Pesticides et effets sur la santé. Nouvelles données.
2021
Ce rapport présente les travaux du groupe d’experts réunis par l’Inserm
dans le cadre de la procédure d’expertise collective (voir annexe 1) pour
répondre à la demande de cinq directions de l’État, la Direction générale de la
prévention des risques, la Direction générale de la santé, la Direction générale
du travail, la Direction générale de la recherche et de l’innovation, ainsi que
le secrétariat général du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Ce
travail s’inscrit dans le cadre de l’actualisation du rapport d’expertise
collective Inserm intitulé « Pesticides : Effets sur la santé », publié en
2013.
Ce travail s’appuie essentiellement sur les données issues de la
littérature scientifique disponible en date du premier trimestre 2020. Plus de
5 300 documents ont été rassemblés à partir de l’interrogation de différentes
bases de données (PubMed/Medline, Scopus, Cairn...) (voir annexe 2) et des
recherches complémentaires ont été effectuées par les experts ou en
collaboration avec le Pôle expertise collective.
Le Pôle expertise collective de l’Inserm, rattaché à l’Institut
thématique Santé publique, a assuré la coordination de cette
expertise.
Pour citer ce document :
Inserm. Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données. Collection
Expertise collective. Montrouge : EDP Sciences, 2021.
Pour accéder aux expertises collectives en ligne :
Experts1 et
auteurs
Les experts et les auteurs d’un chapitre ou d’une
communication ont signé une déclaration de liens d’intérêts
conformément aux dispositions de la Charte de l’expertise à
l’Inserm.
Isabelle baldi, Équipe EPICENE – Épidémiologie des cancers et expositions
environnementales, Centre de recherche Inserm U 1219, Université de
Bordeaux, Bordeaux
Jérémie botton, Epi-Phare ANSM-Cnam, Épidémiologie des produits de
santé, Saint-Denis
Cécile chevrier, Évaluation des expositions et recherche épidémiologique sur
l’environnement, la reproduction et le développement, Inserm U 1085,
Université Rennes 1, EHESP, Rennes
Xavier coumoul, Inserm T3S – UMR-S 1124, Toxicité environnementale, cibles
thérapeutiques, signalisation cellulaire, équipe METATOX, UFR des Sciences
Fondamentales et Biomédicales, Université de Paris, Paris
Alexis elbaz, Inserm U 1018, Centre de recherche en épidémiologie et santé des
populations, Villejuif
Stéphanie goujon, Épidémiologie des cancers de l’enfant et de l’adolescent, Inserm UMR
1153 Équipe 7 (EPICEA), Université Paris Descartes, Villejuif
Jean-Noël jouzel, Centre de sociologie des organisations, Paris
Alain monnereau, Registre des hémopathies malignes de la Gironde, Institut Bergonié
et Épidémiologie des cancers et expositions environnementales, Centre de
recherche Inserm U 1219, Bordeaux
Luc multigner, Évaluation des expositions et recherche épidémiologique sur
l’environnement, la reproduction et le développement, Inserm U 1085,
Université Rennes 1, EHESP, Rennes
Bernard salles, Toxalim (Research Centre in Food Toxicology), Université de
Toulouse, UMR 1331 INRAE/INP/UPS, Toulouse
Valérie siroux, Équipe d’épidémiologie environnementale appliquée au développement
et à la santé respiratoire, Institut pour l’Avancée des Biosciences, Inserm
U 1209, CNRS UMR 5309, Université Grenoble Alpes, Grenoble
Johan spinosi, Santé publique France, Direction
Santé-Environnement-Travail, Saint-Maurice
Experte invitée
Sylvie bortoli2, Inserm T3S – UMR-S 1124, Toxicité environnementale, cibles
thérapeutiques, signalisation cellulaire, équipe METATOX, UFR des Sciences
Fondamentales et Biomédicales, Université de Paris, Paris
2
Sylvie Bortoli a présenté une communication devant le
groupe sur les « Fongicides inhibiteurs de succinate
déshydrogénase » puis a proposé un texte qui a été complété et
retravaillé collectivement.
Ont présenté une
communication
Pierre lebailly, Inserm U 1086 « ANTICIPE », Université de Caen
Normandie, Caen
Danièle luce, Irset (Institut de recherche en santé, environnement et travail) –
Inserm UMR-S 1085, Équipe Ester, Pointe-à-Pitre, Guadeloupe
A relu un chapitre
Olivier cussenot3, Urologie, service d’urologie de l’Hôpital Tenon, Paris
3
Olivier Cussenot a relu le chapitre sur le cancer de la
prostate sous sa forme publiée en février 2019 « Exposition aux
pesticides et au chlordécone, Risque de survenue d’un cancer de la
prostate ». Cette version est accessible depuis la page internet
suivante :
https://www.inserm.fr/information-en-sante/expertises-collectives/pesticides-effets-sur-sante
[consulté le 17 mai 2021].
Remerciements
Remerciements pour relecture et conseils à :
Bertrand bed’hom et Isabelle jouet, au titre de rapporteurs pour le Comité d’éthique de
l’Inserm
Coordination scientifique, éditoriale, bibliographique
et logistique
Pôle expertise collective de l’Inserm
Responsable : Laurent fleury
Coordination de cette expertise : Catherine chenu, Scott
harvey, Anne rochat
Documentation : Bénédicte varignon, Chantal grellier,
Pascalines chaussenot
Édition scientifique : Anne-Laure pellier
Secrétariat : Cécile gomis
Résumé
Les pesticides regroupent l’ensemble des produits utilisés pour lutter
contre les espèces végétales indésirables et les organismes jugés nuisibles.
Qu’il s’agisse de pesticides autorisés aujourd’hui ou utilisés par le passé
(dont certains sont rémanents), ils suscitent des inquiétudes concernant leurs
effets possibles sur la santé humaine et plus largement sur l’environnement.
Afin de mieux apprécier leurs effets sanitaires, l’Inserm a été saisi en 2018
par cinq directions générales ministérielles en vue d’actualiser l’expertise
collective intitulée « Pesticides : Effets sur la santé » publiée en
2013.
L’expertise collective de 2021 dresse un bilan des connaissances dans
le domaine au travers d’une analyse critique de la littérature scientifique
internationale publiée depuis 2013. Plus de 5 300 documents ont été rassemblés
et analysés par un groupe d’experts multidisciplinaire. L’expertise commence par
une analyse sociologique de la montée des préoccupations concernant les
pesticides et une présentation des connaissances sur l’exposition aux pesticides
de la population française, puis elle aborde une vingtaine de pathologies dont
les troubles du développement neuropsychologique et moteur de l’enfant, les
troubles cognitifs et anxio-dépressifs de l’adulte, les maladies
neurodégénératives, les cancers de l’enfant et de l’adulte, l’endométriose, et
les pathologies respiratoires ainsi que thyroïdiennes. Une dernière partie est
consacrée à des pesticides ou familles de pesticides particuliers : le
chlordécone, le glyphosate et les fongicides inhibiteurs de la succinate
déshydrogénase (SDHi). La présomption d’un lien entre l’exposition aux
pesticides et la survenue d’une pathologie est appréciée à partir des résultats
des études épidémiologiques évaluées et est qualifiée de forte, moyenne ou
faible. Ces résultats sont mis en perspective avec ceux des études
toxicologiques pour évaluer la plausibilité biologique des liens
observés.
Exposition en milieu
professionnel
En considérant les études sur des populations qui
manipulent ou sont en contact avec des pesticides régulièrement, et
qui sont a priori les plus exposées, l’expertise confirme la
présomption forte d’un lien entre l’exposition aux
pesticides et six pathologies : lymphomes non hodgkiniens (LNH),
myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson,
troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et
bronchite chronique. Pour les LNH, il a été possible de préciser des
liens (présomption forte) avec des substances actives
(malathion, diazinon, lindane, DDT) et avec une famille chimique de
pesticides (organophosphorés), et pour la maladie de Parkinson et
les troubles cognitifs avec les insecticides organochlorés et les
organophosphorés, respectivement. Il s’agit essentiellement de
pesticides pour lesquels les études se sont appuyées sur des
biomarqueurs permettant de quantifier l’exposition. Les études
toxicologiques confirment que les mécanismes d’action de ces
substances actives et familles de pesticides sont susceptibles de
conduire aux effets sanitaires mis en évidence par les études
épidémiologiques.
Des liens ont été identifiés pour d’autres pathologies ou
événements de santé avec une présomption moyenne. C’est le
cas notamment pour la maladie d’Alzheimer, les troubles
anxio-dépressifs, certains cancers (leucémies, système nerveux
central, vessie, rein, sarcomes des tissus mous), l’asthme et les
sifflements respiratoires, et les pathologies
thyroïdiennes.
Exposition pendant la grossesse ou
l’enfance
Les études épidémiologiques sur les cancers de l’enfant
permettent de conclure à une présomption forte de lien entre
l’exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse
(exposition professionnelle ou par utilisation domestique) ou chez
l’enfant et le risque de certains cancers, en particulier les
leucémies et les tumeurs du système nerveux central.
Les études de cohortes mères-enfants ont permis de
caractériser les liens entre l’exposition professionnelle ou
environnementale (c’est-à-dire en population générale) des mères
pendant la grossesse et les troubles du développement
neuropsychologique et moteur de l’enfant. Il est difficile de
pointer des substances actives en particulier, mais certaines
familles chimiques de pesticides sont impliquées, avec un niveau de
présomption fort, notamment les insecticides
organophosphorés et les pyréthrinoïdes dont l’usage a augmenté en
substitution aux insecticides organophosphorés. Le lien entre les
organophosphorés et l’altération des capacités motrices, cognitives
et des fonctions sensorielles de l’enfant est confirmé et les
nouvelles études sur les pyréthrinoïdes mettent en évidence un lien
entre l’exposition pendant la grossesse et l’augmentation des
troubles du comportement de type internalisé tels que l’anxiété chez
les enfants. Les données expérimentales sur des rongeurs suggèrent
une hyperperméabilité de la barrière hémato-encéphalique aux
pyréthrinoïdes aux stades les plus précoces du développement,
confortant la plausibilité biologique de ce lien. De plus, comme le
montrent les études récentes d’expologie, ces insecticides, qui ont
été à la fois utilisés en agriculture mais également dans les
sphères domestiques, induisent une contamination fréquente des
environnements intérieurs.
Exposition des riverains des zones
agricoles
Les populations riveraines des zones agricoles peuvent
être concernées par la dérive des produits épandus sur les cultures.
En effet, des études suggèrent une influence de la proximité aux
zones agricoles sur la contamination par les pesticides du lieu de
vie, variable selon les substances, leur mode d’application et la
manière d’estimer l’exposition. Des études écologiques ou
cas-témoins avec géolocalisation reposant sur la caractérisation de
l’activité agricole au voisinage des adresses de résidences
suggèrent un lien entre l’exposition des riverains des terres
agricoles et la maladie de Parkinson, et également entre la
proximité résidentielle à des zones d’épandages de pesticides (rayon
< 1,5 km) et le comportement évocateur des troubles du spectre
autistique chez l’enfant. Cependant, ces études présentent des
limites importantes liées à l’évaluation fine de l’exposition ou à
l’absence de données individuelles, ce qui rend le niveau de
présomption faible.
Focus sur le chlordécone, le glyphosate et les
inhibiteurs
de la succinate
déshydrogénase
Le chlordécone, insecticide utilisé aux Antilles
françaises dans le passé, persiste de nos jours dans les milieux
naturels insulaires. La consommation des denrées alimentaires
contaminées a entraîné une contamination de l’ensemble de la
population. La présomption forte d’un lien entre l’exposition
au chlordécone de la population générale et le risque de survenue de
cancer de la prostate a été confirmée. En considérant l’ensemble des
données épidémiologiques et toxicologiques disponibles, la causalité
de la relation est jugée vraisemblable.
Concernant l’herbicide glyphosate, l’expertise a conclu à
l’existence d’un risque accru de LNH avec une présomption
moyenne de lien. D’autres sur-risques sont évoqués pour le
myélome multiple et les leucémies, mais les résultats sont moins
solides (présomption faible). Une analyse des études
toxicologiques montre que les essais de mutagénicité sur le
glyphosate sont plutôt négatifs, alors que les essais de
génotoxicité sont plutôt positifs, ce qui est cohérent avec
l’induction d’un stress oxydant. Les études de cancérogenèse
expérimentale chez les rongeurs montrent des excès de cas, mais ne
sont pas convergentes. Elles observent des tumeurs différentes, pour
les mâles ou les femelles, qui ne se produisent qu’à des doses très
élevées et uniquement sur certaines lignées. D’autres mécanismes de
toxicité (effets intergénérationnels, perturbation du microbiote...)
sont évoqués qu’il serait intéressant de considérer dans les
procédures d’évaluation réglementaire.
Pour les fongicides SDHi, qui perturbent le fonctionnement
mitochondrial par l’inhibition de l’activité SDH, un complexe
enzymatique impliqué dans la respiration cellulaire et le cycle de
Krebs, il n’existe à ce jour pratiquement aucune donnée
épidémiologique portant sur les effets possibles de ces substances
sur la santé des agriculteurs ou de la population générale. Les
études toxicologiques ou mécanistiques montrent que certains SDHi
pourraient être considérés comme des perturbateurs endocriniens au
moins chez les modèles animaux utilisés (poissons). Alors que les
SDHi ne présentent aucune génotoxicité, certains montrent des effets
cancérogènes chez les rongeurs mais ce résultat est discuté sur la
base d’un mécanisme de cancérogenèse non extrapolable aux humains.
Des recherches sont nécessaires pour améliorer l’évaluation du
potentiel cancérogène des SDHi, et plus généralement des composés
non génotoxiques, et pour combler les lacunes dans les données
humaines par le renforcement de la biosurveillance et l’exploitation
des cohortes existantes.
En conclusion, l’expertise souligne l’importance de
réévaluer périodiquement les connaissances dans ce domaine. La
confirmation et la mise en évidence de présomptions fortes de liens
entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides doivent
orienter les actions publiques vers une meilleure protection des
populations. Ces questions relatives aux liens entre une exposition
aux pesticides et la survenue de certaines pathologies s’inscrivent
dans une complexité croissante, la littérature faisant apparaître
une préoccupation concernant les effets indirects de certains
pesticides sur la santé humaine par le biais des effets sur les
écosystèmes. L’interdépendance en jeu mériterait d’être davantage
étudiée et intégrée, au même titre que les aspects sociaux et
économiques afin d’éclairer les prises de décisions lors de
l’élaboration des politiques publiques.
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