Troubles spécifiques des apprentissages

2007


Introduction : Des difficultés d'apprentissage aux troubles spécifiques

Les enfants en difficultés d'apprentissage de la lecture en début de scolarité sont nombreux, entre 5 % et 15 % selon les recensements1 . De plus, un faible niveau en lecture a forcément une incidence négative sur les autres apprentissages, à court, comme à long terme. En effet, comme l'indique un rapport de l'OCDE (2000renvoi vers) : « se multiplient les indices sérieux montrant que la formation continue après l'école tend à accentuer, plutôt qu'à atténuer, les différences de compétence découlant d'une réussite inégale à l'enseignement initial » (p. 70-71).
Ces mauvais lecteurs n'ont cependant pas tous des difficultés spécifiques d'apprentissage. En introduction de cette partie II de l'expertise, il nous a donc paru essentiel d'examiner certaines études qui ont porté sur les difficultés d'apprentissage, en général. Les travaux passés en revue émanent pour la plupart d'organismes officiels (OCDE, Insee, Ministère de la culture ou de l'éducation...).

Enquêtes sur les pratiques et sur les compétences de lecture

De nombreux travaux francophones ont évalué l'influence des caractéristiques socioculturelles des populations sur leur rapport au livre et sur leurs pratiques de lecture2 . Dans ces travaux, et en particulier dans l'enquête sur les pratiques culturelles des Français qui a été effectuée tous les 8 ans depuis 1973 (Donnat, 1998renvoi vers ; Hersent, 2000renvoi vers), on qualifie les lecteurs de « faibles », « moyens » et « forts » en fonction du nombre de « livres » que les personnes interrogées déclarent avoir lu dans l'année, respectivement de 1 à 9 livres pour les premiers, plus de 24 pour les derniers. Ces enquêtes ont toutefois suscité quelques critiques. En particulier, Hersent (2000renvoi vers) souligne que ces travaux se sont focalisés uniquement sur le « livre », aux dépens d'autres supports et qu'ils n'ont pris en compte que les réponses des enquêtés. Il s'est donc demandé, d'une part, si les habiletés de lecture peuvent se mesurer par la quantité de livres lus. En d'autres termes, est-on « faible » lecteur parce qu'on lit moins ou parce qu'on lit mal, les deux pouvant bien entendu être reliés ? D'autre part, quel crédit est-il possible d'accorder aux déclarations des enquêtés ? Ne tendent-ils pas, selon leurs groupes sociaux d'appartenance, à surévaluer ou à dévaluer leurs pratiques de lecture ?
D'autres travaux, également effectués à partir d'enquêtes, ont examiné les compétences de lecture. Ainsi, une étude de l'Insee (1989renvoi vers) indique qu'il y aurait en France 9 % d'adultes « illettrés » : en l'occurrence ceux qui disaient avoir des difficultés à lire un journal, à remplir un chèque, tout comme ceux qui, selon l'enquêteur, ne comprenaient pas bien les questions posées. Cependant, ce pourcentage doit être relativisé dans la mesure où il inclut des sujets qui avaient des difficultés avec la langue écrite ou avec la langue orale. Or, la faiblesse de la maîtrise de la langue orale ne peut être mise au compte de l'illettrisme.

Évaluations des compétences en lecture et en mathématiques

D'autres études ont évalué les compétences en lecture et en mathématiques à partir des réponses à des tests. Les résultats examinés dans cette introduction sont issus de deux études internationales qui ont porté sur des élèves de 15 ans (OCDE, 2000renvoi vers et 2004renvoi vers), d'une étude française du Ministère de l'éducation qui a pris en compte des enfants scolarisés en début de CE2 (MEN, 2001renvoi vers) et de deux études de l'Insee qui ont porté sur des adultes (2004renvoi vers et 2005renvoi vers).

Niveau en lecture et en mathématiques d'après les études internationales

Dans les deux études internationales portant sur des élèves de 15 ans, les résultats relevés dans chaque pays en lecture (OCDE, 2000renvoi vers et 2004renvoi vers) et mathématiques (OCDE, 2000, uniquement) ont été comparés à la moyenne internationale.
Le niveau de lecture a été évalué par la compréhension de différents types de documents : récits, articles de journaux, textes accompagnés de graphiques ou de schémas. Les scores des enfants français se situent au niveau de la moyenne internationale, sans évolution significative dans le temps (OCDE, 2000renvoi vers et 2004renvoi vers). De plus, d'après l'étude de 2000, 4 % des enfants français ont des difficultés sévères de lecture (moyenne internationale, 6 %) et, en France, comme au niveau international, il y a plus de garçons que de filles dans cette catégorie (6 % versus 2 % ; moyenne internationale : 8 % et 4 %).
En mathématiques (OCDE, 2000renvoi vers), les résultats des élèves français sont au-dessus de la moyenne internationale, tout comme les scores des 5 % les plus faibles. À la différence de la lecture, il n'y a pas plus de garçons que de filles parmi ceux qui ont les scores les plus faibles (respectivement 10 % et 11 % en France, 15 % et 16 % au niveau international).

Deux facteurs cruciaux : l'origine sociale et l'environnement linguistique

Dans l'évaluation du niveau de lecture et de mathématiques des élèves en début de CE2 menée par le Ministère de l'éducation nationale (MEN, 2001renvoi vers), il a été relevé que les filles ont de meilleurs résultats que les garçons en lecture, mais pas en mathématiques ; ces résultats sont semblables à ceux des deux études internationales de l'OCDE. Toutefois, une des variables le plus fortement reliée aux résultats est l'origine sociale des élèves. Toutes choses égales par ailleurs (en particulier, âge et sexe), un écart significatif sépare les scores des enfants d'ouvriers de ceux des enfants de cadres, et cela aussi bien en lecture qu'en mathématiques. De plus, certains enfants qui sont dans des situations que l'on peut qualifier de « fragiles » (ceux dont les parents sont dits « inactifs », 7,6 % de la population) ont des scores inférieurs à ceux des enfants d'ouvriers pour la lecture et les mathématiques. Les mêmes tendances avaient été relevées dans les études antérieures du Ministère de l'éducation.
De même, d'après l'étude de 2000 de l'OCDE, le fait d'être issu d'un milieu social peu favorisé multiplie par deux la probabilité d'avoir des difficultés en lecture, comme en mathématiques. Cette étude signale toutefois qu'une partie de cet effet pourrait être due à des variables non contrôlées : entre autres, l'environnement linguistique. L'incidence de ce facteur sur les performances est en effet aussi forte que celle du milieu socioculturel (OCDE, 2000renvoi vers).
L'impact de l'environnement linguistique sur la réussite en lecture et en mathématiques ressort également de la récente étude de l'Insee (2004renvoi vers et 2005renvoi vers). Dans cette étude, les performances en lecture d'adultes ont été évaluées par des exercices en rapport avec la vie quotidienne (lire le titre et le nom des invités d'une émission, noter une liste de courses, comprendre le résumé d'un film). Les personnes qui ont des scores inférieurs à 60 % de réponses correctes dans ces trois domaines sont considérées comme en difficultés face à l'écrit. Plusieurs groupes ont été constitués en fonction du lieu de naissance (en France ou hors de France) et de la langue parlée majoritairement à la maison (le français, pour les sujets dits francophones). Parmi les francophones natifs, 7 % ont des difficultés en lecture. Ce chiffre est de 11 % chez les francophones nés hors de France et chez les non francophones nés en France. En revanche, parmi les non francophones nés hors de France, plus de 30 % de ceux qui ont appris à lire en français et plus de 60 % de ceux qui ont appris à lire dans une autre langue ont des difficultés de lecture. Les résultats indiquent également que l'environnement linguistique a un impact sur la compréhension orale ainsi que, mais dans une moindre mesure, sur les scores en mathématiques.

Relations entre les différentes compétences évaluées

L'étude de l'Insee (2004renvoi vers et 2005renvoi vers) a également examiné les relations entre compréhension en lecture, compréhension orale et aptitudes à résoudre des problèmes simples de calcul. Dans ce dernier cas, les questions sont posées à l'oral afin d'être compréhensibles par les personnes ayant des difficultés de lecture. Trois groupes ont été constitués : ceux qui ont des résultats faibles (moins de 50 % de réponses correctes), moyens (entre 50 % et 80 %) et bons (plus de 80 %).
Les relations entre compréhension en lecture et à l'oral sont élevées. Ainsi, parmi les adultes qui ont les scores les plus élevés en lecture, 73 % ont également de bonnes performances en compréhension orale et seulement 2 % des résultats faibles alors que, parmi les personnes ayant des résultats faibles en lecture, 32 % ont également des résultats faibles en compréhension orale et seulement 25 % un niveau élevé. De même, en ce qui concerne les relations entre lecture et mathématiques, parmi les adultes qui ont les scores les plus élevés en lecture, 45 % ont de bonnes performances en mathématiques et seulement 4 % des résultats insuffisants alors qu'environ 50 % de ceux ayant des difficultés de lecture sont également en situation d'échec en mathématiques, seulement 9 % ayant de bons résultats. Les relations entre les différentes compétences évaluées sont donc fortes.
Cette étude indique en plus que pratiquement la moitié des sujets qui ont des difficultés de compréhension écrite n'arrivent pas à lire correctement des mots inventés alors que presque tous sont capables de lire des mots courants. En revanche, il y a peu de différence entre les scores pour ces deux types d'items chez les sujets qui comprennent bien les textes écrits, leurs performances étant dans les deux cas pratiquement au maximum. Le déficit relevé chez les sujets qui ont des difficultés sévères de compréhension écrite lorsqu'ils doivent lire des mots qu'ils n'ont jamais rencontrés indique que, pour pouvoir lire correctement, il faut non seulement être capable de comprendre ce qu'on lit, il faut aussi pouvoir identifier les mots écrits de façon précise.

Capacités de lecture d'enfants de milieux défavorisés

Quelques études de psychologie cognitive ou de neurosciences ont évalué les compétences en lecture de sujets issus de milieux socioéconomiques défavorisés. Ces études signalent qu'une partie de leur retard en lecture pourrait provenir d'un déficit linguistique et, plus spécifiquement, d'un déficit phonologique lié au traitement des sons de la parole. Par exemple, Noble et McCandliss (2005renvoi vers) ont montré que les capacités phonologiques et le niveau socioéconomique sont directement corrélés et agissent sur les performances en lecture indépendamment mais aussi probablement de façon additive. Ainsi, à déficit phonologique de même importance, un faible niveau socioéconomique serait un facteur aggravant. L'hypothèse est que les enfants issus d'un milieu social peu favorisé auraient des difficultés pour mettre en Ĺ“uvre des stratégies compensatoires.
Cette hypothèse est confortée par les résultats d'une étude de neuro-imagerie (Shaywitz et coll., 2003renvoi vers) qui a comparé deux populations d'adultes en difficultés sévères de lecture : des mauvais lecteurs persistants et des mauvais lecteurs qui ont progressé. Cette étude révèle des activations d'aires cérébrales non habituellement dévolues à la lecture uniquement chez ceux qui ont progressé. Or, ces deux groupes n'étaient pas de même niveau socioéconomique : les mauvais lecteurs persistants avaient été scolarisés dans des écoles qui recrutaient surtout des enfants de milieu « défavorisé ». Cette étude suggère donc que certains facteurs environnementaux pourraient entraver la mise en place de stratégies de compensation, tant au niveau comportemental (la différence de progrès en lecture) que neuronal.

Troubles spécifiques des apprentissages

Les travaux de recherches indiquent clairement que les facteurs décrits ci-dessus (facteurs socioculturels présents dans l'environnement de l'enfant et les capacités cognitives générales propres à chaque enfant) ne suffisent pas à expliquer l'ensemble des difficultés d'apprentissage rencontrées chez les enfants. De nombreuses données montrent qu'il existe des enfants en difficulté d'apprentissage dans tous les milieux socioculturels y compris les plus favorisés et également à tous les niveaux de capacités cognitives générales y compris les plus élevés. Cette situation a conduit les chercheurs à formuler l'hypothèse de l'existence de troubles spécifiques des apprentissages. Historiquement, c'est le cas d'un enfant intelligent et sans handicap socioculturel mais avec une difficulté sévère et spécifique à la lecture qui a conduit à la première description de la dyslexie développementale (Pringle Morgan, 1896). Depuis, des milliers de cas ont été rapportés dans la littérature scientifique. Pour étudier les caractéristiques propres à la dyslexie, les chercheurs sont amenés à exclure les enfants qui présentent des facteurs de risque tels que le déficit intellectuel généralisé, les troubles sensoriels, les facteurs de risque socioculturels ou linguistiques. Il s'agit d'une précaution méthodologique indispensable à l'étude des causes d'un trouble spécifique sans risque de confusion. Cependant, cette focalisation de la recherche sur des troubles isolés ne doit pas laisser croire que les chercheurs ignorent la multiplicité des facteurs impliqués dans la plupart des difficultés scolaires. De plus, un enfant dyslexique peut cumuler d'autres facteurs de risque qui contribuent à ses difficultés. Des études récentes s'intéressent tout particulièrement aux interactions entre ces différents facteurs (biologiques, culturels...). Par exemple, le milieu socioculturel d'un enfant dyslexique peut avoir un effet compensateur ou aggravant sur ses capacités de lecture (Noble et McCandliss, 2005renvoi vers).

En conclusion,

il ressort de la synthèse d'études portant sur des populations « tout-venant », c'est-à-dire non sélectionnées a priori en fonction de certains critères, que le milieu social et l'environnement linguistique ont tous deux une forte incidence sur les performances en lecture et en mathématiques. Il en ressort également que, dans ces populations, les relations entre compréhension écrite, compréhension orale et performances en mathématiques sont élevées, ce qui s'explique probablement par un facteur sous-jacent, dont il n'est en général pas tenu compte dans ces études : le niveau cognitif des sujets.
Quand on veut étudier des populations supposées avoir des troubles spécifiques des apprentissages, il convient donc de contrôler voire d'éliminer les facteurs susceptibles d'entraîner des difficultés générales d'apprentissage. C'est pour cette raison que la plupart des études portant sur les troubles spécifiques des apprentissages (celles qui sont évoquées dans cette partie) n'intègrent pas les sujets qui ont un faible niveau cognitif, tout comme ceux issus d'un milieu sociologique très fragile, ou encore, particulièrement pour la lecture, ceux ayant appris à lire dans une langue qui n'est pas celle parlée le plus souvent à la maison.
L'enjeu n'est pas seulement théorique. En effet, les travaux examinés dans la présente expertise indiquent que les enfants ayant des difficultés spécifiques d'apprentissage ne répondent pas de la même façon que les autres enfants aux différentes interventions, tant pédagogiques que rééducatives, dont ils peuvent bénéficier.

Bibliographie

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[7] noble kg, mccandliss bd. Reading development and impairment: behavioral, social, and neurobiological factors. J Dev Behav Pediatr. 2005; 26:370-378Retour vers
[8]ocde. Knowledges and skills for life. First results from PISA 2000. Paris:OECD; 2000. Retour vers
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