2021


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Communications

Éléments de connaissance de l’IRSN concernant
les retombées des essais nucléaires atmosphériques français
sur la Polynésie

Philippe Renaud et Patrick Bouisset
Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN),
Pôle Santé et Environnement, Direction de l’environnement

Surveillance radiologique de l’environnement en Polynésie

La surveillance radiologique de l’environnement polynésien, hors les sites d’expérimentations de Moruroa et Fangataufa, a été mise en place à l’époque des essais aériens d’armes nucléaires effectués par les grandes puissances militaires (États-Unis, l’ex Union soviétique, Royaume-Uni, France, Chine). Elle a commencé dès 1962, avant même l’ouverture du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) en 1964 et s’est plus particulièrement intéressée aux retombées des quarante et un essais atmosphériques réalisés par la France dans cette région du globe entre 1966 et 1974 et à leurs conséquences sur les populations. Depuis 1966, un rapport annuel est transmis à l’UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation) via le ministère des Affaires étrangères. Cette surveillance s’inscrivait dans le cadre plus large du Réseau mondial français de surveillance radiologique (RMFSR).
Le laboratoire d’étude et de suivi de l’environnement (CEA/IPSN/LESE jusqu’en 2002 et IRSN/LESE depuis) qui réalise depuis l’origine cette surveillance (anciennement appelé Laboratoire de surveillance radiologique), est implanté sur l’île de Tahiti.
Aujourd’hui, la radioactivité d’origine artificielle dans l’environnement de Polynésie française est essentiellement due à la rémanence des retombées atmosphériques globales des essais d’armes nucléaires réalisés par les États-Unis, l’ex Union soviétique, le Royaume-Uni, la France et la Chine. Comme en métropole, elle se compose principalement de tritium, de carbone-14, de césium-137, de strontium-90, ainsi que d’actinides (isotopes du plutonium notamment), auxquels s’ajoute le plutonium-238 issu de la désintégration dans l’atmosphère d’un satellite américain en 1964. La part de ces radionucléides se retrouvant dans l’air sous forme d’aérosols est aujourd’hui très faible, souvent difficilement détectable. La plupart se retrouvent dans les sols, sous forme de dépôt ou incorporés au substrat terrestre, certains d’entre eux contribuent alors à une exposition externe. Ils sont ensuite incorporés dans les denrées issues de la culture ou de la pêche locale (coprah, poissons, eau de coco, lait et viande de bœuf...) et constituent ainsi une source d’exposition par ingestion.
La surveillance radiologique en Polynésie française (IRSN, 2014arenvoi vers et brenvoi vers, 2018renvoi vers) consiste en un suivi des activités atmosphériques (air et eau de pluie), des eaux de rivières et de mer, et surtout de denrées alimentaires provenant de 7 îles (Tahiti, Maupiti, Hao, Raugiroa, Hiva Oa, Mangareva et Tubuai) représentatives des 5 archipels de la Polynésie française auxquelles s’ajoute une île supplémentaire différente chaque année depuis 2015. La surveillance porte également sur des denrées importées.
La diminution régulière des niveaux de radioactivité d’origine artificielle issue des retombées globales des essais nucléaires dans l’environnement et la nécessité de mieux répondre à des demandes sociétales, ont conduit l’IRSN à réorienter sa stratégie de surveillance. Le nombre d’échantillons biologiques analysés a ainsi été réduit par rapport aux années précédentes au profit :
• d’analyses radiologiques plus fines des niveaux de radioactivité encore observables aujourd’hui ;
• d’analyses plus diversifiées (spectrométrie γ, tritium, carbone-14, isotopes du plutonium, strontium-90 et radionucléides naturels) de plateaux-repas et de boissons (eau, bière, sodas, eau de coco, jus d’ananas) destinées à mieux évaluer l’exposition des populations par ingestion de denrées ;
• de campagnes d’analyses de sols et de mesures de débit de dose destinées à mieux connaître la variabilité de cette source d’exposition à l’échelle de l’ensemble de la Polynésie.
Enfin, le LESE effectue des expertises ponctuelles pour le compte des autorités du Pays (direction de l’Environnement, direction générale des Affaires Économiques...) ou pour le compte d’organismes de l’État ou d’entreprises privées comme par exemple pour le contrôle des anciens sites du CEP en cours de déconstruction, ou encore pour répondre aux interrogations de la population. Depuis 2011, l’une des interrogations principales a porté sur les conséquences en Polynésie des retombées de l’accident de Fukushima.
De l’ordre de 200 à 250 échantillons sont ainsi prélevés chaque année par des correspondants îliens et le personnel du LESE. La plupart des échantillons sont analysés sur place par le laboratoire, d’autres sont envoyés vers des laboratoires de l’IRSN en métropole.

Niveaux de radioactivité actuels de l’environnement polynésien et exposition des populations

1

Air (aérosols) et eau

Le césium-137 est le seul radionucléide artificiel présent en quantité encore mesurable dans les aérosols en Polynésie française par spectrométrie γ au moyen des meilleures techniques disponibles. Dans l’air de Tahiti, l’activité moyenne du césium-137 rémanent des retombées des essais nucléaires est extrêmement faible2 et stable depuis plusieurs années, égale à 0,06 μBq/m3. Cette moyenne est inférieure à la moyenne métropolitaine de 0,1 μBq/m3. Le césium-137 n’est que très rarement détecté ces dernières années dans les eaux douces (eau de pluie, de source, de rivière, de ville) ; son activité est de l’ordre de 0,1 mBq/L (0,23 mBq/L en 2016 dans une eau de rivière). La diminution de sa concentration dans les eaux marines se poursuit ; entre 2,5 et 3 mBq/L dans les années 1980, elle est aujourd’hui de l’ordre de 1 mBq/L. Aucune inflexion de cette diminution n’a été observée à la suite de l’accident de Fukushima.

Denrées alimentaires

Pour l’ensemble des denrées alimentaires, les concentrations en césium-137 sont toujours extrêmement faibles, souvent inférieures à 0,1 Bq/kg frais. Les valeurs maximales obtenues en 2016 n’excèdent pas 0,24 Bq/kg frais pour les poissons3 (haute mer et lagon) et sont inférieures à 0,03 Bq/kg frais (seuil de décision4 ) pour les bénitiers. Les activités les plus élevées comprises, entre 1,1 et 3,1 Bq/kg frais, ont été mesurées dans 6 échantillons de chair de coco séchée (coprah) de Rangiroa (Tuamotu), de viande de porc de Tubuai (Australes) et de Mangareva (Gambier), de patate douce de Hiva Oa (Marquises), de chevrettes de Tahiti (Société) et de chou chinois de Tubuai.
Les cas du lait de vache et de la viande de bœuf sont détaillés ci-après à titre d’illustration.
La figure 1Renvoi vers compare l’évolution de l’activité moyenne en césium-137 du lait produit à Taravao (Tahiti) et en Nouvelle-Zélande depuis 1960. La teneur annuelle moyenne en césium-137 du lait produit en Nouvelle-Zélande est passée de 2 Bq/L en 1963 à 3,5 Bq/L en 1965, du fait des retombées des essais nucléaires américains aux îles Christmas et des essais nucléaires soviétiques de Novoya Zemlya en 1962.
La teneur annuelle moyenne en césium-137 du lait produit à Tahiti intègre également l’influence de ces essais. Alors que la teneur en césium-137 du lait produit en Nouvelle-Zélande a diminué au cours des années suivantes, celle du lait de Tahiti a augmenté jusqu’à atteindre 5,5 Bq/L en 1971 du fait des retombées des essais français avant de diminuer à partir de 1972. Les activités des deux échantillons prélevés en 2016 étaient de 0,1 et 0,19 Bq/L respectivement, similaires à celles observées en Nouvelle-Zélande en 2012.
Les teneurs les plus élevées en césium-137 dans les denrées consommées en Polynésie française sont fréquemment observées pour la viande de bœuf. La figure 2Renvoi vers montre que les activités mesurées dans la viande de bœuf de Tahiti et d’Hiva Oa sont plus élevées que celles de la viande importée (de Nouvelle-Zélande notamment) et surtout fluctuent de manière importante d’une année sur l’autre. Cependant, il n’y a pas d’évolution marquée à la baisse ou à la hausse dans le temps. Cette variabilité est probablement liée aux aliments consommés par le bétail (pâtures constituées de différentes espèces d’herbes et compléments alimentaires variés au cours du temps). On observe aussi cette variabilité importante de la concentration en césium-137 dans la viande importée.
Figure 1 Évolution de l’activité volumique en césium-137 du lait de vache produit sur le plateau de Taravao à Tahiti depuis 1967 (Bq/L) (IRSN, 2014brenvoi vers) et comparaison avec celle du lait produit en Nouvelle-Zélande de 1963 à 1975 (UNSCEAR, 1976renvoi vers)
Des analyses d’isotopes du plutonium sont effectuées pour certaines denrées présentant potentiellement les activités massiques de ces radionucléides les plus élevées : chair de coco (coprah), bénitiers, poissons de lagon... Les activités des isotopes 238 et 240 du plutonium mesurées depuis 2015 dans le coprah sont le plus souvent inférieures à 0,025 Bq/kg frais ; deux échantillons seulement ont dépassé 0,1 Bq/kg frais (0,13 et 0,27 Bq/kg frais respectivement). Les poissons pêchés présentent des activités en plutonium (isotopes 239 et 240) comprises dans une gamme allant de 0,00001 à 0,01 Bq/kg frais. Dans les bénitiers, les activités mesurées de 2007 à 2013 vont de moins de 0,0005 Bq/kg frais (Tahiti) à 0,004 Bq/kg frais pour ces radionucléides.
Figure 2 Activité massique en césium-137 de la viande de bœuf produite à Tahiti, Hiva Oa et importée de 1998 à 2010 (Bq/kg frais)
Enfin, depuis 2016, un spectre plus complet de radionucléides est mesuré dans la ration alimentaire à partir d’échantillons prélevés : d’une part dans des plateaux-repas provenant d’un restaurant de collectivité (le midi) et d’un restaurant de ville (le soir), collectés durant 5 jours, et d’autre part dans différentes boissons. Les résultats obtenus permettent d’estimer directement les doses liées à l’incorporation par ingestion des principaux radionucléides artificiels présents dans les denrées composant ces repas. Ces doses sont extrêmement faibles : 0,2 mSv/an pour le césium-137, 0,1 mSv/an pour le strontium-90 et moins de 0,01 mSv/an pour les isotopes du plutonium.

Sols

L’autre composante de l’exposition radiologique des populations polynésiennes est l’exposition au rayonnement émis par les radionucléides présents dans les sols : les radionucléides naturels et le césium-137 (pratiquement pas d’exposition externe ayant pour origine les isotopes du plutonium émetteurs alpha et le strontium-yttrium-90 émetteur bêta principalement). Une étude approfondie de la radioactivité des sols polynésiens a débuté en 2014. Des sols ont été prélevés par carottages, sur une trentaine de sites répartis sur plusieurs îles et atolls, pour des analyses de radionucléides naturels (potassium-40 notamment) et artificiels (césium-137 et plutonium).
De manière générale, les activités en césium-137 sont plus élevées dans les sols des îles hautes (1 à 2 Bq/kg sec à Moorea, Tahiti, Gambier, Raivavae) que dans ceux des atolls comme Hao (0,6 Bq/kg sec) essentiellement composés de débris coralliens ayant une plus faible capacité à retenir le césium déposé à l’époque des essais nucléaires. Ces niveaux sont beaucoup plus faibles que ceux rencontrés en métropole (quelques dizaines de Bq/kg sec et jusqu’à quelques centaines) qui émanent principalement des retombées de l’accident de Tchernobyl. Les activités en plutonium des sols polynésiens sont environ 10 fois inférieures à celles du césium-137.

Mesures de débits de dose

Des mesures du débit de dose ont été réalisées depuis 2010 sur 16 îles et atolls de la Polynésie française. Compris entre 0,04 et 0,1 mSv/h, ces débits de dose résultent d’une part du rayonnement cosmique (de l’ordre de 0,03 mSv/h au niveau de la mer) et d’autre part du rayonnement tellurique provenant des radionucléides naturels présents dans les sols. Les valeurs sont comme attendues, plus élevées sur les îles volcaniques dont les sols sont plus riches en radionucléides naturels (potassium-40, radiums...) que les sols coralliens des atolls.
À titre comparatif, ils correspondent aux valeurs les plus faibles mesurées en France métropolitaine. Par ailleurs, la contribution du césium-137 y est tout à fait négligeable, comme c’est le plus souvent le cas aussi en métropole.

Éléments de connaissance relatifs aux retombées des essais nucléaires en Polynésie

Éléments généraux sur les retombées des essais nucléaires

Parmi les très nombreux radionucléides produits lors d’une explosion nucléaire, une vingtaine contribuent à l’essentiel des conséquences radiologiques sur l’environnement et les populations. On distingue :
• les radionucléides de période courte (moins de 1 an) comme l’iode-131, le barium-140, le zirconium-95, le manganèse-54 ou encore le zinc-65, qui ont disparu en quelques mois à quelques années ;
• les radionucléides de période moyenne (1 à 10 ans) notamment le cobalt-60, qui était encore mesuré dans l’environnement dans les années 1990 et 2000 ;
• les radionucléides de période longue (supérieure à 10 ans) qui sont encore présents en quantités mesurables dans les différentes composantes de l’environnement : le tritium, le carbone-14, le césium-137, le strontium-90, les isotopes 238, 239, 240 et 241 du plutonium et l’américium-241 principalement, ce dernier radionucléide provenant de la décroissance du plutonium-241 dont il ne reste en 2018 qu’environ 7,5 % du dépôt initial.
La distribution spatiale des retombées d’une explosion nucléaire se compose :
• des retombées locales dans un rayon de l’ordre de la centaine de kilomètres qui comprennent notamment les particules les plus grosses et se produisent en quelques jours ;
• des retombées troposphériques qui durent quelques mois et intéressent des milliers de kilomètres tout au long de la trajectoire du panache s’étendant autour du globe à la latitude d’émission ;
• des retombées stratosphériques qui concernent tout l’hémisphère et se prolongent durant plusieurs années.
C’est l’altitude et la puissance de l’explosion qui déterminent la répartition des retombées : les explosions les plus puissantes et notamment celles effectuées en altitude, donnent lieu à des retombées principalement stratosphériques ; les explosions de faible puissance au niveau du sol favorisent les retombées locales et troposphériques.
La figure 3Renvoi vers illustre la propagation d’ouest en est d’un panache troposphérique de particules ou de gaz radioactifs par l’exemple de l’essai français Arcturus du 2 juillet 1967. Les parties les plus basses des panaches étaient tout d’abord poussées vers l’ouest par les alizés avant d’être reprises par la circulation générale vers l’est. Cette circulation générale faisait que les terres de la côte occidentale sud-américaine, situées à plus de 6 000 km de Moruroa, étaient les premières touchées. Le temps de transit des masses d’air, de l’ordre de 20 à 30 jours pour un tour du globe complet, permettait une diminution des activités des radionucléides de période courte (notamment les iodes). Toutefois, la propagation vers l’est des panaches dans l’hémisphère sud pouvait être perturbée par des anticyclones susceptibles de capter des masses d’air contaminées et de les ramener vers l’ouest dans les jours suivant l’essai.
Dans le cas de l’essai Arcturus, ce « retour anticyclonique » a ramené une partie du panache sur la Polynésie dès le lendemain de l’explosion, limitant considérablement la dilution des radionucléides et la diminution de leur activité par décroissance radioactive.
Figure 3 Progression du panache troposphérique consécutif à l’essai français Arcturus du 2 juillet 1967 (UNSCEAR, 1969renvoi vers)
La fraction stratosphérique des panaches était redistribuée par les grands courants de circulation des masses d’air que constituent les cellules convectives : les cellules polaires, les cellules de Ferrel aux latitudes moyennes et les cellules de Hadley au-dessus des tropiques. Les cellules de Hadley tendent à ramener les masses d’air des faibles latitudes dans les basses couches des latitudes comprises entre 40o et 50o. De même, les cellules de Ferrel tendent à alimenter aussi les latitudes comprises en 40o et 50o par des masses d’air provenant de latitudes plus élevées. Il en résulte que la bande latitudinale où se trouve la France métropolitaine, déjà plus particulièrement intéressée par les retombées troposphériques, l’a été également par les retombés stratosphériques des essais nucléaires. La figure 4Renvoi vers illustre ce fait par des dépôts radioactifs effectivement plus importants dans cette bande latitudinale.
Cette redistribution des panaches stratosphériques s’est étalée sur plusieurs années. L’UNSCEAR a estimé à deux ans le temps de séjour moyen des radionucléides emportés vers la stratosphère avant de retomber au niveau du sol. Durant ce laps de temps, les éléments de période courte ont disparu. Les retombées stratosphériques ne comportaient donc que des éléments de période longue et des éléments de période moyenne dont l’activité a décru.
Enfin, il faut signaler que les échanges au niveau stratosphérique sont faibles (environ 25 %) entre les deux hémisphères. De ce fait, l’hémisphère sud où le nombre et la puissance des essais ont été les moins importants, a été beaucoup moins marqué que l’hémisphère nord par les retombées des essais nucléaires. Mais ces échanges ont été suffisants pour que les radionucléides de longue période rémanents actuellement sur l’ensemble de l’hémisphère sud proviennent pour plus de 80 % des essais nucléaires effectués dans l’hémisphère nord et pour moins de 20 % de ceux effectués dans l’hémisphère sud.
Figure 4 Répartition des retombées stratosphériques en fonction de la latitude (établies à partir de mesures de strontium-90)
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la bande latitudinale à laquelle appartient la France métropolitaine a reçu à elle seule près de 18 % des retombées stratosphériques de tous les essais nucléaires effectués par les 5 nations (États-Unis, l’ex Union soviétique, Royaume-Uni, France et Chine), et que la Polynésie française (8o et 27o de latitude Sud) a été globalement 3 à 6 fois moins marquée que la métropole par ces retombées stratosphériques. Toutefois, après certains essais français, des retours anticycloniques ont pu conduire à des retombées troposphériques locales importantes sur certaines îles ou atolls polynésiens. Ces situations sont illustrées ci-après.

Retombées des essais nucléaires sur la Polynésie française

Éléments relatifs à la période des essais nucléaires atmosphériques français (1966 à 1974)

Pour cette période, l’IRSN ne dispose que des rapports communiqués par la France (CEA) à l’UNSCEAR (rapport juin-décembre 1966 ; rapport 1967-1968 renvoi vers; rapports annuels de 1970 à 1975). Les données contenues dans ces rapports ne permettent que de se faire une idée très globale de ce qu’ont été les retombées des essais nucléaires français sur la Polynésie française et sur le Pacifique-sud de manière plus générale. Hormis les activités de césium-137 et de strontium-90 mesurées dans le lait produit sur Tahiti (figure 2Renvoi vers) et de rares résultats de mesures de ces deux radionucléides dans quelques denrées, la plupart des résultats contenus dans ces rapports sont relatifs à des mesures de l’indice bêta global. Ces mesures ne permettent pas de connaître les activités volumiques et massiques (Bq/m3 et Bq/kg) des principaux radionucléides dans les différentes composantes de l’environnement susceptibles d’avoir exposé les populations. Elles ne permettent donc pas d’estimer les doses potentiellement reçues par les populations.
La figure 5Renvoi vers illustre le type d’information que l’on peut dégager des données contenues dans ces rapports.
Les retombées troposphériques dans l’hémisphère sud se sont traduites par une succession de pics de radioactivité dans l’air d’une durée inférieure à 1 mois et consécutifs à chaque essai nucléaire (figure 5Renvoi vers). Leur importance en un lieu donné dépendait de sa position géographique et de celle du site d’essai. Ainsi, les retombées des essais américains effectués sur les îles Christmas en 1962 semblent avoir affecté de la même manière Tahiti et Auckland (Nouvelle-Zélande).
Situés au plein est de Moruroa et Fangataufa, les pays de la côte occidentale de l’Amérique du sud ont subi les pics de radioactivité consécutifs aux essais français. Ainsi, les activités mesurées dans l’air à Santiago ou La Paz étaient du même ordre de grandeur, voire supérieures à celles mesurées sur Tahiti, Samoa ou les îles Fidji.
Les activités β-globales dans l’air peuvent être mises en perspective de celles mesurées en métropole, à Verdun par exemple, de 1961 à 1963 au plus fort des retombées des essais nucléaires américano-soviétiques dans l’hémisphère nord. Au cours des pics de radioactivité consécutifs aux essais français, les activités mesurées dans le Pacifique sud pouvaient être ponctuellement jusqu’à 10 fois supérieures à celles observées en métropole à cette époque. Toutefois, la fréquence des essais américano-soviétiques au début des années 1960 a conduit à entretenir de manière quasi-permanente la contamination de l’air, ce qui n’était pas le cas des retombées des essais français en Polynésie.
Par ailleurs, l’activité β-globale de 52 Bq/m3 mesurée sur le filtre d’aérosols atmosphériques du 11 au 20 juillet 1974 prélevé à Tahiti à la suite de l’essai Centaure, de l’ordre de 100 à 1 000 fois supérieure à celles habituellement observées à la suite des autres essais, montre que lors des retours anticycloniques, les retombées sur certaines îles pouvaient être beaucoup plus importantes tout en restant ponctuelles. La figure 5Renvoi vers permet également de comparer cette valeur de l’indice bêta global dans l’air de Tahiti à celle mesurées à Verdun le 1er mai 1986 à la suite de l’accident de Tchernobyl.
Figure 5 Moyenne mensuelle des activités β-globales dans l’air (Bq/m3) mesurées sur différentes stations du Pacifique-Sud de 1958 à 1975, avec zoom sur les années 1970-1971
Comme en métropole après cet accident, les dépôts radioactifs sur Tahiti consécutifs à l’essai Centaure ont été interceptés par les végétaux dont les herbages, entraînant une augmentation brutale de l’activité du lait de vache, notamment en iode-131.
L’activité volumique de ce radionucléide a atteint le 21 juillet 1974, 260 Bq/L dans le lait du marché de Tahiti et près de 1 200 Bq/L dans celui produit sur la commune de Hitiaa où les retombées ont été les plus importantes de l’île (figure 6Renvoi vers). L’activité volumique a ensuite diminué exponentiellement dans les semaines suivantes pour atteindre des valeurs de l’ordre de quelques dizaines de Bq/L mi-octobre (effet combiné de la décroissance radioactive, de la pousse de l’herbe qui dilue la contamination et de l’épuration métabolique des animaux).
Figure 6 Activité volumique en iode-131 du lait produit à Hitiaa (Tahiti) entre le 19 juillet et le 16 septembre 1974 (Bq/L) (Ministère de la Défense, 2006)
Toujours dans le cadre d’une mise en perspective des niveaux d’activités observés suite aux deux évènements, on note qu’en France métropolitaine au début de mai 1986, les activités en iode-131 du lait dans les jours suivant les dépôts consécutifs à l’accident de Tchernobyl, ont été du même ordre : plusieurs centaines de Bq/L ; celles de césium-137 étaient de l’ordre de 10 Bq/L deux mois après l’accident alors qu’elles étaient de l’ordre de 100 Bq/L au début mai.
C’est donc lors d’évènements de retours anticycloniques consécutifs à certains essais que les retombées radioactives ont pu être localement très supérieures à celles ayant affecté l’ensemble de l’hémisphère sud. Sur les 41 essais nucléaires atmosphériques réalisés par la France dans le Pacifique, 7 ont été répertoriés comme ayant donné lieu à ces retombées plus importantes. Le tableau Irenvoi vers fournit les noms et dates de ces 7 essais ainsi que les îles concernées, les dates et durées de ces retombées (Ministère de la Défense, 2006renvoi vers).

Tableau I Liste des essais considérés comme ayant conduit à une augmentation de l’activité volumique de l’air supérieure aux niveaux caractéristiques des retombées régionales ou mondiales pour les îles et atolls polynésiens (Ministère de la Défense, 2006renvoi vers)

Essai
Date de l’essai
Îles
Date des retombées
Durée des retombées
Aldébaran
2 juillet 1966
Gambier
2 juillet 1966
1 h 20
Rigel
24 septembre 1966
Tureia
24 septembre 1966
3 h 30
Rigel
24 septembre 1966
Gambier
24 septembre 1966
3 h 00
Arcturus
2 juillet 1967
Tureia
4 juillet 1967
3 h 00
Encelade
12 juin 1971
Tureia
12 juin 1971
2 h 30
Phoebé
8 août 1971
Gambier
8 août 1971
0 h 30
Centaure
17 juillet 1974
Tahiti
17 juillet 1974
12 h 30
Des estimations des doses efficaces et des doses à la thyroïde, potentiellement reçues par les populations locales lors de ces essais, figurent dans ce rapport du Ministère de la Défense (Ministère de la Défense, 2006renvoi vers).

Éléments relatifs à la période postérieure aux essais nucléaires atmosphériques français (depuis 1975)

En avril 2019, le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a demandé à l’IRSN de réaliser une évaluation des doses efficaces consécutives aux retombées des essais atmosphériques d’armes nucléaires, potentiellement reçues par les populations polynésiennes ayant résidé à Tureia, aux Gambier et sur quatre communes de Tahiti (Papeete, Paea, Hitiaa, Teahupoo), entre 1975 et 1981 (IRSN, 2019renvoi vers). Pour réaliser cette étude, le CIVEN a transmis à l’IRSN les rapports annuels établis de 1974 à 1981 par le Service mixte de contrôle biologique (SMCB) de la Direction des centres d’expérimentations nucléaires (DIRCEN) pour la surveillance des denrées alimentaires ; ces rapports initialement classés Confidentiels Défense, ont été déclassifiés par décret en 2013.
Les doses efficaces annuellement engagées5 dues à l’ingestion de denrées produites localement ont été estimées principalement sur la base des résultats d’analyse de ces rapports pour plusieurs radionucléides (césium-137, strontium-90 et cobalt-60 principalement) présents dans les principales denrées produites et consommées dans ces localités. Les teneurs en plutonium des denrées, non mesurées, ont été déduites de celles des sols ou des eaux marines au moyen de facteurs de transfert. La dose par incorporation de carbone-14 retenue est la moyenne mondiale estimée par l’UNSCEAR entre 1975 et 1981 ; la contribution du tritium a été considérée comme négligeable. Les calculs ont été effectués avec deux rations alimentaires différentes : l’une est la ration utilisée depuis 1982 par l’IPSN puis l’IRSN qui fait une large part à la consommation de denrées importées, l’autre est celle utilisée par le SMCB de 1975 à 1978 et reprise au milieu des années 2000 par le Ministère de la Défense pour ses évaluations dosimétriques relatives aux conséquences de certains essais, qui considère une plus grande consommation de denrées locales. Les rations alimentaires pour les enfants des quatre classes d’âges retenues par la règlementation6 , ont été déduites de celles des adultes par application de ratios entre les consommations des enfants et celles des adultes.
L’exposition externe a été calculée à partir des dépôts surfaciques de césium-137 mesurés en 2017-2018 pour les îles hautes (Tahiti et Gambier), à partir de la valeur mesurée en 1982 dans le cas de l’atoll de Tureia, et en considérant une répartition de toute l’activité sur 1 cm de profondeur uniquement, ce qui constitue une hypothèse très pénalisante pour cette exposition. La dose efficace par exposition externe la plus élevée est obtenue aux Gambier (13,1 mSv/an), et la plus faible à Tureia (2,7 mSv/an).
Les doses efficaces annuellement engagées liées à l’inhalation des radionucléides présents dans l’air ont été calculées à partir des activités des produits de fission émetteurs gamma mesurés sur les filtres d’aérosols prélevés à Mahina (Tahiti) entre 1975 et 1981. Les activités du strontium-90 et des isotopes du plutonium n’ayant pas été mesurées à l’époque, l’IRSN a analysé en 2019 huit de ces filtres qui avaient été conservés. Ces activités volumiques mesurées sont considérées comme représentatives des concentrations dans l’air à l’échelle de la Polynésie française pour des retombées d’origines quasi-exclusivement stratosphériques à partir de 1975. Inférieures à 0,2 mSv en 1975 et diminuant vers une valeur dix fois plus faible en 1981, les doses dues à l’inhalation ainsi estimées pour les adultes sont négligeables au regard de celles liées à l’ingestion de denrées et à l’exposition externe. Les doses efficaces dues à l’inhalation sont plus faibles pour les enfants que pour les adultes.
Les doses efficaces totales potentiellement reçues par un adulte ayant résidé dans une des six localités entre 1975 et 1981, et résultant des trois voies d’exposition (ingestion de denrées alimentaires, exposition externe, inhalation), sont comprises entre 18 et 68 mSv/an quelle que soit la ration alimentaire, avec des valeurs environ deux fois à trois fois plus élevées à Tureia sur l’ensemble de la période et deux fois plus élevées à Hitiaa durant les années 1975-1976 que pour les trois autres sites de Tahiti et les Gambier. Elles sont très majoritairement dues à l’ingestion de denrées locales sauf pour les Gambier où l’exposition externe contribue pratiquement autant que l’exposition par ingestion à la dose totale. Pour les enfants, les doses efficaces totales estimées sont pour la plupart très proches de celles des adultes. Pour la classe d’âges des 12-17 ans ayant résidé à Tahiti, elles peuvent être légèrement supérieures à celles des adultes, mais n’excèdent pas 49 mSv/an.
Il convient de noter que les résultats de mesure utilisés dans la présente étude ne permettent pas de distinguer les apports liés aux retombées des essais nucléaires français de ceux liés à l’ensemble des essais atmosphériques d’armes nucléaires effectués par les États-Unis, l’ex Union soviétique, le Royaume-Uni, la France et la Chine.
À partir de 1982, les doses efficaces annuelles ont été estimées par le CEA-IPSN. La figure 7Renvoi vers présente l’évolution des doses annuelles calculées de 1975 à 2015 pour les adultes. Il est important de noter qu’à partir du milieu des années 1980, ces estimations de doses ne sont plus exclusivement liées aux retombées globales des essais nucléaires en Polynésie, mais aux principaux radionucléides artificiels présents dans les denrées consommées en Polynésie, quelles que soient leurs origines (locales ou importées). On peut noter à ce titre, en 1987, une augmentation importante mais ponctuelle des doses pour les quatre localités de Tahiti ; elle est liée à la consommation de denrées importées de l’hémisphère nord et marquées par les retombées de Tchernobyl (lait, riz, bière, farine et pain) (IRSN, 2019renvoi vers) ; très logiquement, cette augmentation n’est pas visible aux Gambier et à Tureia où ces importations étaient beaucoup moins importantes.
Dans la figure 7Renvoi vers, la valeur indiquée en 2016 pour les quatre communes de Tahiti a été évaluée à partir d’activités mesurées dans des plateaux-repas collectés durant 5 jours, midi et soir, pour les denrées solides, ainsi qu’à partir d’activités mesurées dans des denrées liquides pour lesquelles les quantités annuellement consommées sont les mêmes que celles utilisées pour les évaluations des années précédentes.
Figure 7 Évolution depuis 1975 des doses efficaces annuelles des populations adultes de six localités de Polynésie Française (IRSN, 2019renvoi vers)

Références

[1]IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire). Bilan de la surveillance de la radioactivité en Polynésie française en 2013 ; synthèse des résultats du réseau de surveillance de l’IRSN. Rapport PRP-ENV/SESURE 2014-19. 2014a; Retour vers
[2]IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire). Bilan de la surveillance de la radioactivité en Polynésie française en 2014 ; synthèse des résultats du réseau de surveillance de l’IRSN. 2014b; Retour vers
[3]IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire). Bilan de la surveillance de la radioactivité en Polynésie française en 2016 ; synthèse des résultats du réseau de surveillance de l’IRSN. Rapport IRSN/DG/2018-0004. Septembre 2018; Retour vers
[4]IRSN. Évaluation de l’exposition radiologique des populations de Tureia, des Gambier et de Tahiti aux retombées des essais atmosphériques d’armes nucléaires entre 1975 et 1981. Rapport IRSN/2019-00498. 2019; Retour vers
[5]Ministère de la Défense. La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie. À l’épreuve des faits. Paris:2006; Retour vers
[6]UNSCEAR (United Nation Scientific Committee on the Effect of Atomic Radiation). Radioactive fallout after the nuclear explosions in Polynesia 1967-1968. Information submitted by France. May 1969; Retour vers
[7]UNSCEAR (United Nation Scientific Committee on the Effect of Atomic Radiation). Environmental radioactivity, annual report 1974. Information submitted by France. August 1975; Retour vers
[8]UNSCEAR (United Nation Scientific Committee on the Effect of Atomic Radiation). Environmental radioactivity, annual report 1975. Information submitted by New-Zealand. December 1976; Retour vers

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