Pesticides : Effets sur la santé

2013


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Recommandations
Cette expertise synthétise les connaissances disponibles sur les effets sur la santé, à moyen et long termes, qui peuvent résulter des expositions aux pesticides liées à des usages professionnels. Elle porte également sur les conséquences d’une exposition, professionnelle ou non, pendant la grossesse sur le développement du fœtus et de l’enfant. En parallèle des données épidémiologiques, l’expertise a fait le point sur les mécanismes moléculaires et cellulaires par lesquels quelques substances actives pourraient être impliquées dans la survenue d’une pathologie. En d’autres termes, il s’agit de conforter des liens identifiés par la recherche épidémiologique par une hypothèse mécanistique compatible avec la pathologie.
Plusieurs constats peuvent être établis à partir de l’analyse de la littérature sur ce sujet.
Les études épidémiologiques ont permis d’identifier des relations entre la survenue de certaines maladies et l’exposition aux pesticides. Cependant, la synthèse des différentes études présente certaines difficultés car celles-ci ont été menées dans des contextes d’usages de pesticides très différents avec une qualité de mesure des effets de santé et de l’exposition très variable.
Des augmentations de risque significatives pour plusieurs pathologies ont été mises en évidence en lien avec l’exposition aux pesticides et/ou selon les catégories d’usages (insecticides, herbicides, fongicides) ou encore avec l’exposition à certaines familles chimiques (organochlorés, organophosphorés, phénoxyherbicides…) et/ou à des substances actives spécifiques. Pour plusieurs de ces pathologies, les données épidémiologiques sont renforcées par des arguments ou hypothèses mécanistiques (annexe 5).
Malgré le grand nombre d’études publiées, le point crucial pour conclure reste la caractérisation de l’exposition aux pesticides chez un individu tout au long de sa vie ou à des périodes critiques (grossesse, enfance) tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. Dans la plupart des situations, les personnes ont été exposées à plusieurs substances actives, en même temps ou de manière séquentielle au cours de leur vie, de même qu’à de multiples autres facteurs de l’environnement liés ou non aux comportements individuels (autres polluants, médicaments, additifs alimentaires…).
Peu d’informations sont disponibles sur les effets d’un mélange de plusieurs substances et ces effets sont difficilement prévisibles. L’exposition à de multiples substances actives peut entraîner des effets additifs, synergiques, potentialisateurs ou encore antagonistes. De plus, l’exposition à d’autres composés (médicaments, résidus de divers polluants…) est susceptible de modifier le métabolisme et les effets des pesticides, ce qui complique l’interprétation des effets observés en situation réelle d’exposition.
Il est à noter que si de nombreux produits ont été retirés du marché, certains dits persistants, tels que les pesticides organochlorés, demeurent présents dans l’environnement ou s’accumulent dans la chaîne trophique dont l’homme constitue le dernier maillon et participent à l’exposition en « bruit de fond » de la population générale.
La synthèse des données actuellement disponibles en épidémiologie comme sur les mécanismes d’action de certaines substances actives suggère d’engager des actions dans plusieurs directions : améliorer les connaissances sur les expositions actuelles et passées aux pesticides réellement utilisés en France en milieu professionnel agricole et autres ; poursuivre l’exploration, dans les populations (professionnelles ou non) concernées par les expositions aux pesticides des effets sur la santé à long terme de certaines substances actives interdites aujourd’hui et pour lesquelles des effets sont fortement suspectés ; mettre en place des recherches (complémentaires à celles réglementaires) sur les substances autorisées pour lesquelles des effets sont suggérés en combinant si possible les approches épidémiologique et mécanistique ; poursuivre mais aussi engager des études sur les molécules actuellement utilisées en France en prenant en compte l’ensemble des caractéristiques de ces molécules (structure chimique, propriétés physico-chimiques, biotransformation et toxicocinétique, mécanismes d’action).
Ces préconisations doivent constituer les volets « recherche » indispensables pour accompagner les divers plans mis en place ces dernières années par les pouvoirs publics : plan National Santé Environnement (2004-2008) ; plan Ecophyto 2018 qui vise à réduire de 50 % l’usage des produits phytopharmaceutiques en 10 ans en France, en conformité avec le cadre législatif européen adopté en 2009. Ce cadre européen est constitué d’une part du « paquet pesticides », qui introduit des règles plus strictes d’homologation et d’autre part de la directive cadre 2009/128/EC, qui prévoit la protection des cultures et la préservation de la qualité de l’eau ; des campagnes d’estimations de l’exposition de la population et des écosystèmes aux pesticides venant en appui aux politiques de prévention et de précaution.

Améliorer les connaissances sur l’exposition des populations

Organiser le recueil de données d’usage des pesticides en milieu agricole

En France, il n’existe pas de recueil centralisé ni d’archivage des données d’utilisation des pesticides, et en particulier des matières actives. Actuellement, ne sont disponibles publiquement que des données de vente annuelle agrégées pour l’ensemble des cultures produites par les industriels et communiquées par l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes). Avec la mise en place au niveau communautaire d’un système de collecte d’informations sur la distribution et l’utilisation de pesticides, ces données sont accessibles, avec celles des autres pays européens, sur le site de l’office statistique de l’Union européenne (Eurostat). Elles concernent essentiellement les grandes classes d’usages de pesticides (herbicides, fongicides, insecticides), par grand type de culture, mais donnent peu d’information par famille chimique ou par matière active. L’information n’est par ailleurs pas disponible à une échelle géographique fine. Des améliorations du système de recueil des données sont annoncées avec notamment le recueil d’informations sur la quantité de substances actives utilisées et sur la zone traitée, sur une base périodique de 5 années.
En France, les exploitants agricoles doivent tenir un cahier d’enregistrement des traitements phytopharmaceutiques (nom et formulations des produits, quantité, dates d’application, identification des parcelles, cultures traitées) par exploitation. Cependant, il n’est pas prévu de recueil systématique de ces informations ni leur exploitation à des fins descriptives ou/et de recherche/surveillance.
Depuis la mise en place du plan Ecophyto en 2006, et dans le but de suivre l’évolution de la consommation de pesticides (objectif d’une baisse de 50 %), la loi prévoit en France un relevé national annuel des ventes des produits commerciaux de pesticides. En plus des enquêtes sur les pratiques culturales réalisées environ tous les cinq ans, le plan Ecophyto, prévoit la réalisation d’enquêtes spécifiques concernant les usages de pesticides.
Pour mieux documenter les expositions professionnelles et environnementales, le groupe d’experts insiste sur la nécessité de disposer d’un système de recueil des données d’usage des pesticides. En mettant à profit les dispositifs préconisés par la loi européenne (n°1185/2009), il propose d’étudier la faisabilité de croiser les données de géolocalisation par parcelle (projets en cours) avec les données d’usages de pesticides.
Le groupe d’experts propose d’insérer de manière systématique des questions concernant l’utilisation des pesticides et le matériel utilisé lors des traitements (type de matériel d’application, équipements de protection) dans le questionnaire du recensement agricole décennal en France, et de s’appuyer sur le cahier d’enregistrement des traitements aux pesticides. À défaut, ou en complément de la démarche précédente, le groupe propose de développer le recueil annuel et pérenne des données à partir d’un panel d’agriculteurs représentatif de la population agricole (niveau national, régional, par type de culture). Ces données (rendues anonymes) devraient être accessibles à la communauté médicale et scientifique à des fins de surveillance sanitaire et de recherche.

Documenter les niveaux d’exposition dans l’ensemble des contextes professionnels utilisant les pesticides

Des études d’exposition aux pesticides ont été réalisées en milieu professionnel agricole, dans divers pays, le plus souvent dans un contexte réglementaire. En France, elles restent en nombre limité et ne concernent que certaines cultures. Les données sont encore plus rares dans des secteurs comme le traitement du bois, l’entretien des zones non agricoles (voiries, terrains de sport, zones communales…), l’agro-alimentaire, les secteurs de production ayant recours aux fongicides (papier, peintures…). Le manque de connaissances sur les expositions professionnelles aux pesticides limite le développement d’études portant sur les effets sanitaires de ces expositions ainsi que les actions de prévention (diminution des expositions, reconnaissance de maladies professionnelles…).
Le groupe d’experts recommande d’encourager le développement d’études de terrain concernant les niveaux d’exposition des travailleurs, aussi bien en milieu agricole que dans les nombreux autres contextes professionnels où des pesticides sont utilisés. Ces études d’exposition devront porter sur les personnes mettant en œuvre les traitements ainsi que sur celles amenées à intervenir ultérieurement sur les végétaux ou matériaux traités.

Disposer de données d’expositions des professionnels tout au long de la vie

Les études montrent que les expositions prolongées et chroniques aux pesticides sont susceptibles d’entraîner des effets sur la santé. Aussi, la connaissance des expositions tout au long de la carrière professionnelle paraît une nécessité pour le suivi médical des professionnels, et les recherches en épidémiologie.
Le groupe d’experts recommande que les chercheurs et les professionnels de santé puissent disposer facilement de données (cahiers d’enregistrement des traitements aux pesticides…) permettant d’apprécier l’exposition de manière régulière des applicateurs et utilisateurs de pesticides, aussi bien chez les agriculteurs que chez les autres professionnels manipulant ces substances. Il recommande de considérer également les populations professionnelles exposées de manière indirecte aux pesticides et de les interroger sur leurs tâches, leur lieu de travail, le type de contact avec des produits traités (cultures, espaces verts, bois, animaux…). De même, le groupe d’experts recommande de prêter attention aux familles des exploitants agricoles et des autres professionnels utilisateurs de pesticides.

Documenter les niveaux et les sources d’exposition de la population générale aux pesticides dans les différents environnements de vie

Depuis plusieurs années, des mesures de résidus de pesticides sont réalisées en routine en France dans l’eau de boisson et dans les aliments. Cependant, les expositions de la population générale proviennent également d’autres sources, au sein de l’habitat (utilisations d’insecticides ménagers, traitements antiparasitaires pour les humains et les animaux domestiques, traitement des plantes d’intérieur, utilisation de produits de jardinage) mais aussi à proximité de l’habitat. En effet, les pesticides utilisés par les professionnels diffusent dans l’atmosphère et peuvent être par conséquent, une source d’exposition des populations à une distance plus ou moins grande des zones traitées (zones agricoles, espaces verts, voiries, voies de chemin de fer, terrains de sport…). Ainsi, l’analyse des mesures réalisées par les Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) entre 2000 et 2006 a montré une présence de pesticides dans l’air, généralement corrélée aux périodes de traitement des cultures. Des résidus de pesticides ont par ailleurs été retrouvés dans les poussières de maison et/ou dans les urines des habitants. Il existe cependant aujourd’hui peu de données en France concernant l’exposition de la population générale, vivant aussi bien en zone rurale qu’urbaine, ses différentes sources et ses déterminants.
Le groupe d’expertsrecommande la réalisation de campagnes de mesures (notamment dans l’air extérieur et dans l’environnement intérieur) permettant de documenter les expositions dans les divers environnements aux sources de pesticides présentes dans le domicile ou à proximité de l’habitat. Ces campagnes devront être précédées d’enquêtes sur les pratiques dans les zones considérées afin de déterminer les substances actives à rechercher dans les différents milieux (air, poussières, matrices biologiques). Ces mesures permettront à terme d’envisager l’opportunité d’une surveillance dans certaines zones et/ou sur certaines périodes et de guider des actions de prévention orientées vers une diminution des expositions.

Disposer d’un recueil de notifications d’intoxications aiguës aux pesticides

Certaines données indiquent la possibilité d’effets nocifs à distance d’épisodes d’intoxication aiguë par les pesticides. Ceci a notamment été montré pour les troubles neurocomportementaux et anxio-dépressifs. La connaissance des épisodes d’intoxication aiguë aux pesticides présente donc un intérêt pour le suivi des professionnels et pour la compréhension du lien avec la survenue d’une pathologie. Actuellement, les intoxications aiguës sont signalées spontanément par l’agriculteur lui-même, par l’intermédiaire d’un numéro vert mis en place par la Mutualité sociale agricole (MSA) dans le cadre du programme Phyt’attitude ou par la consultation auprès des centres anti-poisons. Ce dispositif de recueil, fondé sur un mode incitatif, ne recense pas actuellement de manière exhaustive ni même représentative les cas d’intoxication aiguë. Dans le cadre de la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires n°2009-879 du 21 juillet 2009) et du plan Ecophyto, il est prévu la mise en place d’un réseau de toxicovigilance. Il s’agit de mettre en commun les données des centres antipoison et de toxicovigilance (CAPTV), de Phyt’attitude, du réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), avec une harmonisation du recueil des données et la mise en place d’outils de gestion pour les différents acteurs.
Le groupe d’experts recommande d’optimiser et d’évaluer le système de notification actuel. Il recommande par ailleurs qu’un tel système soit doté d’un dispositif d’alerte qui permette d’identifier des cas groupés géographiquement et/ou temporellement à l’échelle nationale (y compris les Dom-Tom).

Fournir les moyens nécessaires à l’analyse de pesticides dans les milieux biologiques humains et en métrologie externe

Suivre les expositions professionnelles implique le développement de méthodes spécialisées d’analyse des contaminants incluant les pesticides et les autres polluants environnementaux pertinents dans des matrices biologiques humaines. Ceci implique également de rechercher quelles sont les molécules (molécules-mères ou métabolites…), indicatrices d’une exposition, qui passent dans le compartiment sanguin ou sont excrétées dans l’urine. Ces molécules peuvent être identifiées via par exemple les matrices emploi/exposition, les combinaisons de pesticides ou de formulation auxquelles peuvent être exposés les agriculteurs par type de culture.
En France, l’analyse des résidus et contaminants dans les aliments est organisée à travers un réseau de laboratoires accrédités. En revanche, l’analyse des pesticides et de leurs métabolites dans les matrices humaines est, à ce jour, essentiellement prise en charge par des laboratoires académiques, qui ne sont pas en mesure de répondre à la demande des médecins du travail ou des chercheurs.
Le groupe d’experts recommande d’encourager la mise en place de plateformes analytiques et des compétences nécessaires pour concevoir et développer des méthodes analytiques sur des matrices humaines nécessaires aux travaux de recherche et à la surveillance biologique de l’exposition aux résidus de pesticides et autres contaminants. Il préconise le développement de méthodes innovantes, sans a priori, permettant d’évaluer, outre les pesticides et leurs métabolites, les modifications de paramètres biologiques dans l’organisme exposé. À titre d’exemple, ceci peut être réalisé grâce à une analyse des empreintes métaboliques d’exposition dans des fluides biologiques.
Pour disposer d’une meilleure estimation des expositions, le groupe d’experts recommande également de concevoir et de développer, outre les dosages biologiques, d’autres approches telles que les matrices emploi/exposition et la métrologie externe (air, peau, tenues de travail…).

Accéder aux compositions des produits commerciaux

Actuellement, les informations sur la composition intégrale des produits commerciaux, notamment sur les adjuvants, restent confidentielles car protégées par le secret industriel. Ces adjuvants pourraient participer à la toxicité des substances actives (car constituant une première forme de mélange). Les compositions peuvent cependant être communiquées, à sa demande, au médecin du travail en charge du suivi professionnel ainsi qu’au médecin de centre antipoison. En recherche, ces données se révèlent très importantes lors de la mise au point de protocoles expérimentaux en toxicologie ou encore dans la discussion des effets observés dans le cadre des études épidémiologiques et toxicologiques.
Le groupe d’experts recommande la création d’une base de données constituée par exemple à partir du dossier d’homologation, comportant les compositions intégrales des produits commerciaux (substances actives et adjuvants). Ces informations devront être rendues accessibles aux équipes de recherche comme aux médecins du travail selon des procédures appropriées.

Rechercher le lien entre exposition et pathologies

Rechercher l’impact d’une exposition aux pesticides en France en milieu professionnel dans la survenue de certaines pathologies

La synthèse des études épidémiologiques analysées dans cette expertise montre qu’il existe une présomption de lien, parfois forte, entre une exposition à des pesticides et des pathologies chez l’adulte comme certains cancers ou des maladies neurodégénératives (annexe 5). La large proportion d’études dans la littérature internationale menées dans un contexte nord-américain pourrait expliquer que ce sont les insecticides et les herbicides, très employés aux États-Unis, qui ont été le plus souvent retrouvés associés à ces pathologies. Un grand nombre de publications ayant porté sur des matières actives spécifiques émane de la cohorte américaine de l’Agricultural Health Study, ce qui focalise les conclusions sur la cinquantaine de pesticides étudiés dans cette cohorte. Les substances actives les plus étudiées sont celles les plus anciennement mises sur le marché, et beaucoup sont aujourd’hui interdites. Certaines d’entre elles, persistantes, sont encore présentes dans les sols, l’alimentation et à l’état de traces dans les tissus et fluides biologiques des populations professionnelles et de la population générale. Les effets sur la santé observés aujourd’hui dans les populations peuvent résulter de l’exposition à ces pesticides utilisés dans le passé mais également à ceux plus récemment introduits sur le marché ou spécifiques du contexte français.
Le groupe d’experts recommande de poursuivre les travaux sur le lien entre la survenue d’une pathologie et une exposition en milieu professionnel aux pesticides en tenant compte du contexte présent et passé d’exposition aux pesticides en France, afin de mieux caractériser les substances actives, les familles de substances et les mélanges qui pourraient être impliqués dans la survenue de ces pathologies. Il conviendrait également de prendre en considération les entités nosologiques bien définies (méningiome et gliome pour les tumeurs cérébrales…) et les marqueurs précoces précliniques (exemple des gammapathies monoclonales de signification indéterminée ou MGUS pour le myélome multiple).
Pour prendre en compte l’évolution des connaissances sur les liens entre exposition et pathologie, le groupe d’experts recommande de mobiliser, à travers un dispositif national, des compétences scientifiques et médicales capables de répondre aux questions des médecins du travail ou d’autres professionnels de santé sur les effets aigus et chroniques d’une exposition aux pesticides et sur le lien possible entre une exposition aux pesticides et la survenue d’une pathologie pouvant, le cas échéant, être reconnue comme maladie professionnelle.

Mieux comprendre l’effet de l’exposition aux pesticides dans des populations vulnérables

De nombreux facteurs peuvent agir et moduler l’impact des pesticides sur la survenue d’une pathologie. Les personnes avec antécédents de cancers hématopoïétiques ou porteuses de la translocation t(14 ;18) ou encore asthmatiques, exposées à certaines matières actives, pourraient être plus sensibles au développement de lymphomes non hodgkiniens. De même, l’effet de certaines substances actives a été signalé en présence d’antécédents familiaux de cancer de la prostate sans qu’il soit souvent possible de distinguer les facteurs de susceptibilité génétique liés à la maladie des facteurs environnementaux à risque partagés par les membres d’une même famille. Certains polymorphismes des enzymes métabolisant les pesticides pourraient intervenir dans la susceptibilité aux effets toxiques de certains pesticides.
Le groupe d’experts recommande de poursuivre les études en prenant en compte les populations qui montrent une plus grande vulnérabilité à une exposition aux pesticides en raison de caractéristiques individuelles (antécédents familiaux de cancers, allergies, polymorphismes génétiques d’enzymes du métabolisme des xénobiotiques ou polymorphismes d’autres gènes impliqués dans les effets toxiques de ces molécules…).

Prendre en considération l’exposition pendant les périodes de vulnérabilité

Plusieurs études épidémiologiques convergentes montrent qu’une exposition professionnelle à certains pesticides pendant la grossesse peut affecter plusieurs aspects du développement de l’enfant (annexe 5). De même, les études indiquent qu’une exposition associée au lieu de résidence en période prénatale ou à un usage de pesticides au domicile peut avoir un impact sur le risque de survenue de certaines pathologies d’origine développementale à court et moyen terme (croissance, cognition…). Cependant, l’ensemble des conséquences potentielles d’une exposition aux pesticides pendant la grossesse est encore insuffisamment évalué comme par ailleurs celles d’une exposition durant la période préconceptionnelle, la petite enfance et la période pré- ou pubertaire.
Des familles chimiques de pesticides sont plus particulièrement mises en cause dans l’impact sur le développement et des hypothèses de mécanismes d’action ont pu être explorées. Des substances actives ont montré des effets et certaines, aujourd’hui interdites, demeurent présentes dans les tissus et fluides biologiques. Par ailleurs, un certain nombre de tâches peuvent exposer de manière indirecte les populations de femmes enceintes au travail. C’est le cas, par exemple, des tâches de ré-entrée en viticulture et en arboriculture.
Le groupe d’experts recommande de favoriser, à travers les cohortes mère-enfant avec inclusion pendant la grossesse et suivi longitudinal du développement de l’enfant, l’évaluation des effets des pesticides, qu’il s’agisse de substances actives autorisées ou de substances interdites mais persistantes, en particulier sur le neurodéveloppement, le métabolisme, le système reproducteur, ainsi que des études spécifiques sur les cancers de l’enfant.
Le groupe d’experts recommande une vigilance toute particulière, tant en milieu professionnel qu’en population générale, sur l’exposition aux pesticides pendant la grossesse et une sensibilisation des médecins sur les conséquences possibles d’une exposition aux pesticides pendant la grossesse en vue d’informer les femmes en âge de procréer et les femmes enceintes sur les attitudes de prévention vis-à-vis des pesticides.

Développer l’articulation entre approche épidémiologique et mécanistique

Si de nombreuses études épidémiologiques suggèrent un lien entre l’exposition aux pesticides et le développement de certaines maladies, il reste souvent difficile d’établir ce lien pour des familles chimiques de produits et des matières actives spécifiques, en particulier en raison des incertitudes sur la nature exacte des produits avec lesquels les sujets ont été en contact au cours de leur vie. La plausibilité des relations observées doit donc être soutenue par des arguments mécanistiques.
La synthèse des études épidémiologiques associée aux hypothèses mécanistiques issues d’études in vivo ou in vitro montrent que certaines substances actives, autorisées aujourd’hui, pourraient être impliquées de manière isolée ou en mélange dans plusieurs pathologies chez l’adulte, avoir un impact sur la fertilité (à travers des atteintes spermatiques) ou encore le développement de l’enfant (annexe 5). Par ailleurs, de nombreuses substances actives, actuellement sur le marché, demeurent insuffisamment étudiées, en particulier à des doses qui ne reflètent pas l’exposition réelle.
Le groupe d’experts préconise, à la lumière des conclusions de l’expertise, d’approfondir l’évaluation de la toxicité et du métabolisme des substances actives autorisées en France pour lesquelles des liens possibles avec certaines pathologies ou atteintes ont été suspectés ou identifiés au travers de la littérature analysée. Pour les substances actives susceptibles d’être impliquées dans la survenue des cancers ou d’autres pathologies (maladies neurodégénératives ou métaboliques, ou ayant un impact sur le développement et la reproduction), une évaluation (ou ré-évaluation) doit être envisagée par les structures dédiées (Circ, agences de régulation nationales ou européennes…) prenant en considération les effets chroniques et à long terme.
Les connaissances toxicologiques sur les effets de certaines substances actives et la compréhension de leurs mécanismes d’action cellulaire et moléculaire, en particulier sur certaines cibles (neurones, cellules sanguines…), pourraient permettre d’analyser les résultats des enquêtes épidémiologiques en regroupant les substances actives, en fonction des mécanismes toxicologiques impliqués dans la maladie étudiée.
Le groupe d’experts recommande de favoriser les échanges entre épidémiologistes et toxicologues pour la mise en place d’approches interdisciplinaires. Le regroupement des données épidémiologiques et de toxicologie (réglementaire et académique) permettrait d’apporter des arguments sur la plausibilité d’une relation entre l’exposition aux pesticides et la survenue de certaines pathologies. Il insiste en particulier pour que se mettent en place des études de ce type sur certains fongicides largement utilisés en France.

Approfondir les connaissances sur la toxicité des pesticides en mélanges

L’estimation des risques sanitaires des pesticides reste fondée le plus souvent sur le profil toxicologique des produits administrés seuls. Or, que ce soit via les activités professionnelles ou via l’alimentation et l’environnement, les populations sont exposées de façon chronique à ces molécules et sous forme de mélanges, pouvant donner lieu, suivant leurs concentrations, leurs voies de pénétration et de biotransformation, leurs cibles cellulaires et moléculaires respectives, à des interactions toxicologiques et à des impacts sanitaires non prévisibles.
L’effet des mélanges suscite un intérêt croissant et de nombreuses études sont réalisées pour améliorer les connaissances en ce domaine. D’une façon générale, il apparaît que l’effet des mélanges peut être différent qualitativement et quantitativement de celui observé après exposition aux substances prises individuellement.
Le groupe d’experts recommande de favoriser les projets de recherche traitant de la toxicité des mélanges à des doses compatibles avec les doses d’exposition environnementale et/ou d’imprégnation tissulaire, à la fois sur des modèles cellulaires (cellules humaines) et in vivo (éventuellement au moyen de modèles animaux humanisés). Il préconise le développement de nouveaux modèles de toxicologie qui impliquent d’autres organismes modèles, de type invertébré humanisé par exemple. Cependant, compte tenu de la complexité des interactions, une démarche expérimentale in vitro et théorique (s’appuyant sur des modélisations) est également indispensable pour être en mesure d’estimer les dangers et les risques sanitaires liés à une multi-exposition chronique de pesticides.
Par ailleurs, la connaissance des voies de toxicité et de leurs interactions est nécessaire à une approche prédictive permettant d’alerter sur la toxicité éventuelle d’un nouveau composé ou d’un mélange avant sa diffusion. Une approche s’appuyant sur la biologie systémique semble particulièrement appropriée.

Favoriser une recherche intégrant plusieurs approches

L’identification des mécanismes d’actions et de biomarqueurs d’effets in vitro ne suffit pas à prédire la survenue de pathologies liées aux pesticides. Il est nécessaire de les confronter aux propriétés de réactivité chimique, de métabolisme, aux données toxicologiques animales, épidémiologiques… Le développement d’outils de traitement de données et de modélisation mathématique est primordial pour le succès d’une approche où les modèles d’exposition, de relations dose-réponse, toxicocinétiques et de biologie systémique intégrant la variabilité de réponse aux toxiques tiennent une place prépondérante. Seule une telle approche intégrative de la réponse physiologique, peut in fine conduire à l’objectif d’une toxicologie prédictive, c’est-à-dire capable d’anticiper les propriétés toxicologiques des pesticides à partir d’expériences in vitro et in silico, ainsi que des données in vivo et épidémiologiques disponibles, permettant de s’affranchir du recours systématique à l’animal.
Le groupe d’experts recommande de favoriser les projets de recherche intégrant plusieurs approches afin de disposer d’un faisceau d’arguments pour conforter la relation entre les propriétés biologiques d’une substance et son rôle dans la pathologie. La connaissance du mode d’action permet de mieux déterminer si des observations faites chez l’animal sont transposables à l’homme. Selon l’hypothèse d’une origine développementale pour certaines pathologies (obésité, diabète…), la période in utero doit être considérée comme particulièrement sensible à l’exposition aux toxiques, les pathologies pouvant s’exprimer après un temps de latence plus ou moins long. Cette toxicité différée, dans laquelle sont surtout impliquées des substances n’affectant pas directement l’ADN incite à développer des recherches sur les impacts épigénétiques des pesticides. Ceci introduit la notion de toxicité d’origine épigénétique (ou « épigénotoxicité ») capable de rendre compte de nombreuses perturbations du développement, du métabolisme et du comportement chez les populations exposées.

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