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Annexes

Annexe 1

Expertise collective Inserm : principes et méthode

L’Expertise collective Inserm1 a pour mission d’établir un bilan des connaissances scientifiques sur un sujet donné dans le domaine de la santé à partir de l’analyse critique de la littérature scientifique internationale. Elle est réalisée à la demande d’institutions (ministères, organismes d’assurance maladie, agences sanitaires, etc.) souhaitant disposer des données récentes issues de la recherche utiles à leurs processus décisionnels en matière de politique publique.
L’expertise collective est une mission de l’Inserm depuis 1994. Près de quatre-vingts expertises collectives ont été réalisées dans de nombreux domaines de la santé. L’Inserm est garant des conditions dans lesquelles l’expertise est réalisée (pertinence des sources documentaires, qualification et indépendance des experts, transparence du processus) en accord avec sa Charte de l’expertise qui en définit la déontologie2 .
Le Pôle Expertise collective Inserm rattaché à l’Institut thématique Santé publique de l’Inserm assure la coordination scientifique et technique des expertises selon une procédure établie comprenant six étapes principales.

Instruction de la demande du commanditaire

La phase d’instruction permet de préciser la demande avec le commanditaire, de vérifier qu’il existe une littérature scientifique accessible sur la question posée et d’établir un cahier des charges qui définit le cadrage de l’expertise (périmètre et principales thématiques du sujet), sa durée et son budget à travers une convention signée entre le commanditaire et l’Inserm. La demande du commanditaire est traduite en questions scientifiques qui seront discutées et traitées par les experts.

Constitution d’un fonds documentaire

À partir de l’interrogation des bases de données bibliographiques internationales et du repérage de la littérature grise (rapports institutionnels, etc.), des articles et documents sont sélectionnés en fonction de leur pertinence pour répondre aux questions scientifiques du cahier des charges, puis sont remis aux experts. Ce fonds documentaire est actualisé durant l’expertise et complété par les experts selon leur champ de compétences.

Constitution du groupe multidisciplinaire d’experts

Pour chaque expertise, un groupe d’experts de 10 à 15 personnes est constitué. Sa composition tient compte d’une part des domaines scientifiques requis pour analyser la bibliographie et répondre aux questions posées, et d’autre part de la complémentarité des approches et des disciplines.
Les experts sont choisis dans l’ensemble de la communauté scientifique française et parfois internationale. Ce choix se fonde sur leurs compétences scientifiques attestées par leurs publications dans des revues à comité de lecture et la reconnaissance par leurs pairs. Les experts doivent être indépendants du partenaire commanditaire de l’expertise et de groupes de pression reconnus. Chaque expert doit compléter et signer avant le début de l’expertise une déclaration de lien d’intérêt conservée à l’Inserm.
La composition du groupe d’experts est validée par la Direction de l’Institut thématique Santé publique de l’Inserm.
Le travail des experts dure de 12 à 18 mois selon le volume de littérature à analyser et la complexité du sujet.

Analyse critique de la littérature par les experts

Au cours des réunions d’expertise, chaque expert est amené à présenter son analyse critique de la littérature qui est mise en débat dans le groupe. Cette analyse donne lieu à la rédaction des différents chapitres du rapport d’expertise dont l’articulation et la cohérence d’ensemble font l’objet d’une réflexion collective.
Des personnes extérieures au groupe d’experts peuvent être auditionnées pour apporter une approche ou un point de vue complémentaire. Selon la thématique, des rencontres avec les associations de la société civile peuvent être également organisées par le Pôle Expertise collective afin de prendre connaissance des questions qui les préoccupent et des sources de données dont elles disposent.

Synthèse et recommandations

Une synthèse reprend les points essentiels de l’analyse de la littérature et en dégage les principaux constats et lignes de force.
La plupart des expertises collectives s’accompagnent de recommandations d’action ou de recherche destinées aux décideurs. Les recommandations, formulées par le groupe d’experts, s’appuient sur un argumentaire scientifique issu de l’analyse. L’évaluation de leur faisabilité et de leur acceptabilité sociale n’est généralement pas réalisée dans le cadre de la procédure d’expertise collective. Cette évaluation peut faire l’objet d’un autre type d’expertise.

Publication de l’expertise collective

Après remise au commanditaire, le rapport d’expertise constitué de l’analyse, de la synthèse et des recommandations est publié par l’Inserm.
En accord avec le commanditaire, plusieurs actions de communication peuvent être organisées : communiqué de presse, conférence de presse, colloque ouvert à différents acteurs concernés par le thème de l’expertise (associations de patients, professionnels, chercheurs, institutions, etc.).
Les rapports d’expertise sont disponibles en librairie et sont accessibles sur le site Internet de l’Inserm3 . Par ailleurs, la collection complète est disponible sur iPubli4 , le site d’accès libre aux collections documentaires de l’Inserm.


Annexe 2

Erreurs d’interprétation les plus fréquentes dans le cadre de la problématique de l’exposition aux rayonnements ionisants

D’un point de vue strictement scientifique, les questions posées par les retombées des essais nucléaires et leurs conséquences sanitaires combinent trois difficultés d’analyse majeures, inhérentes à la problématique de l’exposition aux radiations ionisantes et qui sont fréquemment la source de mésinterprétations :
• la difficulté liée à toute problématique concernant des événements radio-induits en général ;
• la difficulté liée à toute problématique concernant des événements radio-induits chez l’Homme ;
• la difficulté liée à toute problématique concernant des faibles doses de radiation.

La difficulté liée à toute problématique concernant
des événements radio-induits en général

Les conséquences biologiques et cliniques d’une exposition aux radiations sont des phénomènes qui obéissent à une relation dose-effet spécifique (voir le chapitre 4 « Estimation de l’impact de l’exposition aux radiations ionisantes sur la santé des populations : approche épidémiologique générale »). Ainsi, un phénomène qui serait observé avec la même occurrence ou la même intensité quelle que soit la dose de radiation ne serait pas forcément imputable aux radiations. Une telle importance de la dose pour la survenue et la nature des phénomènes radio-induits rend la nécessité absolue d’une dosimétrie fiable. Ainsi, les exemples de cas rapportés et attribués aux radiations sans qu’aucune donnée dosimétrique ne soit associée doivent être considérés avec une grande prudence.
Un autre aspect spécifique aux phénomènes radio-induits est la nature stochastique des événements physico-chimiques précoces qui suivent une exposition aux radiations. En effet, les microdépôts d’énergie et le stress oxydatif qui leur est associé se distribuent spatialement de façon stochastique pour les irradiations externes et de façon isotropique pour les irradiations internes (voir le chapitre 11 « Mécanismes moléculaires et cellulaires impliqués dans la réponse aux radiations ionisantes »). Ainsi, par exemple, dans les premières secondes post-irradiation, les dommages radio-induits de l’ADN se répartissent indifféremment sur tout le génome et donc les radiations ne peuvent toucher systématiquement les mêmes séquences. En conséquence, et nonobstant les spécificités des organes ou des tissus irradiés, la probabilité pour que les radiations soient responsables d’une même maladie monogénique est infime. À ce titre, l’incidence d’une maladie génétique après irradiation doit être systématiquement comparée à son incidence spontanée, en dehors de toute irradiation. En effet, il existe des cas rapportés où une maladie telle que la trisomie 21 (ou syndrome de Down) a été imputée à l’exposition aux radiations alors que les taux d’incidence pour les groupes irradiés restaient très inférieurs aux taux observés en l’absence d’irradiation.

La difficulté liée à toute problématique concernant
des événements radio-induits chez l’Homme

Au cours de l’évolution, les espèces ont évolué vers des systèmes biologiques stables mais qui sont différemment armés pour faire face à des agressions physico-chimiques exogènes et relativement rares. Ainsi, les différents types de réponse aux radiations (radiosensibilité, radiosusceptibilité et radiodégénérescence) présentent une dépendance vis-à-vis de la dose et des espèces concernées. C’est pourquoi toute transposition à l’Homme des phénomènes observés chez les animaux, notamment en matière de malformations ou de cancers, est source de nombreuses erreurs. Par exemple, comme détaillé dans le chapitre 8 « Effets des radiations ionisantes sur la reproduction, le développement, et effets transgénérationnels », toutes les malformations issues de la tératogenèse observées chez certaines espèces animales, en particulier la souris, et attribuées aux radiations ne sont pas observables chez l’Homme du fait de sa grande radiosensibilité. Les arguments basés sur une tentative d’analogie simple avec les conséquences d’une exposition aux radiations pour de nombreux mammifères, voire des micro-organismes, sont très courants et cette dérive n’est fondée sur aucune documentation scientifique solide. Il faut rappeler que les relations dose-effet observées sur de très nombreux modèles animaux sont très variées et restent spécifiques à l’espèce et donc, nonobstant les spécificités individuelles, le risque radio-induit n’obéit pas chez l’Homme aux mêmes lois liées à la dose que dans les autres espèces de mammifères.
Dans le même cadre, la notion de génération n’a pas le même sens chez l’Homme que chez les autres espèces : les aspects transgénérationnels éventuellement observés sur des animaux de laboratoire irradiés sur des dizaines de générations, le plus souvent provoquées expérimentalement, ne constituent pas la preuve de l’existence de ces mêmes effets chez l’Homme où les générations se succèdent tous les 30 ans environ. Ce point est d’autant plus important que de nombreuses interrogations concernent aujourd’hui la transmissibilité des effets radio-induits aux générations suivantes chez l’Homme et qu’un parallèle est fait trop fréquemment avec les données obtenues sur les animaux.

La difficulté liée à toute problématique concernant
des faibles doses de radiation

La définition des faibles doses n’est pas très consensuelle1 car elle dépend des corps de métier (radiothérapeutes, radiologues, etc.). Mais généralement, il est considéré que des effets cliniques « notables » ou « significatifs » ou « visibles » ne sont plus observés pour des doses inférieures à 0,5 Gy. Par extension et en incluant les seuils de cancer radio-induit issus des études menées suite à l’accident nucléaire de Fukushima, cette valeur peut être fixée à 0,1 Gy (équivalent au seuil de 100 mSv pour les leucémies radio-induites) et définit schématiquement le domaine des « faibles doses ». Le tableau I rappelle quelques ordres de grandeur des expositions aux radiations ionisantes.
Les faibles doses de radiation (inférieures à 0,1 Gy) génèrent des événements spécifiques et rares dont les conséquences cliniques sont généralement le résultat de phénomènes stochastiques. Ainsi, la nature des effets des faibles doses fait qu’aucune extrapolation des phénomènes observés aux fortes doses n’est possible : l’un des exemples très représentatifs de cette assertion est celui de la radiosensibilité et de tout phénomène associé à la mort cellulaire qui ne sont observés qu’au-delà de 0,5 Gy. À l’inverse, les cancers radio-induits peuvent être observés pour des faibles doses comme pour des fortes doses mais en obéissant toujours à la relation dose-effet. Ainsi, plus la dose est faible, plus la probabilité d’occurrence des effets sera faible, ce qui pose à la fois le problème de la détectabilité des biomarqueurs utilisés et celui de la rigueur de l’analyse biostatistique et épidémiologique : aux faibles doses, la détectabilité réduite des biomarqueurs s’ajoute à la rareté des phénomènes radio-induits responsables d’une cancérisation. Concernant le premier point, comme décrit dans le chapitre 12 « Biomarqueurs de la réponse individuelle aux radiations et biomarqueurs associés aux cancers radio-induits », la connaissance des phénomènes intrinsèques et la sensibilité des biomarqueurs ne permettent pas aujourd’hui une quantification fiable des phénomènes radio-induits et donc de l’évaluation du risque. Concernant l’approche biostatistique, comme dans toute situation concernant des événements rares, la grandeur de la cohorte ou l’importance de l’échantillonnage doivent mathématiquement compenser la faible incidence des événements à identifier : une des limites majeures de la problématique concernant les faibles doses reste le nombre de cas à étudier, à identifier et à valider de façon rigoureuse.

Tableau I Ordres de grandeur de dose reçue (en Gray) selon le type d’exposition

Dose reçue (ordre de grandeur)
Type d’exposition
20 Gy
Dose létale immédiate pour l’Homme
(comprise entre 12 et 20 Gy)
2 Gy
Dose reçue pour une session de radiothérapie standard
0,2 Gy
Dose reçue pour une radiologie interventionnelle ou la pose de stent en cardiologie
20 mGy
Dose reçue pour un scanner thoracique
2 mGy
Dose glandulaire moyenne au sein pour un cliché de mammographie
0,2 mGy
Dose journalière reçue par un habitant de Ramsdar (Iran), l’endroit du monde ayant la plus forte radioactivité naturelle
20 μGy
Dose reçue pour un cliché de radiographie osseuse (par ex. poignet)
2 μGy
Dose journalière reçue par un habitant du Japon, l’endroit du monde ayant la plus faible radioactivité naturelle



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